Traduction: Marc Chénetier
Carrefour d’avenues de Manhattan, jonction d’une sous civilisation dans le New York de quartiers disparates d’une mégalopole exsangue dans ces années reaganiennes, se cristallise un îlot protecteur dans cette école hébraïque, ce Talmud Torah. De cette communauté matriarcale, symbolisée par Sarah « Saigon », se juxtapose un panégyrique de personnalités disparates et belliqueuses ourdie par leurs histoires gangrenées par les parasites d’Hô Chi Minh Ville.
« Les avenues A, B, C et D forment une espèce d’appendice crasseux du Lower East Side de Manhattan : ces îlots à initiale sont devenus territoire indien, le pays du meurtre et de la cocaïne… Interrogés sur les origines de leur Alphabetville, les habitants répondront que le Christ s’est arrêté à l’entrée de l’avenue A… Mais enfoncez-vous un peu plus loin dans le quartier. L’avenue B, où tous les repères rassurants s’évaporent, arbore les couleurs de la pauvreté les plus primaires… Or c’est quasiment la civilisation comparée à la C.
Avenue C, ce sont des patrouilles d’ados qui font régner l’ordre – enfin, leur ordre –, protégeant les dealers du coin et dissuadant les malfrats du nord de la ville de venir s’aventurer par là. Leur chef est une femme, Sarah, surnommée Saïgon, parce qu’elle a été infirmière militaire au Vietnam. Avec Howie, son amour d’enfance, on va se laisser emporter dans des aventures qui défient l’imagination la plus enfiévrée, entre les rois de la drogue, les agents doubles, les truands de haut vol, les coups tordus des uns, les crimes des autres. »
Saigon, ex-infirmière militaire au Vietnam, règne sur un royaume composé de rebuts d’une société au sortir d’un conflit lytique des âmes, lytique des destinées. Enfouraillée de deux colts 45 en permanence, son assise dans ce monde rugueux est aussi le fruit de sa propre histoire. Son idylle précoce avec Howie, alias le Prof durant le conflit Viet, la pousse à une émancipation forcée. Parcours de vie, parcours familial la poussent à afficher cette poigne de titane dans un gantelet de simili velours.
Ce « petit » monde est tiraillé dans des frictions létales claniques. Baladé alternativement entre des faubourgs de Brooklyn, Hô Chi Minh, le berceau de « boulangers » russes (hum, hum,…Peaky Blinders ?!) l’affrontement gronde dans un voyage immobile des songes suscités par les galets de goudron, les sucettes de réglisse ou autres boules d’opium. De ces tribulations introspectives d’opiacés hérités du conflit du Sud-Est asiatique, on voit flou, on mange mou, on déambule dans des mondes parallèles oniriques.
Ce château de cartes qu’est le Talmud Torah nous invite dans des lieux de villégiatures disparates, peuplés d’habitants perclus de stigmates mentaux légués du Vietnam, véritable broyeur d’illusions perdues, d’innocences remisées, et la résultante en est un monde psychédélique.
Ce récit rime avec poésie. Poésie du propos, poésie crue du style. Charyn nous submerge d’un halo multicolore, drapé dans des sentiments éphémères. De cette fable, de ce conte onirique, on est exfiltré du monde réel, manichéen le temps de cette lecture lysergique.
Lyrisme brut déconnectant et surprenant dans un contre pied continu !
Chouchou.
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