Chroniques noires et partisanes

DERRIÈRE LES PANNEAUX IL Y A DES HOMMES de Joseph Incardona / Editions Finitude.

Ce roman paru en 2015 aux éditions Finitude qui ont cartonné cette année avec « En attendant Bojantes » dont j’ai lu tellement de chroniques que j’ai l’impression d’avoir lu le roman.

Sorti peu de temps après « Aller simple à Nomad Island », ce « Derrière les panneaux, il y a des hommes » ne m’avait pas réellement tenté tant j’avais été peu séduit par ce précédent roman traitant lui-aussi en toile de fond du tourisme. Néanmoins, « Derrière… » a obtenu le grand prix de la littérature policière et cela m’est amplement suffisant pour profiter de cette période estivale pour m’y plonger me souvenant aussi d’un excellent « Trash Circus » paru en 2012.

« Pierre a tout abandonné, il vit dans sa voiture, sur l’autoroute. Là où sa vie a basculé il y a six mois. Il observe, il surveille, il est patient. Parmi tous ceux qu’il croise, serveurs de snack, routiers, prostituées, cantonniers, tout ce peuple qui s’agite dans un monde clos, quelqu’un sait, forcément. Week-end du 15 août, caniculaire, les vacanciers se pressent, s’agacent, se disputent. Sous l’asphalte, lisse et rassurant, la terre est chaude, comme les désirs des hommes. Soudain ça recommence, les sirènes, les uniformes. L’urgence. Pierre n’a jamais été aussi proche de celui qu’il cherche. »

Joseph Incardona a la critique acerbe, le verbe puissant et le regard pointu dans ses analyses de notre société et de ses contemporains. Jamais de demi-mesure, c’est cru, ça dégomme, l’hallali, un ennemi de la tiédeur en écriture que tous les lecteurs ne seront pas capables de supporter dans ce roman fort mais terriblement éprouvant. Un roman sur les vacances à ne pas lire pendant les vacances sous peine de plomber l’ambiance.

Les gares, les ports, les aéroports ont toujours été chargés d’émotions de voyages, de nouvelles vies, de promesses, de découvertes, d’aventures, de vacances… de fuite ou de perte aussi bien sûr, enfin autrefois car depuis le début du XXIème siècle, toutes ces bonnes impressions sont un peu voire très ternies par les fumiers qui les convertissent en aires de massacre. Mais avez-vous eu une seule fois ce beau sentiment d’aventures, d’évasion en vous arrêtant sur une aire d’autoroute ? Moi pas, juste une sale impression de triste copie de ce qui se fait en Amérique et surtout une sale impression de piège incontournable pour les cons que nous sommes, parfois contraints de nous y arrêter. Le premier supplice des vacances de masse, du tourisme bas de gamme avec des souvenirs à la con et nos contemporains qui friment dans leur nouvelles tenues estivales avec leurs gosses énervés qui braillent pour avoir des frites immangeables. Vous connaissez, bien sûr, et c’est là que dans ce néant de réalité qu’a créé le pire des drames un Joseph Incardona monstrueux de talent qui va raconter avec cruauté tout ce que vous avez seulement entraperçu.

« Derrière le pare-brise sale, le monde est toujours là : une aire de repos écrasée par la chaleur. Herbe jaune piétinée jusqu’à la trame. Poubelles débordant de déchets. Tables de pique-nique en ciment dont les angles révèlent des moignons de métal rouillé. Mouchoirs tachés de merde, recouvrant la merde elle-même, au gré des buissons longeant la clôture de l’autoroute. »

Ce n’est pas un grand mystère, on l’apprend très rapidement, Pierre cherche un salopard qui a enlevé sa fille de huit ans quelques mois plus tôt le détruisant lui et Ingrid sa femme. Il est démoli mais armé par la rage de la vengeance tandis que son épouse a fui dans l’alcool et le sexe dégueulasse. Une nouvelle disparition en ce weekend du 15 août va éveiller Pierre…

Tout est montré, crûment, outrageusement réaliste: les parents détruits, les flics démunis, les jouisseurs des malheurs d’autrui, les employés des relais routiers, les épaves perdues de ces faux îlots, les paparazzi, les psychologues impuissants, les gros cons, les pauvres beaufs et leur fausse compassion, tout ce monde interlope qui se retrouve tous les ans aux moment de ces tristes migrations et qui entre en surchauffe avec cette tragédie à gerber.

Le roman est méchant, particulièrement dur et éprouvant, cogne à chaque page, à chaque description mais reste d’une pudeur magnifique pour le calvaire de ces pauvres anges volés. Tout sauf un roman pour les vacances mais  un chef d’oeuvre.

Choquant!

Wollanup.

 

4 Comments

  1. tasha

    Il patiente dans ma PAL, mais ton billet le fait remonter. Choquant? Donc alléchant… Les aires d’autoroute l’été, c’est l’horreur. Bref, va falloir que je plonge dans ce gouffre de désenchantement…

    • clete

      salut Tasha,
      Tu avais aimé, je crois, »natural Enemies ». Et bien, c’est au moins aussi bon.Choquant dans le sens que ça cogne vraiment,nous montre nos travers,la douleur dans son côté cru,sans artifice.

  2. Claude Le Nocher

    Je suis un admirateur de Joseph depuis « Remington ». Avec « Trash circus », il avait déjà fait très fort. Son Grand Prix de Littérature Policière est amplement mérité. Lire aussi « Permis C », son nouveau roman, plus intime :
    http://www.action-suspense.com/2016/06/joseph-incardona-permis-c-ed-bsn-press-coll-fictio-2016.html
    Amitiés.

    • clete

      Oh oui puisque DOA ne pouvait l’obtenir,c’était un excellent choix de le récompenser.Quel bouquin!je vais aussi attaquer 220 volts.
      Amitiés .
      Wollanup.

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