Chroniques noires et partisanes

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TRAJECTOIRE de Richard Russo / La table ronde.

Traduction: Jean Esch.

Ecrire que l’on retrouve un auteur tel que Richard Russo avec plaisir relève sans doute d’un certain masochisme tant il fait mouche. Moi qui ai tendance à m’identifier à ces personnages qui se battent avec les éléments de la vie, jamais très loin de la crise existentielle, je ne sors pas indemne de ces lectures même si je m’amuse aussi beaucoup.

Il est toutefois facile d’écrire que ce recueil est très réussi, qu’il concentre tout le savoir faire de l’écrivain qui creuse son sillon. Il sait raconter des histoires – et elles sont toujours aussi cocasses ! -, et connaît bien les désirs et les tourments de la psychologie humaine capable dans un même de temps de se tromper et de déceler une vérité. Le titre de ce recueil est vraiment bien trouvé. Il s’agit de trajectoires sans forcément une chute dans des milieux professionnels et des lieux différents. On retrouve des professeurs, un agent immobilier, un écrivain, des producteurs de cinéma, des histoires de famille, le Maine mais aussi Venise et Santa Fe.

Richard Russo a heureusement l’art de laisser toujours une porte de sortie à ses personnages. Vous ne connaissez pas encore Russo, ce recueil est une belle porte d’entrée. Vous avez la chance de connaître l’œuvre de Russo, ce recueil va vous ravir.

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PATRIA de Fernando Aramburu / Actes Sud.

Traduction: Claude Bleton.

Presque à la fin du roman, les deux enfants devenus grands du Txato assassiné par l’ETA il y a quelques années assistent à la conférence d’un juge-écrivain. Il est fort possible que les propos de cet auteur de fiction qui évoquent son travail sur le conflit soient ceux de Fernado Aramburu. Il explique qu’il a cherché uniquement et sans pathos à décrire les souffrances des victimes de l’ETA. Il n’y a donc aucune place pour un quelconque romantisme révolutionnaire dans Patria. Le constat est implacable : les 800 morts de ce conflit n’ont aucune justification possible.

Cette fresque historique qui se déroule en grande partie dans une bourgade montagnarde du pays Basque retrace la vie de deux familles qui se déchirent durant ces années de conflits jusqu’à ce que l’ETA rende les armes. Le roman avance deux pas en avant et un pas en arrière. Il y a la pression du village, les menaces sur le Txato, chef d’une entreprise de transport, son inévitable assassinat, jusqu’à l’arrestation du commando. Puis, il y a les nombreux flashbacks sur le passé qui vont permette de mieux comprendre ce qui s’est joué à chaque instant. On suit chaque membre des deux familles dans leurs difficultés à vivre au quotidien dans cet environnement impossible avant et après l’assassinat du Txato qui fige toutes les relations sociales. Tous les personnages sont bien campés.

Dans la conférence du juge écrivain que j’évoquais au début de cette chronique, un des protagonistes se demande quel sens il y a à écrire un roman ou à réaliser un film sur un tel sujet. L’art ne peut rien changer au cours de l’histoire. Les très belles pages de ce pavé permettent pourtant de comprendre le processus qui a conduit à cet impensable, à cette folie meurtrière. La pression qui s’exerce sur l’ensemble des acteurs du conflit est très très bien décrite.

Suivez le retour de Bittori, la femme du Txato dans ce village après la fin des hostilités, le courage de celle-ci qui part souvent sous la pluie parler à voix haute sur la tombe de son mari. Elle a une obsession qui est la seule qui vaille pour terminer un tel conflit et si vous lisez ce roman jusqu’au bout, vous saurez si elle arrive à ses fins. Il ne vous restera alors plus qu’à pleurer.

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POUR SERVICES RENDUS de Iain Levison / Liana Levi.

On ouvre un roman en étant influencé par son état. Ce week-end, je n’étais pas en forme et j’ai pensé un petit Iain Levison me ferait du bien, que je pourrais rire des absurdités qu’il met en scène. En fait, ce roman ne m’a pas fait rire, et je me suis rappelé ce qu’Iain Levison me répondit il y a quelques années.

« Ça arrive très souvent au boulot que je fasse une remarque, et mes collègues me trouvent drôle, mais je n’avais pas l’intention de l’être. Je suis sarcastique, et je sais repérer l’injustice et l’exploitation, mais je ne suis certainement pas un comique. Je suis juste content que les autres estiment que dans ce que j’ai écrit, il y a pas mal de choses drôles. »

Dans ce roman, Iain Levison est implacable. La guerre au Vietnam n’a rien à voir avec celle du débarquement. Il n’y a pas de héros et les civils sont les premières victimes. La politique, c’est une combinaison de sales coups. Draken, la recrue pas très douée du Vietnam, est devenu un homme politique important en 2016 et se présente une nouvelle fois aux élections dans Le Nouveau-Mexique. Un soir, en meeting, il raconte un épisode peu glorieux de son action au Vietnam en inversant les rôles. Malheureusement pour lui, il sera contredit ce qui l’entraînera à créer un nouveau mensonge qui l’entraînera à créer un autre mensonge. Dans cette partie-là, on pourrait se croire dans un roman de Carl Hiaasen tellement les politiques et les médias sont ridicules. Ce qui est bien chez cet auteur, c’est que les personnages restent toujours des humains.

« Les gens ne sont ni parfaits ni néfastes intrinsèquement , et c’est comme ça que j’aime les dépeindre. Donc c’est par les gens que je commence , et je construis l’histoire autour d’eux. »

A l’ère de Trump et des fake news, il n’est pas étonnant qu’Iain Levison ait choisi le mensonge comme thème de son roman. Il est malheureusement dommage que les gens ne lisent plus ou peu. On pourrait prescrire la lecture de « Pour services rendus » à tous les Américains en échange d’un remboursement par l’Obamacare.

« A chaque fois que j’ai écrit quelque chose dont je pense qu’il exprime vraiment bien une certaine émotion, je me sens plus léger, comme physiquement soulagé d’un poids. »

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TU DORMIRAS QUAND TU SERAS MORT de François Muratet / Losfeld.

Cela fait 15 ans, depuis « La Révolte des rats » roman paru aux édition Le Serpent à plumes en 2003 que l’on avait plus de nouvelles de François Muratet. Et voilà qu’au détour d’une conversation avec l’éditrice Joëlle Loseld lors d’un débat avec Marc Villard, j’ai appris la sortie de « Tu dormiras quand tu seras mort ». J’ai ouvert avec une certaine appréhension ce roman. Je craignais que François Muratet dont mon souvenir était bloqué sur une rencontre que j’avais organisée entre lui et Francis Chateauraynaud autour du sociologique numérique Marlowe, ne soit plus à la hauteur.

Très vite, j’ai été embarqué dans l’histoire, celle du jeune officier André Leguidel, embarqué dans la grande histoire de la guerre d’Algérie, guerre qui n’en a pas le nom. « Tu dormiras quand tu seras mort » est sur le même mode – dans une certaine mesure – de l’épopée aux confins des montagnes afghanes de La « Quête de Wynne » d’Aaron Gwyn paru aux éditions Gallmeister en 2015.

François Muratet, professeur d’histoire né au Maroc, connaît son sujet et sait conter une aventure à échelle humaine. Dans cette narration subjective à la première personne, il n’y a pas des bons et des méchants. Il y a des relations entre des humains dans un monde complexe où les frontières entre Français et Arabes sont mouvantes et chargées.

Ce roman noir est criant de vérité. On y croit et peu importe finalement la mission d’espionnage d’André Leguidel qui doit découvrir si le chef de son commando de chasse, l’Arabe Mohamed Guellad a tué l’officier français qui l’avait remplacé, les protagonistes de ce roman d’aventure pourraient avoir vraiment existé et participé à la grande histoire.

J’espère que François Muratet mettra un peu moins de temps pour écrire son prochain roman.

BST.

 

 

LES BIFFINS de Marc Villard / Editions Joëlle Losfeld.

Marc Villard écrit à l’oreille. Bien que catalogué auteur issu du néo polar, communiquer une idée est moins important pour lui que produire la musique qu’il attend. Mais ne dites pas à Marc Villard qu’il n’y a pas d’intrigue dans ses récits.

Dans les Biffins, on retrouve la fille de Bird, Cécile, qui travaille toujours au samu social. Un incendie d’un hôtel type marchand de sommeil et un crime d’un SDF la pousse à changer d’air et à travailler pour les biffins au nord de Paris. Mais ce crime la rattrapera. Dans cette novella, on traversera le tout Paris des déshérités. On retrouvera même un clochard qui se nomme Bernard. Je ne sais où Marc Villard va chercher cela. Mais surtout et c’est le plus important pour moi, on prendra le temps de lire la poésie beatnik du maître de la nouvelle noire. On la repassera en boucle sur le tourne disque comme un morceau de jazz dont on cherche à connaître le secret.

« Boulevard du Montparnasse traînées rouges sur l’asphalte, premiers coursiers en dérapages contrôlés, putes asiatiques aux chaussettes fines grimpant au-dessus du genou et ça n’est pas érotique, pisseur de parking beuglant la Marseillaise. »

Chez Marc Villard, il n’y pas de longue exposition, pas de faux thriller avec des rebondissements sans fin. Juste de la littérature urbaine sans cadeau mais avec une certaine humanité néanmoins.

BST.

 

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