allo @Place_Beauvau – c’est pour un signalement

Si vous vous êtes penché sur le mouvement social des Gilets Jaunes, vous avez certainement entendu parler du travail de décompte charcutier mené par l’enquêteur indépendant David Dufresne, qui s’était chargé au fil des mois – « sidéré » selon ses propres mots – de documenter et recenser le maximum des blessés faits par les forces de maintien de l’ordre. Nous parlons-là d’énucléations, d’os et de crânes fracturés, de membres arrachés, de plaies ouvertes, comptabilisés et rapportés aux plus hautes autorités, sans que celles-ci ne s’émeuvent plus que ça en apparence de ce déchaînement de violences ni que les grands médias généralistes ne s’y intéressent autrement (ou alors pendant longtemps) que sous la catégorie d’inéluctables impacts dans la chair d’émeutiers et de factieux, un body count pour faire frémir les masses.

Avec Dernière sommation, David Dufresne choisit l’approche romanesque pour revenir sur ce travail et mener une investigation fictive dans les coulisses du pouvoir politique en pleine dérive autoritaire. Fictive ne veut pas dire totalement inventée. Né en 1968, nourri au biberon punk-rock, journaliste successivement à Actuel, Libération et Mediapart, auteur du documentaire filmé Prison Valley et de l’enquête Tarnac : Magasin général, David Dufresne n’est pas en délicatesse avec la rigueur que son métier d’enquêteur nécessite. Il sait donc de quoi il parle.

Ce livre très politique, qui se lit comme un polar – il en a la tension – à la bouffée finale dystopique mais pas improbable, donne un aperçu terrifiant des violences policières durant le mouvement des Gilets jaunes, violences amorcées depuis plusieurs années il faut bien le dire et qui ont récemment encore (mort de Steve Caniço, répression des manifestations de pompiers) montré leur ancrage dans la pratique policière. Quelque chose dans le maintien de l’ordre à la française, soi-disant fait de mesure et de proportionnalité, n’est plus de mise. « La police avait clairement changé de braquet et de doctrine. « La domination n’était plus seulement sociale, économique, la domination était policière« . « Le pays était devenu violent (…) parce que l’anti-terrorisme était devenu l’alpha et l’oméga de la vie politique.« 
Dernière sommation sonde les responsabilités, montre comment est entretenu le flou dans la chaîne de commandement (« La chasse était ouverte mais ça ne devait pas se savoir – ni consigne ni ordre, juste un climat« ), dénonce l’esprit « cow-boy » des flics, (instillé depuis un ancien Ministre de l’Intérieur à l’éréthisme inversement proportionnelle à la taille), la nervosité et la brutalité des forces de l’ordre entre les mains desquelles ont été mises de nouvelles armes de guerre, (LBD et grenades explosives GLI-F4 contenant du TNT, des sigles qui contiennent autant de suavité que LREM, La République d’Emmanuel Macron) mais qui n’hésitent pas à faire leurs propres emplettes dans les magasins d’armement. « Parce que les collègues, ils laissent les originaux au vestiaire, à la maison, c’est trop le merdier le saute-dessus dans les manifs et ils veulent pas de blâme en cas de perte. Sans parler de tous ceux qui veulent s’équiper en cascos, des matraques télescopiques pas toujours réglementaires, (…) des matraques officieuses pour des agents qui n’ont ni la formation ni l’habilitation ». Le MO/maintien de l’ordre en roue libre. Mais il existe un marionnettiste de cette dérive autoritaire : le pouvoir. Sans assise véritable, obnubilé par son agenda de déconstruction économique, sociale et légale, au service de grands intérêts, ce pouvoir doit gagner à tout prix au niveau médiatique et la brutalité policière le sert dans son dessein (« pour un de touché, mille qui désertent« , résume le préfet de police), de même que la négation, la surdité, l’insulte et les néologismes dont il fait un usage maladif, dans ce domaine comme dans les autres.

Les courtes séquences rythmées du roman s’enchaînent, titrées grâce à la collecte de slogans dégueulés sur les murs, pleins de la rage et de la sagacité d’un peuple en colère. Au milieu des protagonistes, bien sûr, Dardel, l’alter ego de Dufresne. Les autres sont des archétypes mais appuient la vérité du propos : Vicky la documentariste proche du Black bloc, mutilée dans une manifestation et sa mère Jacqueline, GJ de province, revenue des trahisons de la gauche pour embrasser le RN. Ce qui leur ouvre les yeux tandis que d’autres sont crevés fait froid dans le dos ou laisse un goût amer. Dhomme et Andras, les pros du maintien de l’ordre, soumis à la pression, en pleine rivalité et en pleine recherche d’ascension aussi. La République, oui peut-être, mais les temps sont en marche et il faut savoir plier ou s’adapter.

David Dufresne a dit sur son choix romanesque : « (…) la fiction permet de synthétiser, d’aller à l’essentiel, mais aussi d’en dire davantage que dans un essai ou un document avec lesquels on a des comptes à rendre. Et parce que de mon point de vue, la fiction permet d’aller beaucoup plus loin dans la vérité humaine. 

L’actualité peut être brûlante mais la fiction peut être incandescente.  Des lignes qui éclairent mieux que tout ce que pourraient raconter certains médias télévisés plus enclins à garnir leurs plateaux de consultants Police-Justice (sic), au détriment de journalistes enquêteurs.

Paotrsaout