Que faire Après la guerre ? C’est sans doute la question que s’est posée Hervé Le Corre, suite au succès conséquent de l’un de ses précédents romans ainsi nommé (Plus de 60 000 exemplaires écoulés, format initial et poche confondus). Après la guerre ne parlait d’ailleurs pas de celle de celle de 14-18, vendue à toutes les sauces et jusqu’à l’overdose ces dernières années. Aux grands barnums sanglants, Hervé Le Corre préfère s’attacher à ces autres thèmes du pugilat noir ou insurrectionnel, à ces conflits qui n’osent afficher leur nom « de guerre », à ces boucheries fratricides où l’élémentaire besoin de liberté ne masque pas des intérêts plus économiques et libéraux que patriotiques…
« Avec une nation étrangère, on finit par conclure une paix, par signer des redditions ou des traités. Entre eux, princes et généraux, parfois bâtards de même sang, finissent toujours par se faire des politesses, se saluant de leurs chapeaux à plumes. Mais quand il s’agit de combattre le populo, pas de trêve, pas de quartier. Massacrer, tailler en pièces, pour qu’il ne reste que silence et terreur. »
Ainsi, après les prémices de la lutte algérienne, le voici de retour au cœur de la Commune, dans ce Paris du printemps 1871 qui servit déjà de toile à son magistral L’Homme aux lèvres de saphir. Nous étions nombreux à en attendre silencieusement une hypothétique suite. Elle est là, bien là, voire au-delà. Si la présence de l’effroyable Henri Pujols souligne ce retour aux années d’ébauche libertaire, Le Corre monte encore de quelques crans la jauge de son étourdissant talent. Nous savons que scander la virtuosité d’un auteur peu parfois le desservir, mais il convient dans le cas présent de ne pas négliger son apport à un ensemble limpide, à une parfaite adéquation entre érudition et fibre romanesque.
Si les pavés de Paris sont à l’époque mal équarris, il n’en est pas de même pour celui-ci. En près de 400 pages, écrites avec une précision absolue et une aisance magistrale, Le Corre nous captive, nous malmène, nous rattrape, nous conte l’Histoire au fil de celles plus anonymes de ses personnages. Nicolas, Caroline, Antoine et les autres, aussi dépassés par leurs destins qu’admirablement croqués par l’auteur, se débattent au sein du chaos, affrontent ou fuient l’ordre versaillais, s’entravent dans leurs propres barricades et démons, se perdent, se retrouvent, tombent, se noient ou se relèvent. On imagine aisément la somme de travail nécessaire à l’échafaudage du récit méticuleux de ces dix jours qui changèrent à jamais le monde ouvrier et ses rapports avec les hiérarchies politique et patronale. Bien-sûr, la Commune est un échec meurtrier et amer, comme le sera la majorité des révolutions, mais son souvenir reste une vigie au-dessus des têtes dirigeantes et leur appris à lâcher du lest avant que ne déborde la marmite en ébullition. Tout parallèle avec notre présent ne pouvant être bien entendu que fortuit…
1871 donc : la faucheuse rode et frappe à chaque coin de rue. Alors certains prédateurs en empruntent le masque en toute discrétion. Et, dans l’impunité de la tourmente et du bruit des obus, des jeunes femmes se volatilisent. Nadar rend les appareils photographiques transportables et Pujols en profite pour « immortaliser la mort ». Caroline disparaît à son tour. Ses chances de survie, comme celles de la Commune, s’amenuisent d’heure en heure. Nicolas, le sergent, et Antoine, le commissaire, tous deux gradés par défaut d’une armée novice et rêveuse, vont devoir affronter toutes les urgences, du front et de front. Le temps, déjà vacillant, accélère encore et le tourbillon de folie emporte tout sur son passage, vers le fond, là où tout est noir comme cette suie dont Hervé Le Corre tire le plus brillant des feux d’artifices.
JLM
Bonjour et merci pour cette chronique ! Je viens juste d’achever ce roman et il a réussi à me transporter pendant la Semaine sanglante. On sent que l’auteur a réalisé un important travail de recherche historique qui lui permet d’offrir un décor apocalyptique au développement d’une intrigue tout aussi efficace. Un grand moment de lecture !
Tu as raison Stéphane et tu le dis d’ailleurs très bien ici.https://noiraucarre.com/2021/04/07/dans-lombre-du-brasier-de-herve-le-corre-mais-il-est-bien-court-le-temps-des-cerises/