Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Brother Jo (Page 2 of 9)

LES DEUX VISAGES DU MONDE de David Joy / Sonatine.

Those We Thought We Knew

Traduction : Jean-Yves Cotté

« Après quelques années passées à Atlanta, Toya Gardner, une jeune artiste afro-américaine, revient dans la petite ville des montagnes de Caroline du Nord d’où sa famille est originaire. Bien décidée à dénoncer l’histoire esclavagiste de la région, elle ne tarde pas à s’y livrer à quelques actions d’éclat, qui provoquent de violentes tensions dans la communauté. Au même moment, Ernie, un policier du comté, arrête un mystérieux voyageur qui se révèle être un suprémaciste blanc. Celui-ci a en sa possession un carnet, sur lequel figure une liste de noms de notables de la région. Bien décidé à creuser l’affaire, Ernie se heurte à sa hiérarchie. Quelques semaines plus tard, deux meurtres viennent endeuiller la région. Chacun va alors devoir faire face à des secrets enfouis depuis trop longtemps, à des mensonges qui durent parfois depuis plusieurs générations.« 

La sortie d’un nouveau David Joy a toujours de quoi réjouir. Il y a déjà ses romans, qui sont généralement plutôt bons et toujours honnêtes, et puis il y a le bonhomme qu’il est difficile de ne pas apprécier. J’écrivais dans ma chronique de Nos vies en flammes, son précédent roman, que pour moi il n’y avait pas encore eu de grand roman de David Joy. Tous bons mais encore point de chef-d’œuvre franchement mémorable. Qu’en est-il de Les deux visages du monde, son cinquième roman qui paraît chez Sonatine ? 

Les habitués de David Joy ne seront pas dépaysés, l’intrigue de son nouveau roman ne se déroule pas à Cancale, mais bien dans l’Etat de Caroline du Nord, où vit notre auteur, et plus précisément dans la ville de Sylva. Et s’il y a une chose que David Joy sait faire, c’est écrire sur les paysages qu’il connaît. C’est dans ce décor qu’il décide de s’attaquer à la problématique du racisme et ses différents visages.

Je vais peut-être commencer par les points faibles du livre, car oui, il y a quelques points faibles et notamment l’intrigue. Il était difficile de faire plus prévisible. On comprend très rapidement où on va et Joy ne nous réserve aucune surprise. Enfin presque aucune surprise. Il y a bien, vers la fin, un twist que je ne vais bien évidemment pas révéler, mais un twist si peu crédible que la fin semble presque un peu bâclée. Dommage ! Ses personnages aussi sont très prévisibles, pour ne pas dire stéréotypés. Mais la prévisibilité de l’ensemble fait-elle de Les deux visages du monde un mauvais roman ? Non ! 

Je l’ai évoqué précédemment, David Joy est particulièrement doué pour nous décrire sa région. Dans ce livre, il prend vraiment le temps de poser le décor, de construire une atmosphère. Cette lenteur instaure une dynamique très réaliste. Si vous cherchez un roman où l’action prédomine, vous pouvez passer votre tour. David Joy veut prendre le temps de correctement immerger ses lecteurs dans son environnement et il fait bien.

On retrouve également sa plume, très simple, aussi facile qu’agréable à lire. Et aborder, avec cette plume, des sujets aussi cruciaux que le racisme à travers les générations, le racisme systémique, l’héritage de l’histoire et sa transmission, et enfin la fracture entre ceux qui ont véritablement subis cette histoire, et ceux qui l’interprètent comme ils veulent, c’est l’assurance d’avoir un propos compréhensible par le plus grand nombre. Il donne matière à débattre, il questionne et, de ce fait, peut éventuellement éveiller les consciences. Ainsi écrit, son roman a une portée universelle. 

Avec Les deux visages du monde, David Joy signe un roman noir à très forte dimension sociale, moins brut que ses précédents et plus atmosphérique, mais clairement dans l’air du temps. Le racisme a des racines profondes et est encore bel et bien d’actualité. Toujours pas le grand chef-d’œuvre de David Joy (je sais, je persiste…), ni même son meilleur livre, mais il a définitivement le potentiel pour trouver son public. 

Brother Jo.

LÀ OÙ LES LUMIÈRES SE PERDENT, Entretien avec DAVID JOY , LE POIDS DU MONDE, CE LIEN ENTRE NOUS , NOS VIES EN FLAMMES.

VIANDE de Martin Harníček / Monts Métallifères éditions.

Maso

Traduction: Benoit Meunier

Il n’y a plus ni animaux, ni végétaux, et la seule nourriture disponible est la viande humaine. Ce qu’il reste de vie s’organise autour des halles, une immense boucherie sur laquelle une caste de policiers exerce son autorité impitoyable, punissant le moindre faux pas d’abattage immédiat : il faut bien approvisionner la ville en viande fraiche.

Habitant de ce monde cauchemardesque, le narrateur de Viande est un monstre ordinaire. Affamé perpétuel, obsédé par la viande, il comprend que le meilleur moyen d’en obtenir est de collaborer avec la police et de devenir un délateur professionnel. Mais, lui-même victime de délation, il se voit obligé de fuir la ville…

Vous ne connaissez peut-être pas encore la petite maison d’édition des Monts Métallifères mais ses publications, intéressantes et particulièrement soignées, méritent toute votre attention. Il fallait oser publier Viande pour la première fois en France, œuvre de l’écrivain tchèque Martin Harníček, un court roman initialement publié en 1981 et qui, aussi bon soit-il, s’avèrera peu ragoûtant pour beaucoup et ne sera définitivement pas le livre préféré des végétariens.

Avec Viande, peut-être tenons nous le feel-bad book de l’année. La couleur est d’ailleurs annoncée par la collection dans laquelle celui-ci est publié, j’ai nommé Pb82, soit le plomb dans le tableau périodique des éléments. Une collection dédiée aux fictions plombantes ! Qui dit mieux ? 

133 pages qui nous embarquent dans une spirale infernale. Dans une société dystopique totalitaire, notre narrateur est aux prises avec un système asservissant les gens par la faim, un système qui pousse les êtres humains à assouvir leurs instincts les plus primaires dans d’ignobles conditions. Ici, c’est le cannibalisme qui permet à l’humanité de survivre. Manger son prochain ou être mangé. Pour être le plus légal possible et ne pas finir abattu par la police, puis vendu sur un étal de boucher, il faut se faire remettre des tickets pour aller chercher sa viande dans des halls. Le hall de première classe pour les mieux lotis (la viande y est plus fraiche), de deuxième classe ou de troisième classe pour les plus miséreux qui n’ont le droit qu’à une viande infâme. La déshumanisation est totale et notre narrateur est obsédé par sa quête de viande. Mais dans sa lutte pour survivre, il va aller de déconvenue en déconvenue et terminer au plus bas de la société. Si en fuyant cette ville si suffocante il aura l’opportunité de trouver son salut, cela ne se passera comme on aurait pu l’espérer.

Viande est ce que l’on pourrait qualifier de littérature sans littérature. L’écriture à la première personne est complètement factuelle, crue, sans aucune empathie ou émotion. Rien n’est fait pour vous faire aimer Viande. L’expérience de lecture, bien que fluide et limpide dans le texte, se veut tout ce qu’il y a de plus désagréable et dérangeante. Nul plaisir à éprouver mais ça ne peut laisser indifférent. 

Le roman de Martin Harníček est un roman trouble et dérangeant sur les rouages du mal. Une lecture percutante pour laquelle il faut avoir l’estomac bien accroché. A consommer de préférence à distance des repas.

Brother Jo.

NUL CREPUSCULE N’EST TROP PUISSANT de Dwyer Murphy / Le Gospel.

An Honest Living

Traduction: Alex Ratcharge

Épuisé par la firme gigantesque qui l’emploie, un avocat démissionne et tente de survivre dans un New York crépusculaire au début des années 2000. Un jour, frappe à sa porte Anna Reddick, une jeune femme qui lui demande de mettre la main sur une collection de livres rares subtilisée par son ancien mari. Il accepte cet argent facile et retrouve la trace du fautif. Quelques jours plus tard, une autre femme se présente à sa porte. Il s’agit de la véritable Anna Reddick qui lui annonce la mort de son mari et le charge de découvrir la vérité. Aidé par un poète vénézuélien, l’avocat se lance dans une enquête dont les seuls indices sont les livres collectionnés par le défunt.

La maison d’édition Le Gospel continue son bout de chemin dans le milieu de l’édition et se forge petit à petit son identité avec ses publications singulières. Nul crépuscule n’est trop puissant est le premier roman de Dwyer Murphy, ex-avocat, à être publié. La couverture est superbe, le titre fort et poétique, et les références citées (Paul Auster, Better call Saul, The long goodbye de Robert Altman) alléchantes. Mais vous savez ce que l’on dit, on ne juge pas un livre à sa couverture… 

Tenter de s’étendre sur l’intrigue écrite ici par Dwyer Murphy est un peu vain. Ce que le synopsis nous dit et un peu tout ce qu’il y a en dire, dans le sens où, il n’y a pas vraiment d’intrigue. Ou plus exactement, l’intrigue ne semble pas du tout centrale. On peut supposer que c’est un choix, même si certain(e)s pourraient y voir là une maladresse. 

Ecrit à la première personne, le roman de Dwyer Murphy, sous couvert d’une pseudo enquête de notre narrateur qui tente, sans grande conviction, de faire la lumière sur une potentielle histoire de fraude fiscale impliquant des livres, ainsi qu’un mort qui ne l’est peut-être pas, et une possible romance entre lui et la femme qui l’embauche, nous plonge avant tout dans une atmosphère. Cette atmosphère c’est le New York (plus spécifiquement Brooklyn) du milieu des années 2000, donc juste après le 11 septembre et avant l’émergence des smartphones et de la multiplication des accès à internet, en plein été et en pleine gentrification. On y déambule et on y rencontre toutes sortes de personnages, souvent désenchantés mais assez hauts en couleurs, dont pas mal ne semblent avoir aucun but, notre narrateur y compris. Pour être franc, notre personnage principal n’a rien d’attachant, manque de substance pour vraiment exister, et son apathie le définit plus que sa volonté. J’irai même jusqu’à dire que toute la galerie de personnages secondaires qui s’offre à nous sont plus concrets que lui. 

Pour le style, c’est écrit. C’est même très écrit. On est dans l’exercice de style référencé et poétique. Quelque chose d’assez beau, d’assez immersif, mais qui peut également agacer. On peut trouver ça un peu pompeux. Aussi, ça paraît écrit sans véritables émotions. C’est assez froid et distant. Mais tout cela contribue à l’atmosphère particulière du livre. On peut y être sensible et se laisser porter, bien que l’on ne sache jamais si l’on va vraiment quelque part, ou y être totalement hermétique. Ceux qui cherchent l’action seront fatalement déçus. Pour citer le narrateur à propos du film Chinatown : « C’était mieux que dans mes souvenirs, plus calme, avec un éclairage intéressant, et une intrigue où il ne semblait pas se passer grand-chose. » Cette remarque peut tout aussi bien s’appliquer à notre roman. Même lui mettre l’étiquette « roman noir » me semble difficile. On n’est pas dans le noir franchement dur comme on en lit souvent aujourd’hui, et on n’est pas non plus dans le noir à l’ancienne, bien que la quatrième de couverture nous laisse entendre que ce serait un hommage aux classiques du genre. Paraitrait même qu’il réinvente le genre. 

Je ne pense pas que Dwyer Murphy réinvente quoi que ce soit avec Nul crépuscule n’est trop puissant mais l’approche est particulière. Le roman étant difficilement catégorisable, il risque en revanche d’en frustrer ou d’en irriter plus d’un(e). Il est, à mon sens, un peu tout ce que l’on ne s’attend pas à ce qu’il soit. Plutôt que du roman noir, serait-il plus juste de dire que nous avons affaire à du noir atmosphérique ? Honnêtement, je ne sais que répondre. Mais il a un certain charme et la plume ne laisse pas indifférent. Un livre qui illustre parfaitement, une fois de plus, la devise de la maison d’édition Le Gospel : « Nos livres ne sont pas pour tout le monde. »

Brother Jo.

UN MOMENT DE DOUTE de Jim Nisbet / Editions Abstractions

A Moment of Doubt

Traduction: Jean-Yves Cotté

Jim Nisbet, auteur bien noir disparu en 2022, dont on m’a vanté les mérites mais que je n’avais pas encore pris le temps de lire, fait un retour posthume. Ce sont les éditions Abstractions qui publient Un moment de doute, roman initialement publié outre-atlantique en 2010, quand bien même en France l’auteur semblait lié à l’éditeur Rivages. 

Est-ce pour moi une bonne idée de découvrir Jim Nisbet en commençant pas sa dernière publication ? Ce n’est pas certain. Un moment de doute n’est peut-être pas la porte d’entrée la plus facile pour s’initier à son travail.

Un moment de doute nous plonge dans le San Francisco des années 80 aux côtés d’un écrivain de romans policiers. Celui-ci est en pleine écriture de son nouveau roman mettant en scène le détective Martin Windrow, un nom familiers des habitués de Jim Nisbet. Notre narrateur a une relation particulière à la technologie, l’amenant même à pirater la base de données d’un éditeur pour manigancer toutes sortes de choses, mais aussi avec sa logeuse, dont il doit certes payer le loyer, mais aussi satisfaire l’appétit sexuel. Il perd petit à petit les pédales en écrivant son livre et se ressource dans un cinéma porno.

Dans ce roman de Jim Nisbet, la frontière entre réalité et fiction est poreuse, pour son narrateur, autant que pour Jim Nisbet lui-même. Peut-être plus qu’un roman, parlons plutôt de méta-roman. Un moment de doute est surtout une réflexion alambiquée sur l’écriture, et plus spécifiquement sur l’écriture de romans policiers, tortueusement écrit et avec beaucoup de noirceur, mais non sans humour. Pour ma part, le propos ne m’a pas toujours paru évident à saisir, et le fait de ne pas connaître l’oeuvre de Jim Nisbet y est certainement pour beaucoup, mais la dimension exagérément lubrique du livre et le langage informatique utilisés à outrance, aussi. Ici, Nisbet a un peu la main lourde à mon sens, et cela peut sembler relativement gratuit.

Il m’est difficile d’exprimer un avis clair sur Un moment de doute, ce qui arrive mais est toujours frustrant. Ce n’est, pour ma part, ni un bon, ni un mauvais roman, mais avant tout une curiosité littéraire qui aura certainement un intérêt plus affirmé pour les amateurs de Jim Nisbet, mais dont les qualités d’écriture qui sont indéniables, pourront aussi séduire les plus aventureux. Pas le livre le plus évident à sortir pour un éditeur, ni le plus évident à aborder en tant que lecteur, mais peut-être est-ce bel et bien là sa force.

Brother Jo.

DES LARMES DE CROCODILE de Mercedes Rosende / Quidam

Miserere de los cocodrilos

Traduction :  Marianne Millon

En proie à une boulimie depuis l’enfance, célibataire et prête à tout pour sortir des clous d’une vie solitaire, où son unique plaisir est d’épier ses voisins, Úrsula López accepte de s’allier avec Germán, un détenu qui sort de prison avec une commande de l’avocat véreux Antinucci : le braquage d’un transport de fonds blindé.

Plongeant dans la délinquance avec gourmandise, Úrsula tisse sa toile et s’affirme, car « Dieu vomit les tièdes ». Reste cependant à affronter Antinucci et son tueur psychopathe… 

Si vous aviez apprécié l’impertinent et mordant L’Autre femme, de la juriste Mercedes Rosende, publié en 2022 chez Quidam – mais est-ce seulement possible de ne pas l’apprécier ? – vous ne pourrez que vous régaler avec sa suite, Des larmes de crocodile, une fois de plus chez Quidam.

On reprend là où on s’est arrêté dans L’Autre femme et on retrouve notre improbable anti-héro  Úrsula López qui, de plus en plus, me fait un peu penser au personnage de Ignatius J. Reilly dans La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Toujours à Montevideo, la capitale uruguayenne, nous plongeons à nouveau dans une atmosphère très cinématographique façon Fargo (le froid et la neige en moins), le film culte des frères Coen, avec une pointe de Tarantino. L’ambiance ainsi posée, vous pouvez d’ores et déjà présumer que vous allez vous régaler et vous avez tout à fait raison. 

Après un kidnapping hasardeux dans L’Autre femme, c’est ici le braquage d’un fourgon blindé qui s’annonce. Úrsula López, qui demeure acerbe et vengeresse, reste conditionnée par son obésité et ne s’est pas encore défaite de l’influence foncièrement négative de son défunt père, avec qui elle entretien toujours des conversations bien que celui-ci soit mort. Autour d’elle, une belle galerie de personnages très contrastés et, en toile de fond, la corruption policière. Il n’y a pas vraiment de bons et de méchants dans l’histoire. Il y en a de plus vilains que d’autres, mais nul n’est parfaitement clair. Les personnages sont tous un minimum ambigus. La cadence, elle, est efficace car combines et rebondissements s’enchainent. 

Elle refuse de sortir du sommeil, d’abandonner le confort du lit, de quitter la brume, la léthargie, la somnolence, refuse, résiste, mais la rage l’écrase, le rugissement de la colère lui transperce le crâne, perfore, explose, merde, elle ouvre les yeux avec fureur, putain, tend l’oreille, et ressent fortement les engueulades, le tambourinement strident et pénétrant, la haine persistante dans sa tête.

On se délecte à nouveau du style d’écriture stimulant, aussi fin que corrosif, de Mercedes Rosende. Elle a l’art de ciseler avec intelligence et minutie la psychologie de ses personnages. Sa plume, si personnelle et singulière, nous tient en haleine sans difficulté aucune. Le travail de traduction de  Marianne Millon y est pour beaucoup et mérite donc d’être, une fois de plus, salué. 

Elle avait envie de rentrer chez elle, mais pas dans sa maison, pas dans un endroit vide où il n’y aurait jamais personne d’autre qu’elle-même. Alors, c’est quoi la maison, le lieu où l’on est né ? Ou cet endroit où l’on ne peut s’empêcher de retourner même si l’air y est irrespirable et qu’il n’y a pas d’avenir ? Peut-être est-ce justement l’endroit où l’on sait se rendre par coeur, même si une chose sombre et irréversible vous attend, même si c’est pour faire naufrage dans une solitude grise.

Elle marchait, traversait les rues, sentait tomber une bruine, il n’y avait plus de monde, juste une ville vieille et silencieuse.

Depuis lors, les jours se sont déchainés comme des chiens en colère et Úrsula marche depuis nombre d’années, marche toujours dans la Vieille Ville.

Des larmes de crocodile est un roman noir au ton et à l’humour décapants. Tout aussi bon que L’Autre femme, son prédécesseur, on ne peut que se réjouir de ce qui nous attend ensuite, compte tenu de la fin de ce nouveau livre. C’est jubilatoire. Foncez découvrir l’oeuvre de Mercedes Rosende, vous ne le regretterez pas !

Brother Jo.

UNE CRÉATURE DE DOULEUR d’Ella Baxter / Le Gospel.

New Animal

Traduction: Adrien Durand

« Amelia Aurelia est une jeune maquilleuse funéraire accro aux applications de rencontres et aux rencontres d’un soir. Quand sa mère décède soudainement, la cellule familiale explose en même temps que l’entreprise de pompes funèbres qu’elle dirige et qui emploie sa fille. Incapable d’affronter son deuil, Amelia quitte la paradisiaque côte australienne pour retrouver son père, artiste raté parti s’installer dans la Tasmanie rurale, région sauvage et isolée. Sur place, déçue par ses retrouvailles avec son géniteur, Amelia se reconnecte sur une appli de rencontre et découvre par hasard une façon étonnante d’affronter son deuil : le milieu BDSM local. « 

C’est six années qu’il aura fallu à l’australienne Ella Baxter pour écrire Une créature de douleur, son premier roman, qui connaît un succès exponentiel depuis sa publication initiale. Un livre qui n’a probablement pas encore terminé de faire parler de lui. En France, c’est chez Le Gospel que celui-ci sort, l’une des maisons d’édition les plus enthousiasmantes du moment. 

Comment vivre un deuil ? Est-ce qu’il y a de bonnes ou de mauvaises façons de vivre un deuil ? Un deuil est-il une expérience solitaire ou collective ? Quel est le temps du deuil ? Toutes ces questions sont inhérentes à ce à quoi nous confronte Ella Baxter, c’est à dire la perte soudaine d’un être cher.  Une créature de douleur n’est pas une réponse à ces questions mais une exploration très contemporaine de son sujet. 

Notre héroïne, Amelia Aurelia, a un boulot assez singulier pour une jeune femme de 26 ans. Pour l’entreprise funéraire familiale, elle maquille les morts pour leur apporter un dernier souffle de vie. Un travail qu’elle exécute avec une certaine passion et beaucoup de minutie. Mais Amelia ne sait pas vraiment comment se connecter aux vivants. Pourtant pas bien loin du nid familial, elle vit dans un bungalow à côté de la maison de ses parents, elle n’en reste pas moins une personnalité en marge. Elle enchaine les relations sexuelles d’un soir. Elle consomme les corps pour se sentir exister. Mais point d’attachement. Juste le moment. Du sexe façon « love me Tinder ». Il y a aussi ce suicide assez récent qui l’atteint plus qu’elle ne veut bien le dire. Et puis la mort complètement imprévue de sa mère, une simple chute, va la faire basculer dans une intense période de doute et  de douleur. Direction la Tasmanie avec sa nature exotique, pour y retrouver son père, le génétique cette fois, plutôt que d’affronter l’enterrement de sa mère. Là-bas, une rencontre la mènera dans un milieu qu’elle ne connaît pas et qui la poussera dans certains de ses retranchements les plus obscurs.

Si la teneur du sujet annonce le couleur – noire – le roman d’Ella Baxter n’est pas sans lumière. Néanmoins, il a de quoi diviser. Entre les comportements très « génération millénial » de notre protagoniste, que certain(e)s jugeront peut-être un poil immatures, ou une vision du milieu BDSM qui, si j’en crois ce que j’ai lu, n’est pas du goût de toutes et tous, on a là un roman qui n’est peut-être pas pour tout le monde. Mais n’est-ce pas justement le crédo de notre maison d’édition ? Quoi qu’il en soit, ce que l’on pourrait reprocher à son livre n’est, en fait, que très humain. 

La comparaison avec Six Feet Under, la célèbre et tant aimée série d’Alan Ball, est une évidence. La famille, le milieu, l’atmosphère, il y a bien des connexions à faire. Je pense que cette référence peut déjà suffire à vous donner envie de lire le livre. Je me suis d’ailleurs dit qu’il ferait une excellente série et apparemment le projet est en cours. A cela s’ajoute un ton cynique, un humour noir qui fait mouche. Très facile à lire, il reste à voir si certaines images qu’il gravera dans votre esprit, ne vous rebuteront pas. 

Une créature de douleur est un premier roman prometteur. Un traitement un peu atypique d’un sujet universel. Quand bien même la mort est de toutes les pages, la vie est au bout du tunnel. Ella Baxter vient de se faire un nom dans la littérature anglo-saxonne et son deuxième livre est d’ores et déjà dans les tuyaux. Lisez celui-ci d’abord car vous le verrez bientôt sur les écrans.

Brother Jo.

LES FANTÔMES DU LAC – Mémoires d’un village meurtri de Manon Gauthier-Faure / Marchialy

Deux jeunes sœurs sont mortes noyées dans un village de la Marne en 1978. On raconte les avoir retrouvées dans un étang, main dans la main, en tenues de communiantes. Intriguée par cette rumeur, Manon Gauthier-Faure se rend sur place, où le mystère s’épaissit : les coupures de presse sont maigres et les habitants semblent avoir oublié le contexte du drame. Plus étrange encore, il semblerait que les deux sœurs réapparaissent dans l’EHPAD du village… en fantômes.

J’ai une curiosité sans cesse renouvelée pour les enquêtes publiées chez Marchialy. Elles sont généralement assez singulières et jamais décevantes. Toujours un véritable plaisir à lire. Mais j’ai probablement déjà été assez équivoque à ce sujet. Les fantômes du lac : mémoires d’un village meurtri, deuxième livre de Manon Gauthier-Faure, ne fait pas exception. 

Avant d’aller plus avant dans le texte, on se demande bien quel intérêt il pourrait y avoir à se rendre dans un village perdu de la Marne, pour enquêter sur un funeste fait divers de 1978 qui semble aujourd’hui déjà bien lointain et oublié. De ce fait divers, nous ne savons qu’assez peu de choses. Deux gamines sont mortes. Pourquoi ? Comment ? Rien n’est vraiment clair. Il semblerait que cela soit arrivé un jour, subitement, et que la vie a continué à suivre son cours. Deux gamines qui, de prime abord, semblent ne jamais avoir été personne et n’auront pas vécu assez longtemps pour devenir quelqu’un. 

A son arrivée dans le village, l’enquête de Manon Gauthier-Faure prend assez rapidement une tournure paranormale. Dans l’EHPAD du village, le personnel, ainsi que les patients semblent être témoins de phénomènes inexpliqués. Et par phénomènes, comprenez les classiques quand on dit d’un lieu qu’il est supposément hanté : apparitions, bruits étranges, portes qui se ferment et sensations bizarres. Si les personnes concernées n’étaient pas aussi nombreuses, avec des témoignages concordants, on pourrait facilement se dire que l’on a là un petit groupe de personnes influençables ou illuminées. Qu’en penser ? On ne sait pas trop. Mais oui, il faut reconnaître que c’est un peu étrange, surtout que les témoignages font souvent référence à deux petites filles.

Un EHPAD hanté. Bon, soit. Pour autant, notre fait divers, pas grand monde en a quelque chose à en dire de concret dans le village. Notre journaliste va de défaite en défaite. Les souvenirs sont maigres. Les témoignages vagues. De ce que l’on comprend, ces deux gamines faisaient partie d’une famille de marginaux et leur courte vie fut assez malheureuse. Enfin, c’est ce qui se dit. Des bruits qui courent. Des rumeurs. Mais Manon Gauthier-Faure ne baisse pas les bras. Petit à petit, elle finit par rétablir un minimum de vérité, mais pas tant sur le fait divers en lui-même. Elle leur redonne une vie, une existence, jusqu’à contredire le portrait assez misérable qu’on lui en a fait, même si la réalité reste ce qu’elle est. 

Au fil de son récit, avec une certaine sobriété dans le propos mais une évidente poésie dans le regard, Manon Gauthier-Faure laisse le paranormal côtoyer la réalité. Elle rend compte et laisse s’imbriquer les différents éléments. Elle nous peint un tableau sensible et mélancolique. Au fil des pages, c’est une histoire simplement humaine qui nous est révélée, avec ses zones d’ombres et ses instants de lumière. Une chasse aux souvenirs évanescents dans un petit village brumeux où les temps changent et les gens avec. Une nouvelle existence offerte à deux jeunes filles à la triste destinée, qui n’ont peut-être jamais réalisé qu’elles ne sont plus de notre monde.

Brother Jo.

A LA LISIERE DU MONDE de Ronald Lavallée / Presses de la Cité.

Tous des Loups

Dans un village isolé et inhospitalier du Nord canadien, la rumeur court. Un homme en fuite, accusé d’avoir assassiné froidement sa femme et son enfant, se terrerait dans la forêt boréale.

Matthew Callwood vient de prendre son poste dans la région. Jeune policier idéaliste et téméraire, il se heurte rapidement à l’inertie de ses collègues, qui boivent et fricotent avec les trafiquants du coin. Malgré tout déterminé à retrouver la trace du meurtrier en cavale, Callwood entreprend une traque sans relâche.

Mais au fil des mois, dans un dédale de lacs et de marais aux confins indéfinissables, le policier comprend qu’il a affaire à plus fort que lui. Et le chasseur devient le chassé. Sur un territoire démesuré au climat féroce, la nature sauvage reprend toujours ses droits…

Ronald Lavallée, un auteur dont je n’avais même jamais entendu parler. Il faut dire qu’il est aisé de passer à côté car Monsieur est assez peu productif. A la lisière du monde, son nouveau roman publié aux Presses de la Cité, n’est que son quatrième en 38 ans. Cela m’a d’emblée rappelé un cas similaire avec Terrence Malick qui, en 38 ans lui aussi, n’aura réalisé que cinq films, avant d’accélérer le rythme à compter de The Tree of life (2011). Mais ce n’est pas leur seul point commun. Les deux partagent un goût certain pour la nature et ses grands espaces. Si vous cherchez du dépaysement, c’est ce livre qu’il vous faut.

Nombreux sont celles et ceux qui rêvent du Canada. Cependant, on oublie parfois que le Canada, ça peut aussi être l’enfer. C’est ce que va découvrir, en 1914, Matthew Callwood, un jeune fils de bourgeois alors en proie à une déception amoureuse et gonflé d’un héroïsme naïf, en s’engageant dans la police pour un poste dans le fin fond du Saskatchewan. Là-bas, il n’y a strictement à faire et la justice des blancs ne connaît pas exactement un franc succès face aux Cris, ni face aux trafiquant d’alcool du coin. Le temps s’annonce long, très long, alors même que la guerre éclate en Europe. Néanmoins, il se raconte qu’un certain Moïse Corneau, un homme accusé du meurtre de sa famille alors en cavale, se cacherait quelque part dans ces immenses forêts. Il voit là l’occasion rêvée pour s’investir d’une mission qui devrait lui assurer respect et reconnaissance, et même lui donner l’opportunité de quitter cet endroit avec les honneurs. 

En s’engageant à la poursuite de Moïse Corneau, Matthew Callwood va se prendre de plein fouet les réalités du territoire qu’il doit affronter. Ici la nature est immense, rude, sauvage et sans pitié. Tout dans cet environnement est question de survie. Aussi, les locaux vivent selon leurs propres règles et n’ont que peu d’intérêt pour ses principes et ses lois. La tâche dans laquelle il s’est investi  paraît rapidement vouée à l’échec et tous les éléments se liguent contre lui.

Ronald Lavallée est extrêmement doué et convaincant lorsqu’il s’agit de décrire ces forêts boréales. L’immersion est totale pour le lecteur. Le voyage est aussi violent que fascinant. Si vous avez le goût de l’aventure, vous n’aurez qu’une envie après lecture, aller explorer ce Grand Nord canadien. Mais si vous avez un minimum de bon sens, vous n’y mettrez certainement jamais les pieds. Du « nature writing » comment on aimerait en lire plus souvent.

Avec A la lisière du monde, Ronald Lavallée signe ce qui sera peut-être le grand récit d’aventure de cette année 2024. On pense forcément à Jack London et on ne peut qu’apprécier retrouver un tel souffle romanesque qui nous tient en haleine de bout en bout. Maitrisé sur toute la ligne et le plus frustrant est de tourner la dernière page. Contrairement aux personnages qui peuplent ce livre, nul besoin, pour les lecteurs, de lutter pour en voir la fin.

Brother Jo.

ALIÈNE de Phoebe Hadjimarkos Clarke / Editions du sous-sol.

Fauvel a perdu un œil suite à un tir de LBD. Elle accepte de garder la chienne du père d’une de ses amies dans une maison isolée à la campagne. Hannah n’est pas un chien comme les autres, c’est le clone d’une première Hannah, qui trône empaillée au milieu du salon. Elle suscite les peurs et les reproches muets du village, à mesure qu’on découvre au matin des animaux massacrés, et qu’elle-même rentre parfois ensanglantée.

Que vous soyez d’emblée prévenus, Aliène, deuxième roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke publié aux Editions du sous-sol, est tout sauf ce que vous pourriez en attendre. C’est un peu un cauchemar de bibliothécaire car totalement inclassable. L’expérience peut s’avérer déstabilisante pour les moins ouverts d’esprit et franchement ensorcelante pour les plus acquis. Mettez-vous dans les conditions adéquates et laissez-vous aspirer par cette première véritable curiosité littéraire de l’année. 

Rendue borgne par un titre de LDB dans une manifestation, c’est avec un lourd bagage psychologique que Fauvel saisit l’opportunité de se retirer durant un temps en pleine campagne, pour se ressourcer, dans la maison des parents de Mado, sa meilleure amie, ceux-ci étant partis en vacances. Elle est là pour garder le fort, s’occuper de la chienne et se poser sans véritable autre but. Très rapidement, Fauvel est dérangée par la chienne Hannah à qui elle trouve des comportements douteux. Il y a également ces bêtes attaquées et mutilées dans les environs. On ne sait pas quoi ou qui est responsable de cela. Serait-ce Hannah ? 

Aussi, dans les bois environnants, des coups de feu se font entendre car la saison de la chasse bat son plein. Cela devient rapidement oppressant et, sa première confrontation avec Julien, l’un de ces chasseurs, est assez perturbante. Un peu plus tard, Fauvel rencontre Mitch, un thésard revenu en terre natale, qui lui révèle enquêter sur des récits d’enlèvement et de rencontre avec des extraterrestres qui seraient apparemment nombreux dans les environs. Il s’avère, d’ailleurs, que le premier chasseur qu’elle a rencontré, ainsi que ses amis, font partie de ces personnes se disant visités par des extraterrestres. Le récit que fait Julien de ces visites est particulièrement bizarre et, lui-même, est tout aussi étrange qu’inquiétant. 

Petit à petit, un climat d’insécurité s’installe. La peur rôde. Les attaques se multiplient, les épisodes de chasse s’intensifient, l’imagination des uns et des autres s’emballe, Fauvel se rapproche de plus en plus de Hannah, les enquêtes s’embrouillent, la fumette embrume les esprits, un brouillard mystique habille le décor et les traces d’une substance pas clairement identifiée, et peut-être bien séminale, commence à faire son apparition ici et là.

C’est avec une langue vive, souple et poétique, que Phoebe Hadjimarkos Clarke nous embarque dans un conte organique et animal, avec la violence et ses séquelles en toile de fond, ainsi que le pouvoir et les rapports de domination qu’il impose. Le tableau halluciné qui nous est peint, entre réalisme magique, horreur, fantastique, science-fiction, post-apocalyptique et j’en passe, est détonnant, fascinant et parfaitement maîtrisé. Une imagination, à l’évidence fertile, mise au service d’un récit éminemment contemporain et politique.

Aliène, de Phoebe Hadjimarkos Clarke, c’est un peu la rencontre de X-Files, David Lynch et David Cronenberg, sous hallucinogènes, nourri d’un souffle poétique et d’un propos engagé, pour un résultat tout à fait atypique. Certainement difficile à vendre tant ce roman est particulier mais, pour ma part, je n’en pense que du bien et vous invite à vous laisser surprendre.

Brother Jo.

DÉLIVREZ-NOUS DU BIEN de Joan Samson / Toussaint Louverture

The Auctioneer

Traduction:  Laurent Vannini

A Harlowe, paisible communauté rurale du New Hampshire située à quelques heures de Boston, la vie suit son cours : les gens travaillent la terre, coupent du bois et achètent ce qu’ils ne peuvent produire. John Moore et les siens vivent un peu à l’écart, et, à leur façon simple et rude, ils sont heureux. Jusqu’au jour où un homme sorti de nulle part – mais qui a bourlingué partout -, un commissaire-priseur au charme diabolique, s’allie au shérif pour organiser des enchères publiques afin de renflouer les caisses de la police locale et pouvoir mieux protéger la commune de la violence rampante des grandes villes.

Les habitants sont habilement amenés à donner ce dont ils ne veulent plus, à se séparer de ce qui les encombre, à vider – encore et encore – leur grenier pour la bonne cause. Mais jusqu’à quand ? 

Une qualité qu’il faut reconnaître à la maison d’édition Monsieur Toussaint L’Ouverture c’est qu’elle soigne ses publications, en tant qu’objet livre j’entends, et le rendu visuel est si soigné qu’ils nous feraient lire n’importe quoi. Sauf qu’elle ne soigne pas que la forme et que ce qu’elle nous donne à lire n’est de loin pas n’importe quoi. Ce Délivrez-nous du bien ne fait pas exception. Initialement publié en janvier 1976 aux Etats-Unis, ce premier roman de l’autrice Joan Samson fut aussi son dernier, car tragiquement fauchée par un cancer en février de la même année, à 38 ans seulement. Presque un demi siècle plus tard, le voici enfin publié en France.

Alors que la vie suivait son cours comme elle l’a toujours suivie dans la petite ville de Harlowe, un certain Perly Dunsmore fait son apparition. Priseur charismatique, qui présente bien, parle bien et n’ayant aucun mal à convaincre les gens quand il s’adresse à eux, va progressivement manipuler et duper les habitants. Il se fait, en quelque sorte, prêcheur investi d’une mission quasiment messianique. Il annonce un futur radieux pour Harlowe mais pour ce faire, pour entreprendre tous les changements nécessaires, il pousse les gens à se délester des quelques biens qui trainent chez eux pour ensuite les vendre dans des enchères de plus en plus nombreuses. Dans un premier temps, les sommes récoltées servent à développer de façon disproportionnée la police locale. Des adjoints sont nommés les uns après les autres et envoyés chez les particuliers pour les délester de leurs biens, au point de les déposséder entièrement. Etrangement, alors que la police se développe, là où tout était plutôt calme, les incidents se multiplient. La famille Moore, impactée comme beaucoup, perd la grande majorité de ses biens. Mais que se passera-t-il quand Mim et John Moore n’auront plus rien d’autre que leur terre et leur petite fille ? Pourquoi tout le monde se laisse ainsi faire ? Vont-ils perdre leur terre, voire leur petite fille ? Qui est le plus coupable ?

Dans un style d’écriture de facture assez classique mais parfaitement maîtrisé, Joan Samson installe, très lentement mais méticuleusement, toute une atmosphère, un décor, dans lequel la peur se répand telle un poison. Cette peur est le produit, entre autres, d’un capitalisme à outrance et d’un fascisme latent. Une tension rampante mais constante. Bien que cité comme influence par Stephen King pour son livre Bazaar, Délivrez-nous du bien n’est pas un livre horrifique à proprement parler. Il n’y a rien de frontal ici. Le mal s’installe subtilement. On est plus entre le thriller psychologique et le grand roman américain. Si le dénouement tarde à arriver, il est néanmoins fort,  mais tout ici réside dans la lente progression des faits.

A l’évidence, Délivrez-nous du bien de Joan Samson est un roman plus que recommandable et dont il y a largement matière à discuter. Nul doute qu’il en fascinera certain(e)s autant qu’il en frustrera. Il y a tout à parier que, si Joan Samson avait eu l’opportunité d’écrire d’autres livres, elle serait aujourd’hui certainement citée parmi les noms incontournables de la littérature américaine.

Brother Jo

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