Joseph Boyden est présent à America à  Vincennes ce weekend et je ne résiste pas à l’envie de rediffuser cette chronique de son extraordinaire dernier roman de 2014. L’Histoire ne retient que les vainqueurs, on le dit souvent, et dans ce roman que tous les passionnés d’Histoire et les fous de belle littérature se doivent d’avoir lu, Joseph Boyden vous raconte le choc de la rencontre  entre les Amérindiens et les Européens. De plus, un des personnages principaux est Breton, ce qui ne gâche rien, au contraire. Allez à la rencontre de l’auteur si vous pouvez, il est passionnant. Je joindrai samedi un entretien que j’ai réalisé à « Etonnants Voyageurs » en 2014.

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Joseph Boyden est un auteur canadien aux origines multiples : écossaises, irlandaises et surtout indiennes, dont c’est ici le troisième roman et quel roman ! Ses deux premiers ouvrages lui ont permis de faire connaître le peuple cree et la tribu anishnabe dont il est en partie originaire ou plus simplement les descendants des Algonquins ou des Amérindiens qui résidaient autour du lac Ontario avant l’arrivée des Européens en nous plongeant dans l’histoire d’individus issus de ces tribus au XXème siècle.

Là, il nous convie à un fantastique voyage au 17ème siècle, aux origines du Canada avec la narration de la guerre fratricide entre les Hurons et les Iroquois. Les historiens ont donné plusieurs versions des origines de ce conflit et Boyden y va de sa plume talentueuse pour nous raconter cette tragédie à sa manière, vue du côté huron-wendat. C’est un fabuleux voyage que l’on fait en sa compagnie et vous n’aurez certainement pas énormément d’occasions similaires d’éblouissement cette année.

Trois voix racontent cet épisode des débuts de l’histoire moderne du Canada car, outre Oiseau chef de guerre huron veuf par le fait des Iroquois qui ont massacré sa femme et ses deux filles, nous rencontrerons Chutes de neige, une enfant iroquoise enlevée pendant le massacre de sa famille pour devenir la fille de Oiseau et Christophe Corbeau (surnom donné aux missionnaires) prêtre jésuite breton, prisonnier des Hurons puis compagnon d’infortune de la tribu. Chaque voix donnera sa propre version poignante, partielle des évènements qui se déroulent pendant plusieurs années précédant l’explosion finale et permettra de se rendre compte du fossé qui sépare l’ancien et le nouveau monde.

Outre l’épisode guerrier, le roman permet une connaissance des Indiens très loin du romantisme qui parfois les décrit encore. Il ne s’agit pas réellement des relations entre la France et ces « Sauvages » mais plutôt des conséquences humaines, philosophiques, sociétales, économiques et politiques de l’arrivée des Européens sur le sol américain. On voit très vite que les Indiens n’étaient déjà plus les « oies blanches » qui avaient vendu l’île de Manhattan contre de la verroterie de pacotille mais des gens intelligents qui voulaient se servir de ces nouveaux alliés pour commercer et se débarrasser des ennemis intérieurs.

Boyden, tout au long du roman, montrera les limites de cette « invasion » et de cette alliance avec l’arrivée des maladies en provenance d’Europe, la propagation du christianisme, la cupidité nouvelle de certains Amérindiens, l’alcoolisme destructeur, l’inadéquation flagrante entre les religions et croyances européennes et la réalité indienne, les armes à feu… Aucun discours moralisateur, juste une démonstration du choc subi par ces populations encore à l’âge de pierre entrant de façon anarchique dans le monde du XVIIème siècle européen.

C’est avant tout, mais pas uniquement, loin de là, un livre très dur parce qu’il est situé dans une période apocalyptique pour Hurons et Iroquois engagés dans une lutte cruelle et barbare. Il est bon de signaler que certaines pages de torture au milieu du roman sont particulièrement insoutenables. Il suffit, éventuellement, de les sauter quand vous saurez que le destin des prisonniers est définitivement scellé et de reprendre la lecture d’un roman magique, exceptionnel et unique et je pèse mes mots malgré tous les romans extraordinaires que j’ai pu lire déjà cette année. C’est une histoire de mort mais aussi de vie, de souffrance et de bonheur familial, de haine et de compassion, de partage et d’exclusion.

C’est un livre qui va devenir rapidement un classique. J’ai passé deux nuits en pays huron et c’est un séjour effroyable et fantastique tant l’histoire semble authentique, le décor vivant et les personnages inoubliables (y compris et peut-être surtout le jésuite…).

Un chef d’œuvre de roman d’aventures et d’intelligence qui ouvre sur une grande réflexion sur le monde et ce que nous en faisons. Le titre original du roman est « l’Orenda » qui est l’équivalent de notre âme chez les Indiens, et ici c’est « l’Orenda » du Canada originel, cruelle, héroïque que vous offre Joseph Boyden sur 600 pages talentueuses, émouvantes, sauvages et magnifiques.

Wollanup.