« Ça restera comme une lumière » de Sébastien VIDAL m’a happé dès les premières pages et ne m’a plus lâché jusqu’à la dernière. L’auteur a ce style d’écriture qui va droit au but, puissante et captivante. Sébastien VIDAL sait retranscrire à merveille, les émotions, les sentiments de ces personnages, le tout dans un environnement rural, dépeint au point d’avoir l’impression d’y être allé soi-même.
Le personnage principal est Josselin, ancien militaire en opération au Mali revenu blessé physiquement et psychologiquement. Il y a perdu son œil, son compagnon d’arme Erwan et le bien-fondé de son engagement pour sa patrie. En phase de reconstruction, il revient à Missoulat petite ville de province où il a passé 2 mois de vacances inoubliables plus jeune.
Il fait la rencontre de Henri, ferronnier et artiste du métal, personnage fort qui a perdu sa femme dans un tragique accident et coupé tous liens malgré lui avec sa fille Emma.
Les deux hommes vont partager leurs vies pudiquement et s’épauler mutuellement. L’ancien transmettant au plus jeune son savoir-faire et recevant en retour une aide précieuse.
En effet, Missoulat est une petite ville désertée, souffrant économiquement, vivant sous le joug de Charles Thévenet, patron de la seule entreprise du secteur. Thévenet ne vit que pour écraser son prochain dans le seul but d’asseoir un peu plus son empire, contrôlant la politique locale, la gendarmerie et ses citoyens. Il use à volonté d’hommes de main pour arriver à ses fins et il a une sérieuse dent contre Henri dont il veut récupérer les terres et se venger, le pensant coupable de la mort de son fils.
Josselin navigue donc en eaux troubles dans ce climat pesant et va retrouver ses amis d’enfance Martin et Emma. Martin vit en marge de la ville dans une caravane pourrie et passe le plus clair de son temps dans les vapeurs d’alcool, Emma tient un salon esthétique, enceinte et toujours aussi belle aux yeux de Josselin.
L’histoire s’envenime crescendo, l’intensité monte doucement mais sûrement, les personnages principaux sont au cœur d’une sombre tourmente qui ravage les cœurs et les esprits. L’apothéose est une explosion de sentiments pour le lecteur mêlant la joie, l’amertume, la tristesse et l’espoir.
Ce roman met en lumière la complexité de la nature humaine face à la mort et sa résilience, la faculté de l’Homme à surmonter les échecs et les épreuves de la vie, la force de l’amour d’un père pour sa fille, l’abnégation d’un homme pour l’amour de sa vie.
Ça restera pour moi l’une des plus grosses claques littéraires.
Voici le 4ème opus de la police des rennes, « Les chiens de Pasvik » d’Olivier Truc. L’auteur, spécialiste des pays scandinaves poursuit cette fois-ci l’immersion au cœur de la vallée de Pasvik, un territoire coincé et partagé entre la Russie et la Norvège, véritable réserve naturelle. C’est, entre autres, le lieu de pâturage des troupeaux de rennes, sous la garde des éleveurs Sami, peuple historique de la vallée.
Dans ce décor glacé et sauvage, on retrouve Klemet toujours dans la police des rennes et Nina qui travaille désormais pour le commissariat des gardes-frontières. Ils vont être de nouveau réunis pour éviter ce qui pourrait rapidement devenir un incident diplomatique d’envergure entre la Norvège et la Russie. En effet, une cinquantaine de rennes, appartenant à Piera Kyrö, ont passé la frontière en quête du précieux lichen alors qu’à l’inverse des meutes de chiens viennent semer le trouble du côté norvégien, voire propager la rage.
Il faut bien comprendre l’enjeu et la difficulté de maintenir la paix de part et d’autre de cette frontière, entre les rennes guidés par leur instinct ancestral et les Samis chassés d’une partie de leurs terres, suite au redécoupage de territoire post 2nde guerre mondiale.
Klemet doit donc retrouver et ramener ces rennes tandis que la chasse est ouverte et récompensée pour chaque chien russe abattu, le tout dans une nature glaciale et hostile du côté norvégien et terne, pauvre, désolante du côté russe. On découvre un lien très tendu dans les négociations entre les deux pays, la Russie restant très hermétique et paranoïaque.
En dehors de la trame principale, différentes histoires s’imbriquent, notamment celle d’un père qui doit absolument retrouver son chien disparu, Gagarine, comme forme de rédemption vis-à-vis de sa fille.
De nombreux thèmes sont présents dans ce roman, c’est très dense. Il y a Klemet et son problème d’identité, il est finalement à la recherche de lui-même dans cette enquête. Nina est présente mais nettement plus effacée que dans les tomes précédents (pour ceux qui les ont lus, ce qui est d’ailleurs conseillé pour ma part).
Piera Kyrö est quant à lui le parfait représentant du peuple Sami qui a survécu à toutes les ignominies et oppressions, devenu nostalgique du temps de ces aïeux qui avaient pour terrain de jeu l’immensité de la nature sans frontières.
Bien entendu, sont évoqués, la corruption, le trafic, la mafia du côté russe !
Je ne cite pas tous les personnages car ils sont clairement beaucoup trop nombreux et sans intérêt pour la plupart. Ce qui me laisse en partie très mitigé sur ce roman. Certains passages sont tout simplement remarquables mais trop de personnages, trop de détails, d’histoires annexes m’ont parfois perdu. Le fond est bon, la forme l’est moins, juste sauvée par la qualité de l’écriture. À chacun de trancher.
Antonin Varennes signe son 10ème roman avec « Dernier tour lancé » qui s’inscrit dans l’univers de la moto GP. Il relate avec beaucoup d’humilité la relation père-fils, celle d’Alain Perrault qui donne tout à son fils Julien. Julien est né dans la douleur, enfant chétif et lent à l’école qui devient prodige de la moto, piqué à la vitesse, aux courbes au cordeau.
Alain l’élève seul dans un pavillon modeste de Villeneuve-Lès-Maguelone, mécanicien, homme simple et analphabète, il consacre tous ses revenus à la passion de son fils et fabrique ses premières motos. Julien connaît une ascension fulgurante, devient le numéro 5 adulé de tous, battant tous les records de temps et de vitesse sur les pistes du monde entier jusqu’au drame. Ce fameux virage du Mans ou il percute deux autres concurrents, l’un décède, l’autre devient paraplégique, lui s’en sort vivant mais brisé. Il est devenu l’assassin, le paria du circus.
Le fils prodige passe de longs mois à l’hôpital, en sort, devenu l’ombre du champion et reclus chez son père jusqu’à la tentative de suicide.Pour sa sécurité et le mettre à l’abri des médias, Alain le place dans une clinique psychiatrique, sous prétexte de repos uniquement. Interviennent deux nouveaux personnages clés du roman, Emmanuelle Terracher, la psy qui passe le plus clair de son temps au travail pour éviter sa vie de couple compliquée et François Buczek, l’artiste peintre déluré, perdu dans ses paradis artificiels, interné pour sa sécurité.
Julien va mieux et se retrouve de nouveau chez son père. La vie reprend tant bien que mal, l’ancien champion retourne au circuit près de chez lui, rencontre le propriétaire, autrefois admiratif et lui propose simplement de donner des cours aux jeunes au sein de l’école qui portait son nom. Refus et nouveau coup dur.
Ne jamais rien lâcher est l’adage du numéro 5, il se remet au sport, redécouvre son corps, celui de l’athlète qu’il a été et qui le fait tant souffrir aujourd’hui. Un nouveau locataire anime la maison, François s’est échappé de la clinique et y a élu domicile. Emmanuelle passe un pacte avec le trio, elle viendra de temps en temps s’assurer que tout se passe bien, devenant psy à domicile. La maison subit les délires de François sous l’impulsion de ses coups de pinceaux et de ses trips psychédéliques. L’ambiance est bonne.
Step by step, Julien se reconstitue une condition et décide de partir en road trip en moto, une de plus préparée par son père. C’est une forme d’évasion, un temps à la réflexion pour l’homme sur sa vie passée et celle à venir, au guidon, il sent la machine, les vibrations et ses sensations. À son retour, il se fait approcher par un sponsor nébuleux, la rencontre se fait, le contrat se signe, il revient sur les pistes. C’est un retour fracassant dans le monde du GP, le numéro 5 revient. Il est accompagné de son père qui l’a toujours suivi depuis son poste télé, d’Emmanuelle en pleine séparation qui a posé une année sabbatique et de François toujours défoncé. Les tours de piste s’enchaînent, la moto est dépassée, le pilote souffre, les premiers chronos sont mauvais. Julien s’accroche, malmène son corps rafistolé, les chronos commencent à attirer l’attention. La fine équipe parcourt le monde au gré des courses, Julien devenant de plus en plus compétitif, François de plus en plus défoncé. Entre-temps, Emmanuelle et son père se rapprochent, mettant à jour un lourd secret concernant la mère de Julien, ce secret qu’ils ont tacitement entretenu depuis si longtemps. L’abcès est crevé, la psy a fait son taf.
De nouveau le drame, François en plein trip après une grosse injection, part sur une des motos de Julien sur le circuit proche de la maison. Alain part à sa poursuite et le retrouve sur la piste, l’artiste peintre roule complètement déchiré, se prenant pour un pilote à faible allure, ce qui fait sourire Alain qui l’observe depuis le bord, rassuré dans un premier temps. À proximité du circuit, Julien qui s’entraîne en vélo, reconnaît le bruit de sa 500 et approche du circuit. Derrière le grillage, il y voit son père au bord de la piste et François sur sa moto. La vitesse augmente, François en plein trip met les gaz dans la ligne droite. Le virage approche, Alain lui fait des signes, trop tard, François va tout droit là ou il regarde. Choc. Julien assiste à ce que son père a vu un an plus tôt, la boucle est bouclée. Le père et son fils n’ont pas eu le temps de se dire qu’ils s’aimaient. C’est la malédiction Perrault. Les médias s’emballent, les millions publicitaires coulent à flot, Julien fera la course avant les obsèques car seule compte la course, il ne sait faire que ça.
Ce roman sent l’huile de moteur, les gaz brûlés et pour autant frappe fort par la finesse de son écriture. J’ai été très surpris par la noirceur de l’histoire qui est très subtile et latente, celle qui touche à la psychologie de l’homme. Il met également en lumière un univers où règnent l’argent, les sponsors, les marques et les droits de diffusion dans le monde du grand prix moto. Un univers où les pilotes sont rois, sans cesse entourés et en même temps seuls sur leurs montures mécaniques pour défier les lois de la gravité et de la vitesse.
« Une vie de poupée » est un roman écrit par un duo d’écrivains suédois, il s’inscrit dans une trilogie autour du thème de la mélancolie. Il en est le 2ème opus totalement indépendant et ça tombe bien, n’ayant lu aucun autre ouvrage du duo.
Le roman nous emmène en Suède dans un pays plus sombre et glauque que la carte postale habituelle.
Le thème est la prostitution et la pédopornographie, et la narration est très crue, sans filtre, droit au but. Les personnages principaux sont deux jeunes adolescentes, Nova et Mercy, l’une suédoise, issue d’une famille disloquée sur fond d’alcool, et l’autre d’origine nigérienne, ayant fui son pays avec sa famille pour échapper au terrorisme, seule rescapée du voyage.
Les deux amies se retrouvent dans un centre de jeunes filles cabossées par la vie et sont suivies par Love Martinsson, leur thérapeute qui tente de les reconstruire. À chacune une histoire différente, le lien commun est une vie brisée par le sexe sale, la violence, la prostitution.
L’une d’entre elles se suicide, une enquête est ouverte, le détective Kevin Jonsson entre en scène et va bien entendu croiser sur sa route Nova et Mercy.
Les deux filles sont en cavale suite à une mauvaise passe et ont quitté le foyer. Elles sont prêtes à tout pour gagner suffisamment d’argent et réaliser leur rêve, repartir d’une page blanche, loin de toute cette merde.
Leurs péripéties font froid dans le dos, elles se vendent à des hommes aux profils variés, souvent pères de famille aux situations confortables. Parfois par Webcam, le plus souvent au contact. Ces hommes assouvissent leurs fantasmes les plus sordides. Certains passages sont difficiles d’autant que l’écriture est très imagée. Pour oublier la douleur et faire le job, l’usage d’alcool et de drogue est nécessaire, les filles sont des poupées, de simples jouets entre les mains d’adultes répugnants.
En parallèle, Kevin continue d’enquêter et se retrouve vite face à ses propres démons, lui aussi a morflé petit, tout remonte à la surface lors de l’enterrement de son père quand il recroise son vieil oncle. Il aimerait tellement lui cracher à la gueule sa haine refoulée. Cette enquête est la sienne, celle qui lui permettrait aussi d’aller mieux.
Les personnages sont torturés et on découvre les non-dits dans les familles, les faux semblants derrière le vernis impeccable et ces actes qui brisent l’innocence.
Le roman se compose de courts chapitres et c’est très appréciable car cela permet de reprendre son souffle après les scènes les plus hard ou d’aller vomir pour les plus sensibles avant de poursuivre parce que c’est compliqué de le lâcher.
« Une vie de poupée » est un très bon roman scandinave alternant entre l’innommable, sans concessions et de belles valeurs empreintes d’espoir.
C’est une belle découverte que ce roman fantastique traduit du catalan et écrit par Albert SANCHEZ PINOL. L’auteur a déjà été publié en France et son œuvre reconnue internationalement.
L’histoire se passe dans les Pyrénées en 1888, la nature est sauvage et rude et le cadre inhospitalier. C’est un lieu de passage entre la France et l’Espagne pour les contrebandiers et la population locale y vit une partie de l’année à la saison la plus favorable dans leurs Ostals.
C’est l’endroit idéal pour se faire oublier ou échapper aux autorités des deux côtés de la chaîne montagneuse. C’est précisément ce que Ric Ric, le personnage principal est venu chercher. Ric Ric est un type au physique ingrat, anarchiste dans l’âme, désargenté et à l’affût de lendemains meilleurs. Il a l’art de s’attirer des ennuis avec sa grande gueule et ses grands idéaux et se fait maltraiter par l’aubergiste locale, véritable maître des lieux qui en fait son larbin et le loge dans une grotte.
Sa rencontre avec Mailis, belle femme et cultivée va le pousser par amour à se rebeller et fuir dans la montagne. Pendant sa fuite, à bout de force, Ric Ric, de désespoir poignarde un champignon géant. Cet acte va changer le cours de l’histoire, un phénomène inattendu se produit, le végétal prend vie. Il nomme le fungus « Le borgne » et va vivre un hiver entier reclus dans sa grotte à ses côtés.
Cette période lui permet de prendre conscience de la puissance démesurée du borgne et de sa totale obéissance, une idée lui vient alors en tête. Il va former une armée de fungus qui lui sera vouée corps et âme et il va se venger de l’aubergiste, des autorités, de tous ceux qui l’ont exploité et maltraité.
Avec ce pouvoir il compte bien retrouver Mailis et parvenir à ses fins, créer une société calquée sur ses idées, fraternelle et anarchiste.Mais Ric Ric va se faire dépasser par son pouvoir, il devient abject, aviné du matin au soir.Il affronte en chef de guerre grotesque, l’armée espagnole puis l’armée française avec ses fungus. Au bout du compte, la victoire est amère, l’amour est perdu et le chef est déchu, Ric Ric redescend de la montagne à poil.
Ce roman est un énorme délire épique, page après page, je me suis fait happer dans cet univers fantastique et sombre à la fois. L’écriture de l’auteur rend l’immersion parfaite. La relation entre les personnages est complexe, profonde et celle entre hommes et fungus donne une sacrée leçon d’humilité. À croire que le pouvoir rend con…
C’est une expérience particulière de lire ce roman de Mohammad RABIE déjà paru en arabe et traduit enfin en français, ce qui m’a permis de découvrir cet auteur. À lire sa biographie, l’homme semble plutôt bien sous tous rapports !!! Natif du Caire, ingénieur de formation et auteur de trois romans dont celui-ci. Il est clair qu’il ne manque pas d’imagination et son écriture est d’une rare violence, au point que certains passages ont réussi à me choquer, c’est peu dire.
L’histoire se passe au Caire en 2025, la partie Est de la ville a été envahie et occupée par la République des chevaliers de Malte et a l’emprise sur une population désabusée et résignée. L’Ouest du Caire est sous la protection d’une résistance qui a été organisée par la police avide de vengeance et soucieuse de redorer son blason post printemps arabe.
Le personnage principal est le colonel Ahmad Otared, posté avec ses hommes au sommet de la tour du Caire et chargé de tirer sur tous les opposants au sniper. Les balles pleuvent, au départ les cibles sont choisies, l’homme est précis, une balle, une tête, un mort puis les civils vont également faire les frais de la précision du colonel et de ses hommes. Des chargeurs entiers sont vidés par centaines.
Mais vient le temps ou la mission de la tour se termine et Otared s’infiltre dans la zone occupée, il s’immisce au cœur de l’enfer et prend totalement conscience du chaos, lui le dur à cuire. La population survit, se livre au vol, au viol, à la défonce, il n’y a plus aucune limite.
Otared rencontre sur son chemin Farida, lors d’une passe. La prostituée va recroiser son chemin ou vice versa et un début d’espoir va naître, certainement un des seuls du roman.
Au fil des pages, l’auteur nous renvoie à différentes époques qui permettent de mieux comprendre les personnages clé et leur passé et l’ensemble s’imbrique à la perfection au dénouement de l’histoire et donne un rythme fou.
Il y a tout de même un moment où je me suis demandé pourquoi autant de violence, est ce nécessaire ? Puis l’auteur arrive à rendre cette surenchère de viols, de brutalité, de litres de sang coagulés poétique . C’est ce qui est fascinant et marquant cette faculté de passer de l’horreur la plus absolue à une douce noirceur empreinte d’espoir. Sachez que l’espoir est de courte durée, tous les protagonistes sont rattrapés par leurs démons.
« Trois saisons en enfer » vous met la tête dans la cuvette et elle est pleine de merde ! Pour ma part, j’ai eu ma dose de nauséabond et m’en rappellerai longtemps, un électrochoc assuré.
L’auteur Guillaume AUDRU, n’est plus à présenter et a déjà démontré son talent dans ces ouvrages précédents, récompensés à juste titre. « Nous sommes bien pire que ça » est un roman court, brutal, sans concessions.
Le personnage principal est Simon FLEURUS, un capitaine de l’armée, reconnu pour ces actes d’héroïsme à VERDUN pour avoir sauvé l’ensemble de sa compagnie au péril de sa vie. À la fin de la 1ère guerre mondiale, il n’est plus que l’ombre de lui-même et attend simplement de pouvoir rentrer chez lui. Il n’est plus en phase avec l’armée et ses propres convictions, surtout depuis sa participation aux tribunaux militaires. Il est vu par ses hommes comme le traître qui a condamné bon nombre des siens, jugés comme mutins, au bagne militaire ou au peloton d’exécution.
Le capitaine FLEURUS, usé par la guerre, hanté la nuit par l’image d’hommes déchiquetés, se voit refuser sa demande de retour auprès des siens. Au lieu de ça, sa hiérarchie l’envoie enquêter au cœur d’un bagne militaire, tout au Sud de l’Algérie. Il sera accompagné du Major ZAMBERLAN, l’ordre de mission est non négociable et le départ est immédiat. Paris, Marseille, Alger, une marche à travers le désert d’une semaine puis arrivée au bagne d’OUCHKIR. L’enquête peut commencer, le motif officiel est d’observer le fonctionnement du bagne, le motif officieux est de comprendre pourquoi il y a tant de désertions.
À ce moment clé du roman, on rentre dans l’horreur des bagnes militaires et l’écriture de l’auteur est implacable, rendant l’atmosphère étouffante et difficilement supportable. On assiste au calvaire des condamnés totalement à la merci des Chaouch, ces surveillants de bagne, brutaux et sadique.
Le colonel GARDANNE est le maitre des lieux et voit d’un mauvais œil l’arrivée de FLEURUS, d’autant qu’il comprend peu à peu ses véritables intentions. Le lien entre les deux hommes va se tendre au fur et à mesure des pages. Le Colonel tentant en vain de corrompre FLEURUS, celui-ci ne supportant plus le funeste quotidien du bagne. Les violences, les humiliations, les viols, les tortures, il doit faire son rapport au plus vite. Il se confronte aux hommes, enquête, recense, note et découvre une administration au-dessus de tout sens moral. L’enquête devient une quête de rédemption.
Parallèlement à cet enfer, le roman fait des sauts dans le temps, plus précisément en 1955 ou l’on suit Gabriel FLEURUS, le fils de Simon, sur les traces de son père en pleine guerre d’Algérie. Il vient à la rencontre du Colonel GARDANNE, devenu un vieillard sur la fin. Les échanges entre les deux hommes sont sans équivoque, Gabriel est venu boucler la boucle. La destination finale sera bien sûr OUCHKIR ou il ne subsiste que les ruines du bagne et les stigmates de l’horreur.
Ce roman transperce, prend aux tripes et marque page après page de façon indélébile. Il met en exergue la noirceur de l’Homme de façon remarquable. Absolument un incontournable.
LËD ou glace en russe est le titre du dernier opus de Caryl FEREY. L’auteur nous a habitués à voyager à travers ses différents romans et cette fois-ci, il nous emmène en Russie.
La recette de l’auteur reste la même, seuls les ingrédients changent. Alors est-ce du réchauffé ou pas ? Personnellement, je me suis délecté du début à la fin. On reconnait de suite l’écriture incisive, l’immersion est totale, l’histoire est documentée, l’enquête est solide. Apprêtez-vous à avoir des engelures aux doigts en feuilletant ce roman qui nous parachute à Norilsk, la ville la plus au Nord de la Sibérie et la plus polluée au monde.
L’univers est glacial et rude et les aurores boréales ne parviennent pas à donner de magie à cette ville ou le froid vous transit et vous glace à jamais. On y découvre une population jeune qui se tue dans les mines de Nickel et noie sa peine dans la vodka pour oublier un quotidien sans lendemain meilleur. C’est ni plus ni moins qu’un goulag moderne, et les parallèles dans le roman sont nombreux, notamment lorsque Dasha apprend que sa grand-mère, sa Babouchka était une Zek, condamnée au goulag pour un motif des plus futile.
L’enquête se déroule donc dans cet univers, lourd d’un passé post Stalinien et aujourd’hui en proie à la corruption d’une Russie toujours nébuleuse. La première victime est un Nénet, un membre d’un peuple ancestral de Sibérie. Ce peuple survit en marge de cette société, ayant comme seule ressource ses troupeaux de rennes et la toundra comme seul refuge. Boris Ivanov est en charge de l’enquête. D’autres victimes vont se succéder au profil très différents. Le coupable est vite désigné, un vieil Ouzbek, ancien militaire, devenu chauffeur de taxi. Pour autant, l’enquêteur n’est pas convaincu et persiste jusqu’à mettre le doigt dans les rouages d’une corruption tentaculaire, l’impactant bien au-delà de ce qu’il pouvait penser.
L’espoir est mince dans ce roman, les personnages semblent résignés et les enjeux financiers du nickel supplantent toute humanisme. On nait à Norilsk ou on y vient pour se faire oublier mais on en repart très rarement. Les sujets traités sont variés passant du peuple autochtone opprimé à l’exploitation humaine, de la catastrophe écologique à l’homosexualité bannie, de la corruption à l’émergence de groupes ultranationalistes et j’en passe, c’est très dense, intense et glaçant.
Le dénouement est éclatant, sanglant et justice faite…si seulement.
Alors faut-il risquer l’engelure et l’amputation ? Je vous réponds DA DA DA.
Après avoir lu et chroniqué « Le réveil de la bête » qui m’a vraiment emballé, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec l’auteur Jacques MOULINS. Le contact s’est fait en toute simplicité par téléphone, questions-réponses en direct, spontanéité et bon moment en prime.
Parlez-moi de vous :
Je suis journaliste…pour le reste je suis discret et tiens à le rester.
Ok, très bien et l’écriture, pourquoi, depuis quand ?
C’est une réelle passion, j’écris depuis l’âge de 13 ans, j’ai commencé par des poèmes.
Puis j’ai pensé à écrire un roman historique mais cela me laissait moins de place à l’imaginaire et à la fiction. Je me suis donc tourné vers le roman policier.
Pourquoi ce thème ?
Je m’appuie sur une réalité d’Europol en rajoutant une part de fiction, ainsi que les relations entre ses fonctionnaires et les responsables politiques. J’ai voulu traiter ce sujet car il est d’actualité, relater la relation France-Allemagne, les difficultés de l’Europe en terme de politique et la montée de l’extrême droite… C’est une forme d’avertissement !
Le roman est très précis, très documenté, comment avez-vous procédé ?
Je me suis inspiré de l’actualité, de mon imaginaire, de rencontres et de mon parcours personnel mais une chose est sûre, je ne connais aucun Milosz ! (rires…)
Comment avez-vous écrit et construit votre roman ?
Je l’ai écrit sur plusieurs mois à la main contrairement à ce que je fais en tant que journaliste ou je rédige mes articles sur ordinateur, je tiens à faire un vrai distingo entre les 2. Je l’ai construit en pensant déjà à la suite, tout est déjà en place.
Super nouvelle, il y a donc une suite ! Peut-on en parler sans spoiler quoi que ce soit ?
Bien sûr, vous l’avez-vous-même souligné dans votre chronique, il y aura une suite, le 2ème est déjà bien avancé, on y retrouvera un certain nombre de personnages marquants avec bien entendu des évolutions et un autre contexte.
Et bien j’ai hâte ! Quel est votre état d’esprit à la sortie de votre premier roman, quels sont les retours ?
Pour le moment c’est positif, j’attends encore d’autres retours par GALLIMARD. Le contexte est un peu particulier en raison du COVID, beaucoup d’évènements sont annulés et je reste dans l’attente.
Par curiosité, avez-lu ma chronique sur le site Nyctalopes ?
Bien entendu, j’avais déjà entendu parler du site et vous avez été les premiers à me chroniquer, j’en suis ravi, merci.
Merci à vous, merci pour cet échange et j’espère vous lire très prochainement.
Nikoma
Entretien téléphonique réalisé vendredi 25 septembre.
C’est un premier roman ? Eh bien, chapeau bas M. Jacques Moulins. Je n’ai malheureusement rien trouvé sur le net pour vous présenter l’auteur et ne connaît donc rien de son univers mais il fait une entrée et/ou une rentrée fracassante.
Pour ce qui est du roman, on suit une enquête palpitante à dimension européenne. Tout débute par le meurtre de Maryam Binébine, une jeune femme retrouvée égorgée dans son appartement parisien. Il s’avère qu’elle avait infiltré via le net un groupe d’ultra nationalistes des pays de l’Est très actif et dangereux. Son activité l’avait conduite à devenir une informatrice de la section antiterroriste d’Europol. Deniz Salvère, en contact avec elle, à la direction du service, se saisit de l’enquête. On découvre alors le fonctionnement plutôt méconnu d’Europol, des enjeux politiques et de l’essor de l’extrême droite en Europe. L’enquête nous fait voyager en passant des Pays-Bas à la France, la Slovaquie ou encore en Allemagne et démontre la fragilité des relations entre l’Europe de l’Ouest et celle de l’Est.
Au fil de l’histoire, on fait la connaissance de beaucoup de personnages, avec chacun leur personnalité et leur histoire et l’auteur réussit avec talent à les rendre marquants. Milosz en fait partie, lui le jeune homme dont la vie cassée et violente l’a poussé à rencontrer Pet, Mattheus, Bor, Gert…sa nouvelle famille. Il bosse pour cette bande d’ultra en devenant naïvement un brillant pirate informatique. Il réussit même avec Lencka, sa petite amie à rêver d’un avenir meilleur et partir loin de cette vie de merde. La violence et l’alcool pour lui, les coups et les viols pour elle.
La cybercriminalité est au cœur du roman et fait froid dans le dos. Elle n’est pas palpable et pourtant, elle permet de se ramifier partout, dans tous les domaines, de propager des idées, de faire gagner des élections et de tuer quand c’est nécessaire. Deniz Salvère et son équipe luttent sur le net comme sur le terrain, cherchant les liens entre les deux, c’est ce qui donne à l’enquête toute sa complexité et sa densité. L’histoire nous plonge dans l’action sans jamais faire de pause, c’est précis, documenté et du coup ça devient flippant de réalisme. Les chapitres sont courts, fixés sur un personnage en général et à chaque chapitre un point de vue, le tout parfaitement lié.
Et cette fin qui nous achève, heureuse pour certains, douloureuse pour d’autres.
On peut rêver à une suite avec les mêmes personnages, ou tout simplement à un deuxième roman rapidement, ce qui est sûr, c’est que c’est excellent du début à la fin.
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