The Night Watchman
Traduction: Sarah Gurcel
“Alors on en est là, se dit Thomas en fixant la froide succession de phrases de la proposition de loi. On a survécu à la variole, à la carabine à répétition, à la mitrailleuse Hotchkiss et à la tuberculose. À la grippe de 1918 et à quatre ou cinq guerres meurtrières sur le sol américain. Et c’est à une série de mots ternes que l’on va finalement succomber. Réallocation, intensification, termination, assurer et cetera.”
Sous couvert de fiction, avec Celui qui veille, Louise Erdrich nous raconte un épisode de la politique américaine à l’encontre des Nations Indiennes. Sous l’administration Eisenhower, en 1953, une résolution conduite par un sénateur mormon veut mettre fin à tous les traités signés précédemment. Résumé rapidement, c’est la fin des réserves et des tribus, la fin de la cohésion, l’ensemble des membres est transformé en citoyens américains à part entière, pauvres et seuls, les terres vendues à l’encan. C’est ce qu’on a appelé la termination. Ces mots ont des sens bien précis : la note de Sarah Gurcel, traductrice, est bien utile.
Cette arme plus juridique, cette arme de papier, toute aussi dévastatrice que les fusils, traverse tout le roman, parfois frontalement, d’autres fois en sourdine.
Louise Erdrich adopte le mode de la fiction pour nous raconter cet épisode peu spectaculaire de l’histoire, mais ô combien destructeur, et déjà entrevu chez David Treuer.
C’est par Thomas Wazhashk que cette histoire de lutte contre la résolution du sénateur Watkins avance. Il est veilleur de nuit dans une usine, et président du conseil tribal Chippewa. Il est la conscience de la réserve, celui qui mène la résistance, tente de fédérer les membres de sa tribu. Il est calqué sur le grand-père de l’autrice, Patrick Garneau.
Les chapitres sont nombreux, souvent très courts, trois ou quatre pages, quelquefois plus longs quand c’est nécessaire. Louise Erdrich essaime une myriade de personnages, qui pour certains s’évaporent très rapidement. Il faut veiller à ne pas se perdre parmi cette nombreuse galerie, même si très vite les rôles principaux sont distribués.
Patrice Paranteau, une jeune ouvrière, première de sa famille à l’usine, est là d’un bout à l’autre. Ambitieuse et indépendante, elle cherche à s’extirper de la pauvreté dans laquelle elle est née, sans pour autant mettre de côté les nombreux problèmes familiaux. Les chapitres passés à rechercher sa sœur à Minneapolis sont tragiques, mais surtout, ils permettent d’entrevoir le futur qui attend les indiens si la résolution est adoptée.
Le chemin est long et coûteux jusqu’au Capitole de Washington où Thomas et Patrice se rendent, avec quelques autres, défendre leurs causes. Les combats de boxe organisés pour payer une partie du voyage sont l’occasion de rencontrer Wood Mountain, un jeune boxeur à la fois ancré dans la tradition, et curieux de ce qui se passe à l’extérieur. C’est un personnage secondaire, mais admirablement bien portraituré, on l’observe passer en quelques semaines de jeune gars à la fois candide et trop sûr de lui à père adoptif responsable.
Celui qui veille décrit le quotidien de Patrice, Thomas, Pokey, Zhaanat, et de bien d’autres protagonistes. À chaque chapitre c’est un peu du monde indien qui nous est dévoilé, des choses banales ou d’autres plus spirituelles, de la lutte pour simplement survivre. Le roman avance par petites touches, comme un tableau. Chaque touche est un instant passé à la loupe, ciselé. Comme si Louise Erdrich cherchait à nous rendre une image la plus précise possible des quelques semaines dans lesquelles s’écoule le roman, par certains aspects c’est aussi un livre d’ethnographie.
NicoTag
C’est la musique qu’a choisie Samantha Crain pour raconter la vie des siens, les Choctaws. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle le fait vraiment bien.
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