Chroniques noires et partisanes

Catégorie : Bison d’Or (Page 1 of 4)

LA FIÈVRE de Sandor Jaszberényi / Mirobole.

Traduction: Joëlle Dufeuilly.

Certaines maisons d’éditions nous touchent droit au cœur, c’est certain. D’autres laissent une marque indélébile dans nos esprits, c’est le cas des éditions Mirobole qui ont le don de nous étonner, nous remuer, nous faire rêver lors de chaque publication.

C’est à nouveau le cas avec La Fièvre de l’auteur Hongrois, photo-reporter de guerre, Sandor Jaszberényi. Dans ce recueil vous trouverez de courtes nouvelles tels des articles qui mêlent fiction et réalité au point de nous faire perdre pied pour nous balancer dans le gouffre profond de la terreur. Car oui, La Fièvre est un livre terrifiant.

La Fièvre, un roman qui se résume en son titre. Les courts textes qui le composent sont étouffants. L’auteur nous fait côtoyer l’horreur, l’horrible, autant dans ce qu’il décrit que dans l’atmosphère dans laquelle il nous plonge. Le soleil dans toute sa lourdeur brûle nos esprits autant que le béton blesse notre peau. Des sentiments de rage, de révolte, d’abattement, nous montent à la tête. Ceux ci sont amplifiés par l’auteur qui se place dans une sorte de détachement total. Détachement qui nous est imposé lors de la lecture en se traduisant par une forme de voyeurisme. Voyeurisme qui nous colle à l’esprit comme du pétrole. Il nous faut ouvrir les yeux sur ce qu’il se passe dans le monde. Comme DOA avec Pukthu ou Joseph Conrad avec Au cœur des ténèbres nous montrer un monde en proie à l’extinction.

Chroniques de guerre ou fiction, pourquoi chercher ce qui est vrai ? Sandor Jaszberényi, nous emmène sur les route des conflits au Yemen, au Moyen Orient, en Afrique. Des conflits où les hommes ne sont plus des hommes. Il nous jette au visage ce que l’humain peut faire de pire. Sans fard ni costume, ici, tout dans la gueule. Pas de grand spectacle, seulement la mort et la désolation, la folie des hommes – soldats, rebelles, civils, journalistes en quête de la PHOTO ! Ici, même ce qui relève de l’imagination, du fantastique, dirons-nous, des croyances, des peurs, prend la silhouette informe du réel.

Au delà de nous présenter ces clichés, Sandor Jaszberényi, nous pousse à réfléchir – sur ce que nous sommes, nos conditions de vie. Et si nos larmes, nos lamentations n’étaient pas une manière de déculpabiliser, de nous détacher de tout ces conflits sinistres qui gangrènent le globe ? Cette lecture fait culpabiliser : nous sommes impuissants et résignés. Tous indignés sur les réseaux sociaux mais toujours derrière nos écrans, les fesses collées au fauteuil ; et nous pensons : crier ma rage en cliquant, en partageant un article, pour se faire entendre, tout ceci en oubliant qu’il s’agit d’un univers virtuel. Alors que dehors, l’effondrement a lieu.

Bison d’Or.


NAMI de Bianca Bellova / Mirobole.

Traduction: Christine Laferrière

Alors que la rentrée littéraire pointe son nez, arrive avec elle les premiers coups de cœur. Et quel premier coup de cœur ! Les éditions Mirobole (comme souvent) frappent fort avec le  roman d’une auteure tchèque, Bianca Bellová, sobrement nommé Nami. Un roman fort et percutant ou l’auteure dresse un tableau de l’humain particulièrement sombre.

Voici l’histoire d’un jeune garçon qui grandit sur les rives d’un lac en train de s’assécher, quelque part au bout du monde…

Un village de pêcheurs. Un rivage qui recule de manière inquiétante. Les hommes ont de la vodka, les femmes des soucis, les enfants de l’eczéma. Nami, lui, n’a rien, hormis sa grand-mère aux mains immenses. Mais il a aussi un destin devant lui, un premier amour, et tout ce qui suit. Cependant, quand une vie commence à la toute fin du monde, elle peut peut-être finir à son début. Cette histoire est aussi vieille que l’humanité. Pour son héros, jeune garçon qui se lance dans sa quête avec pour seules armes son obstination et le manteau qui appartenait à son grand-père, il s’agit d’un pèlerinage.

Magnifique roman d’initiation, Nami est aussi une légende contemporaine autour du courage et du destin.

Nami  est un roman court dit d’initiation ou beaucoup de thèmes sont abordés. C’est d’ailleurs l’une des forces de ce récit, parler de choses importantes en peu de pages sans tomber dans la facilité. Chaque événement pèse dans le déroulement de l’histoire et laisse à réfléchir. Sans pour autant être moraliste.

Rapidement durant la lecture se pose la question de savoir où se situe l’histoire, dans quel pays ? Et tout en progressant cette interrogation grandira. Nous avons des indices mais tous se contredisent et nous mène dans une réelle perte de repères. On pense bien évidemment aux Balkans, à la République Tchèque ou encore à l’Afghanistan. Des pays qui ont connu l’occupation russe, seul indice qui nous permet de nous repérer un temps soit peu. Le constat est toujours le même, ce pays imaginaire est en proie à la mort : le lac s’assèche et en même temps que les eaux se retirent, la vie disparaît. L’ambiance générale laisse peu de place aux couleurs : paysages de villages et industriels noircis. Même la capitale est peu reluisante. Au final on se retrouve en plein désert. Si vous voulez vous en faire une image, regardez les films de Bela Tarr, entre autres les Harmonies Werckmeister.

Dans ce roman, les humains vivent à crédit. Certes nous sommes tous voués à mourir mais ici, la mort est permanente. On pourrait même dire que c’est un personnage à part entière. Les humains meurent et donnent la mort, physique ou psychique. Le lac emporte les hommes, les machines et le travail emportent les hommes, les hommes emportent les animaux et inversement, les hommes emportent les hommes. Serait ce exagérer de dire que tout n’est que misère, cette misère qui touche autant les ouvriers, paysans ou bourgeois? Chaque scène que vit Nami est marquante. De son village en passant par les champs de soufre, par la capitale jusqu’aux tréfonds du désert. Dans ce roman on perçoit peu d’espoir, ou alors il faut ouvrir les yeux et rester attentif.

Nami est une entité, presque seule touche de couleur qui durant son voyage portera le désespoir sur son dos et l’espoir à bout de bras. C’est un événement tragique qui le poussera à partir. Durant son périple il sera témoin de toute l’horreur et la violence dont l’homme et la nature peuvent faire preuve. Mais aussi, d’une certaine manière, de la beauté. Il partira en quête de sa mère, et comme dans tous les romans d’initiation, il devra passer des obstacles et des épreuves. S’il n’a rien d’un Indiana Jones, il se fera argonaute en quête de sa mère pensant que le monde peut s’éclaircir à son contact…

Nami pose un regard terrible sur les mondes paysans, ouvriers et bourgeois qui n’ont pour seul dessein : la destruction. Et pour voir un bourgeon fleurir, il faut ouvrir les yeux et s’armer de patience. Car tout est possible, Nami en est la preuve.

Nami est un grand roman que j’emporterai partout avec moi pour le glisser entre toutes les mains. Faîtes de même !

Bison d’Or.

ARRÊTEZ MOI LA d’ Annabelle Lena et Philippe Paternolli / Editions du Caïman.

Alors que notre Tour de France continue en compagnie des éditions du Caïman, nous faisons halte en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et, plus précisément, en Provence, sur la montagne Sainte-Victoire. Nous aurons pour guides les auteurs Annabelle Léna et Philippe Paternolli, qui nous feront découvrir ces lieux à travers leur roman : Arrêtez-moi là.

Informaticien de génie, Gilles Redon se rend à Paris signer avec un géant de la Silicon Valley le contrat de sa vie. Alors que son TGV entre en gare, un voleur l’agresse et le détrousse de son précieux projet. La vie de Gilles bascule. Le choc. Il se réfugie sur le massif de la montagne Sainte-Victoire. L’enquête sur sa disparition dévoile que rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. L’agression ne semble pas fortuite. Gilles n’est pas non plus une victime innocente…

Arrêtez-moi là est un roman écrit à quatre mains. Et si certains craignent que ce genre d’exercices se ressent dans la production finale, je ne peux que les rassurer en affirmant que le résultat est largement réussi ! Deux auteurs qui ne font qu’un. L’écriture est homogène – on sent qu’il y a eu un véritable travail de réécriture, que les auteurs ont accordé leurs violons pour que le texte soit fluide et réussi.

L’histoire repose sur le personnage de Gilles, informaticien et créateur d’un logiciel de réalité virtuelle. L’intrigue est simple, car il s’agit d’une enquête. Gilles disparaît, donc la police part à sa recherche. Les raisons de cette disparition sont toutes aussi triviales. Bien évidemment, ce méli mélo est bien mené et loin d’être inintéressant. Certain diront que l’enquête met trop de temps à être résolue, que les auteurs se perdent dans des descriptions très longues d’environnements et de personnages, cela pénalisant le rythme et le suspense. Au contraire, j’ai la conviction que ces « lenteurs » sont voulues et servent à merveille le propos de ce roman.

Il faut dépasser le fait divers et se concentrer sur le profil des personnages, ainsi que les descriptions faites de la Provence et, plus particulièrement, de la montagne Sainte Victoire – une montagne que l’Homme, orgueilleux, pense avoir réussi à dompter. Au contraire, si la montagne est belle, elle est tout aussi hostile.

Gilles la connait, mais pas aussi bien qu’il le pense. Si elle fait « amie » avec lui, elle peut soudainement se retourner contre lui, ce que nous verrons à maintes reprises.

La noirceur des personnages est flagrante. Sympathiques en apparence, tous se révèlent finalement être mauvais par nature. Si ce n’est pas pour finir par ressembler à des animaux. Gilles en est le parfait exemple, mais ce serait réducteur de ne pas s’apercevoir que ses amis, Franck ou encore Samson ne le sont pas aussi. L’un pour l’appât du gain, l’autre pour conquérir une femme, Estelle.

Arrêtez-moi là est un roman où la nature, sous toutes ses formes, est le personnage principal. Il montre que l’Homme est et reste un animal doué d’intelligence, certes, mais peut se montrer tout aussi bestial. Bref, Arrêtez-moi là est un beau roman qui amène à la réflexion sur notre condition d’humain. Et si vous avez aimé Trois saisons d’orage de Cécile Coulon, ce roman y ressemble et ne pourra que vous plaire !

Bison d’or

ECLOSION d’ Ezekiel Boone / Actes Sud.

Traduction: Jérôme Orsoni.

« Les petites bêtes ne mangent pas les grosses » qui a bien pu dire une telle bêtise ? Tout le monde sait que les petites bestioles sont de terribles prédatrices, surtout les araignées ! Oui, vous avez raison de trembler devant ces minuscules bêtes et vous aurez surtout raison de fuir face à un banc d’araignées carnivores ! Arachnophobes ou pas, prenez garde car Ezekiel Boone vous fera trembler avec ce roman, premier volet d’une trilogie, sobrement nommée Eclosion.

Au cœur de la jungle péruvienne, une étrange et menaçante masse noire s’abat sur un groupe de touristes américains en excursion. Et les dévore vivants. Dans le Nord des États-Unis, un agent du FBI enquête sur le mystérieux crash de l’avion d’un milliardaire. Un peu partout dans le monde, des phénomènes anormaux et inexpliqués se produisent. Jusqu’à ce qu’une bombe nucléaire explose en Chine, transformant tout l’Ouest du pays en un vaste champ de ruines atomiques.

Que contient ce colis en provenance d’Amérique du Sud, qu’une scientifique renommée, spécialiste des araignées, vient de recevoir ? Est-ce là, à l’intérieur de ce fossile qui semble lutter pour revenir à la vie après un sommeil de plusieurs milliers d’années, que se trouve la clef de l’énigme ?

La lecture du résumé pourrait faire à un simple roman d’horreur inspiré du cinéma de série Z. Nous avons tous en tête le film sorti en 2001, Arac attack ou des araignées mutantes attaquaient les humains. Il s’agit bien d’araignées dans Eclosion mais celles-ci sont loin d’être transformées et ce roman est loin d’être une banale série Z.

Vous aurez entre les mains une œuvre littéraire parfaitement maitrisée qui vous fera trembler. Ezekiel Boone grâce à une plume habile rend la lecture addictive et effrénée jouant avec nos peurs et le suspense ! Eclosion  est un roman choral subtilement structuré, l’action prend principalement place aux Etats Unis mais le type de personnages que nous croisons le rend cosmopolite. Nous côtoyons la présidente des Etats Unis, des marines, des survivalistes, des scientifiques, bref des êtres humains qui seront bientôt dépassés par les événements. Nous pouvons nous reconnaître en ces personnages et nous y attacher, mais que la chute est dure lorsque ces personnages sont dépecés à coup de mâchoires d’arachnides.

L’un des points forts de ce roman est que l’auteur a réussi à s’éloigner de tous les clichés possibles et imaginables. Il n’y a pas de super-héros ou de gros bras, pas de scientifiques génies, seulement des gens aux professions diverses, toutes utiles, qui essaient de se sortir d’une merde totale.

Eclosion est un roman qui dénonce l’arrogance de l’Homme dit infaillible. Ici, il est réduit en bouillie ou en vulgaire hôte à sacs d’œufs. Pour résumer : la nature reprend ses droits sous une forme d’invasion d’araignées colonisatrices.

Les araignées dans Eclosion  sont peu décrites. Nous en apprenons un peu plus grâce à Mélanie, l’une des scientifique, qui a la chance de les observer réellement, contrairement à nous qui devons nous contenter des mots. Vous vous doutez donc que votre imagination carbure à 100 à l’heure. Le peu d’éléments que nous avons en notre connaissance les rend, à la fois intrigantes mais surtout terrifiantes. Si terrifiantes que tous les moyens sont bons pour stopper cette colonisation !

Autant ne pas tourner autour du pot, ce roman est une grande réussite ! Je dirais même que c’est une BOMBE à mettre entre toutes les mains ! Vivement que le tome 2 paraisse !

Bison d’Or.

LE COLLECTIONNEUR D’HERBE de Francisco José Viegas / Mirobole.

Traduction: Pierre Michel Pranville

C’est avec Le Collectionneur d’Herbe que l’on découvre Francisco Jose Viagas, un éminent  auteur portugais qui a dirigé la revue Ler (revue équivalente à notre magazine Lire).  Le Collectionneur d’Herbe est son dernier roman publié en France par les éditions Mirobole, éditrice qui ne lésine pas sur la qualité de ses publications. La preuve à nouveau.

Jaime Ramos, chef de la brigade criminelle à la PJ de Porto, préfère sa ville à toute autre. Dans son appartement s’empilent ses livres, qu’il lit l’hiver exclusivement. Attaché à son équipe comme à une famille, il est sourd d’une oreille et aime déambuler dans la vieille ville. Cette fois, l’affaire dont il hérite va l’obliger à remonter trois fils parallèles : pourquoi deux Russes viennent-ils
se faire assassiner dans le Minho ? Pourquoi une jeune fille de bonne famille disparaît-elle brusquement ? Et, surtout, qui est ce mystérieux collectionneur d’herbe qui envoie un jeune ingénieur parcourir les ex-colonies portugaises ? Son enquête mènera le lecteur jusqu’en Angola, au Brésil et au Cap-Vert, pour un roman d’une sensibilité rare, à la tonalité envoûtante : un polar langoureux sur le désenchantement, l’amour et la beauté.

Serait-il possible de parler de roman hybride ? Le Collectionneur d’Herbe est construit d’une manière peu habituelle : s’il s’agit bel et bien d’un roman policier, il serait dommage de s’arrêter à ce genre, tant l’auteur nous promène à travers le monde de la littérature.

Tout commence avec des meurtres et une disparition, des énigmes que devra résoudre l’inspecteur Jaime Ramos accompagné de son équipe devenue au fil du temps sa famille.

Au premier abord nous nous attendons à une enquête dont le déroulement est classique ; mais quelle n’est pas notre surprise lorsque l’auteur décide de nous perdre au cœur des mots, des ellipses et des allers-retours.

Francisco Jose Viagas est une poète, ses mots font  penser à une peinture, Turner, par exemple, qui est cité au début du roman. Et les couleurs et les effluves, dictées par la poésie qui nous monte au nez, peuvent faire penser à des œuvres de Pierre Bonnard ou de Monet. Imaginez le Portugal peint par ces artistes.

Ce roman fait inévitablement penser à l’ Âge d’Or  de Michal Ajvaz, non pas par les thèmes abordés, mais par l’imagination qu’il suscite. Le Collectionneur d’Herbe est une œuvre poétique au fond très noir : la drogue, la mort, le devoir de mémoire, … Pourtant l’intrigue est vite remisée au second rang, comme si le désir de Viagas était de nous pousser à uniquement savourer les plaisirs qu’offrent le Portugal et les Portugais. Encore une preuve de d’habileté d’écriture : les portraits des personnages sont subtils, écrits à l’image des Vies Minuscules de Pierre Michon

Bien évidemment, on ne va pas en dévoiler plus pour ne pas vous gâcher le plaisir. Mais tenez-vous prêts à lire un roman policier poétique aux multiples influences. Tenez-vous prêts à voyager du Portugal au Brésil en passant par l’Afrique.

Tenez-vous prêts à tenir entre vos mains une œuvre superbe !

Bison d’Or.

 

PAR LES RAFALES de Valentine Imhof / Rouergue Noir.

Par les rafales est un roman de Valentine Imhof auteure d’une biographie de Henry Miller.

Par les rafales, un titre qui prend tout son sens à la fin du roman. Ces rafales vous emporteront dans les ténèbres. Ces rafales – poétiques – secoueront votre être – vous ressentirez de la haine, de la colère, de l’empathie, vous comprendrez ce que veut dire Lutter, et pourtant quelque part au loin, dans la brume vous apercevrez un point lumineux. Par les Rafales, accompagnons Alex pour gravir les obstacles que cette putain de vie a mis devant et derrière elle, accompagnons là vers cette lueur  -l’espoir – dans l’horizon brumeuse du néant nordique.

« Ils avaient réussi à la retrouver. Alex l’avait compris. Le type inventait des souvenirs bidon, il a proposé de s’arrêter dans un café de campagne pour boire un pot. Pour le plaisir d’être en France, parce que c’est si différent des États-Unis… Ça, elle le savait. Quand il a enserré ses jambes entre les siennes, elle n’a rien fait pour se dégager. Au contraire. Elle a envoyé tous les signaux pour lui faire entendre qu’elle n’attendait que ça depuis le début… Elle le tenait… Elle saurait disparaître ensuite. C’est du moins ce qu’elle pensait. Mais on laisse toujours quelque chose derrière soi. Et au moment où Alex s’apprête à tuer un homme, pour la troisième fois, Kelly MacLeish, jeune sergent juste sortie de l’école de police et mutée aux Shetland, décide de changer complètement d’angle dans l’enquête sur le meurtre de Richard MacGowan le soir du Up Helly Aa, la fête des Vikings, lorsque tout le monde se rassemble pour la crémation du drakkar. Le seul indice retrouvé sur le cadavre, c’est un long cheveu noir. Alors sans le savoir, Kelly rejoint le camp des poursuivants. Ceux qui courent après Alex, ceux qu’elle fuit, toujours plus vite, toujours plus au nord. »

Jamais le roman noir n’a été aussi ancré dans le présent et l’actualité. C’est le cas de l’ouvrage de Valentine Imhof qui s’attaque à un sujet fort dont on entend beaucoup parler ces temps. Dans le roman le personnage principal vivra de terribles instants en Louisiane. Des événements qui impliqueront par la suite: une blessure qui ne peut jamais cicatriser et surtout une vie détruite. Et dans ce roman que dire des agresseurs ? Le trait un peu grossi, sûrement pour les rendre détestables, nous mène à les haïr et à vouloir les détruire – faire de la charpie de leurs sales gueules !

Le personnage d’Alex, héroïne, nous possède !

Alex, une jeune femme dont on apprend l’âge étonnant à la fin de l’intrigue nous donne l’impression que sa vie défile à grande vitesse. C’est une personne forte, blessée pour ne pas dire détruite en proie à des sentiments d’être suivie, harcelée, que quelqu’un en veut à sa vie. Alex, est une jeune femme auquel on s’attache malgré les actes terribles qu’elle commet. J’ai été heureux de l’accompagner. La plume habile de l’auteure nous donne l’impression que nous, lecteurs, réussissons à l’aider. Ou tout du moins Alex, aussi dure soit-elle, accepte de nous tendre la main pour que nous puissions l’aider. Alex est un magnifique personnage.

Par les rafales est un roman étonnement écrit. Il est empreint de poésie et de musique, omniprésente (la playlist en fin de roman est d’ailleurs impressionnante !). La géographie des lieux nous permet de nous les imaginer, souvent noirs, brumeux et pluvieux, sans oublier nappés de fumée de cigarettes et d’alcool. Tout est fait pour nous plonger au plus près des personnages. Si près que chaque chapitre est précédé d’un extrait de romans, de poèmes dont la police est calligraphiée. Certes la lecture est difficile mais parvenir à les déchiffrer nous rend victorieux ou peut-être est ce une manière d’entrer dans le cœur d’Alex, soit en ami ou en intrus, peut-être….

Par les rafales, un grand roman !

Merci Alex. Merci Valentine Imhof.

Bison d’Or.

LE MYSTÈRE CROATOAN de José Carlos Somoza / Actes sud.

Traduction: Marianne Million.

Ecrire des articles est un atout, car cela nous permet, d’une part de lire des romans et d’autre part, importante, de mettre nos aprioris de côté. Après la contre-nature des choses, nous partons en Espagne en compagnie de José Carlos Somoza, auteur prolifique, avec Le mystère Croatoan.  C’est un roman apocalyptique qui semble réel.

“Des colonies d’invertébrés et d’humains rampent et marchent, inexorablement unis en un seul corps, à travers villes et forêts. Toute vie rencontrée est agglomérée ou détruite. Avant de se donner la mort, un scientifique, spécialisé dans le comportement des espèces animales, a programmé à l’intention de ses proches un message qui pourrait permettre de changer le cours de ces événements terribles qui semblent signer la disparition de toute forme de civilisation. Sauront-ils le décrypter ?” 

Le Mystère Croatoan surfe sur la vague de ces grandes énigmes auxquelles l’Homme est confronté, telle que le mystère du col Dyatlov. Le roman de Somoza trouve son intrigue dans un évènement ayant réellement eu lieu, entre autres les disparus de l’île de Roanoke.

Environ quatre siècles auparavant, en août 1590, plus de cent trente colons de l’île de Roanoke, dans l’actuelle Caroline du Nord, se volatilisèrent.Mais dans ce dernier cas, on fit une découverte supplémentaire. Sur un tronc d’arbre à proximité du village, quelqu’un avait gravé un mot : CROATOAN.

Ainsi, l’auteur, brillant, va imaginer une explication à ce phénomène de disparition dans un roman aux apparences de fin du monde. Et on y croit !

Il s’avère difficile de parler de ce roman sans dévoiler sa fin. Et je refuse de gâcher cette surprise qui vous fera frissonner. Bien que l’explication donnée (nous sommes dans un roman) soit impossible, on ne peut s’empêcher de penser : « espérons que cela ne nous arrive pas ».

Un roman où la science est en lutte contre la nature. Le CROATOAN est un pic, une conjonction où tous les êtres vivants se retrouveront en un groupe cohérent et soudé. Ils s’ engageront alors dans une sorte de transhumance. Le mot zombie ne correspond pas, bien que certaines espèces se dévorent ; je parlerais plutôt de marionnettes guidées par la force invisible de la nature. Ainsi, nous avons droit à des images malaisantes, qui en deviennent terrifiantes. Des corps qui avancent sans but, comme éteints. D’autres qui grimpent aux arbres, nus comme des  animaux, une image marquante et nauséeuse de vivants qui semblent s’accoupler. Ce sont des amas de corps aux cerveaux absents. C’est la fin de l’individualisme et de la terreur humaine.

Bien évidemment, cet univers apocalyptique compte son lot de survivants. Ces personnages n’échappent pas à la règle du stéréotype, mais heureusement sans être dérangeants. Ces personnages sont des êtres ordinaires qui seront cueillis par le destin, c’est-à-dire Mendel, imminent scientifique. D’ailleurs, ils sont tous liés, de près ou de loin, à cet homme de science. Nico est peintre. Sergi et Fatima des « fous » ou junkies. Dino, lui, est le gentil gros Italien que l’on retrouve dans beaucoup de jeux, films, romans du genre survivants. Et bien sûr il y a Carmela, l’héroïne, brillante éthologue. Ces évènements tragiques seront pour elle un parcours initiatique. Et pour Borja c’est une autre histoire, ce type est une ordure à qui on souhaiterait couper les couilles. Même dans les instants de crise, il y a toujours un emmerdeur ! Bref, ce sont des personnages en proie à la terreur, armés de la même arme que les marcheurs déshumanisés, c’est-à-dire le groupe.

Le Mystère Croatoan : ses fantastiques personnages et ses merveilleuses images noires – j’ai été happé !

Bison d’Or.

 

LA CONTRE-NATURE DES CHOSES DE Tony Burgess / Actes Sud.

Traduction: Hélène Frappat.

Avouons qu’en matière de littérature apocalyptique ou post-apocalyptique, les œuvres créées ont tendance à tourner en rond et ressasser toujours les mêmes clichés : attaques ou explosions nucléaires, zombies et j’en passe. Bien évidemment, tout n’est pas mauvais. Le magnifique roman La Route de Cormac McCarthy en est la preuve. Tout comme La contre-nature des choses de Tony Burgess qui réserve son lot d’originalité.

Un homme au bout du rouleau – le narrateur – sillonne un paysage de fin du monde sans lever les yeux. Tout là-haut, dans ce qu’il reste de l’ancien ciel et qu’il évite de regarder, l’Orbite charrie un milliard de cadavres. Parce qu’au bout du compte, l’apocalypse zombie aura surtout généré un gigantesque problème de gestion des déchets. Les brûler dans des fours géants ? Trop de mauvais souvenirs. Les enterrer ? On a bien essayé, mais pour se retrouver avec des hectares de boue grouillante. Alors on s’est mis à les envoyer là-haut. Quant à lui, il doit se trouver un fils avant le soir, autrement dit kidnapper un gosse pour qu’il l’aide à accomplir une mystérieuse mission.
Et puis il y a Dixon, son double maléfique, une vieille connaissance devenue vendeur de cadavres et un authentique génie du mal. Dixon pratique des tortures d’une barbarie et d’une sophistication pornographique qui en font l’homme le plus redouté parmi ce qu’il reste de survivants sur cette planète presque totalement inhospitalière. Entre le narrateur et lui, un duel s’engage. L’occasion, pour Tony Burgess, d’ajouter à l’Enfer de Dante une multiplicité de cercles dont la puissance tient autant à leur imagerie traumatiquement poétique qu’à leur caractère politique de prémonition.

La contre-nature des choses est un roman original en plusieurs points de vue. Le narrateur est le personnage principal qui raconte et décrit ce qui se déroule sous ses yeux, et autant vous dire que ce n’est pas marrant. On se laisse guider au fil des mots crachés par sa gueule qui semble dévorée par la gangrène. Cette impression de problème d’élocution est dû au fait que les phrases sont courtes, parfois réduites à un seul mot. On pourrait penser que cette économie de mots pourrait donner un texte rapide à lire. Au contraire, la ponctuation et les mots semblent avoir été choisis pour nous ralentir, ce qui crée une rythmique indéfinissable mais tellement séduisante !

Dans ce roman, il est bien question de zombies, mais la manière dont Tony Burgess a traité le sujet le rend atypique. Les morts se sont réanimés, en grande quantité, à tel point qu’il a fallu trouver une solution pour régler le problème de manque de place. D’autant plus que les vivants pensaient que les morts seraient hostiles, mais non. Les morts voulaient juste marcher. Alors il a été décidé de les envoyer en orbite, dans le ciel. La solution miracle qui mettra fin à l’humanité. A priori, le manque de lumière et l’air vicié provoqueront des maladies de peaux, cancers, … la liste est longue.

Au fil de la lecture, on en vient à se demander qui sont les vrais zombies, ceux planant dans le ciel ou ceux ayant leurs deux pieds sur Terre ? Dans ce roman, les humains montrent leurs visages les plus noirs et les plus abjects : ils tuent, violent, volent, et cætera. Et, pour finir, tout laisse à penser que les vivants sont en décomposition…

La contre-nature des choses, la voilà.

Je n’en dirai pas plus sur l’histoire et l’intrigue. Il est préférable que vous la découvriez par vous-même. Mais il est important de rajouter, pour vous convaincre ou vous avertir, que ce roman est très noir, sanglant et dénué d’espoir. Mais c’est de ces ténèbres que jaillit la poésie.

GÉNIAL !

Bison d’Or.

BRETZEL BLUES de Rita Falk / Editions Mirobole.

Traduction: Brigitte Lethrosne et Nicole Patilloux.

Un délicieux fumet embaume la maison. Le plat qui mijote sur la gazinière titille vos narines et vous attire. Votre ventre gargouille. Vous avez l’eau à la bouche. L’appel de la nourriture est plus fort que tout ! Dans la salle, tous sont réunis : Eberhofer, le Léopold et sa nouvelle femme avec le bébé, le Papa et la géniale Mémé. Voilà, le bonheur !

« En ce moment, ça marche impeccable pour le commissaire Franz Eberhofer : ses amours roulent, la porcherie qu’il rénove est pratiquement habitable, il tient la forme grâce aux bières régulières et aux promenades quotidiennes avec Louis II – son chien, son coach fitness, son fidèle compagnon. Mais voilà que l’ambiance tourne à l’aigre dans le village de Niederkaltenkirchen : quelqu’un a tagué en rouge sur la maison du directeur du collège M. Höpfl « Crève, sale porc ! » . Le directeur disparaît plusieurs jours, pour revenir une nuit sous une forme plutôt macabre. D’accord, il n’aurait jamais gagné un concours de popularité, mais est-ce une raison pour finir ainsi ?

Franz est furieux. Comme si cet homicide stressant ne suffisait pas, on l’oblige à pouponner l’affreux bébé de son frère Léopold, libraire et lèche-bottes de première classe. Heureusement qu’il a sa Mémé déjantée et sa robuste cuisine pour se refaire une santé… »

Lorsque j’ai su que je retrouverais le commissaire Eberhofer, j’ai jubilé ! Et comme vous pouvez le deviner, je n’ai pas été déçu par ce deuxième voyage en Bavière !

Pour ne rien vous cacher, j’ai quand même eu une légère appréhension lorsque j’ai commencé à lire le roman, surtout la crainte que Rita Falk soit prise dans le tourbillon de la redite, que ses personnages ne soient plus aussi surprenants que dans Choucroute Maudite, etc. Bref, je me méfie toujours des suites.

Comment cette pensée a-t-elle pu m’effleurer l’esprit ?! Je mériterais de m’auto-calotter ! Bretzel Blues est tout aussi génial que son prédécesseur ! L’auteure grâce à sa plume fleurie et habile réussit à merveille à nous faire rire et à nous étonner avec des situations grandiloquentes, presque burlesques, et toujours dignes des frères Coen !

Les personnages restent égaux à eux-mêmes : Eberhofer, accompagné de son fidèle Louis II, est toujours aussi feignant et nonchalant, la Mémé qui semble être dans un âge avancé paraît rajeunie (le passage aux soldes C&A et H&M est juste hilarant !) et le papa fume des pétards en écoutant les Beatles. Le Léopold semble toujours aussi prétentieux et con, en tout cas d’après son frère Franz. Cette petite famille sent l’amour et ce n’est pas une affaire sordide qui brisera ce cercle heureux ! Ni même le départ de la belle Susi pour l’Italie…

Car oui, il y a bien une enquête : la disparition puis la réapparition du détesté directeur du collège Mr Höpfl qui sera finalement retrouvé mort. Effectivement l’intrigue peut sembler classique mais Rita Falk nous la sert sur un plateau d’argent d’une manière pour le moins originale et détonante  que vous ne serez pas prêts d’oublier !

Bretzel Blues porte bien son nom, tout s’entremêle à l’image d’un bon gros bretzel ! On le dévore et nous voici la peau du ventre bien tendue mais loin d’être repu !

Génial !!

Golden Buffalo.

LES CHIENS DE CAIRNGORMS de Guillaume Audru / Editions du Caïman.

C’est en Ecosse que Guillaume vous emmène. Et je vous conseille de vous habiller chaudement ainsi que d’entreprendre une forte préparation psychologique car ces Chiens de Cairngorms n’ont rien, mais absolument rien de sympathique !

Que se passe-t-il quand deux petits vieux sont libérés de prison pour bonne conduite et cherchent à se venger ? Que se passe-t-il quand deux frères que tout oppose décident de travailler ensemble dans un commerce illégal mais très lucratif ? Que se passe-t-il quand une inspectrice de police, têtue et déçue par ces hommes, se lance sur leur piste ?

C’est en Ecosse que l’intrigue de ce roman prend place. Ce pays semblable à un personnage placé en arrière plan fait office de ring pour l’affrontement dans lequel les personnages vont se jeter. Durant les événements de cette histoire l’hiver bat son plein, et bien que hostile, le paysage parait essayer de faire obstacle à la violence grandissante.

Ici, les régions parcourues par Liam, Roy, Shane, Moira, Eddie, Johnny et Gemma fonctionnent comme des huis clos qu’il faut fuir à tout prix.

L’auteur donne la parole aux personnages tour à tour, les chapitres portent leur nom. Cette structure est particulièrement intéressante car elle nous permet d’apprendre à les connaitre et de découvrir le regard qu’ils portent sur  les autres. D’autant plus que ce procédé n’interfère en rien dans l’évolution de l’intrigue qui nous happe de page en page. En les côtoyant de cette façon, nous découvrons très vite que la plupart de ces protagonistes sont de véritables ordures : vicieux, traitres et pour noircir le tableau, ils sont des salopards de violeurs. Tous sont prêts à tout pour parvenir à leur fin ! Leur but : l’argent pour certains, une femme pour l’autre.

Décrit de cette manière, ils peuvent paraitre stéréotypés mais l’auteur manie la plume subtilement pour leur apporter une dose poétique qui leur permet d’échapper à cet écueil (sans pour autant adoucir l’essence maléfique qui bouillonne en eux). Ils sont lâches.

Est-ce un roman d’hommes ? Cinq bonhommes et deux femmes sont les personnages principaux. Les hommes dans les règles de la loi du plus fort ne font cesse de gueuler, comme des chiens. Les femmes, Gemma et Moira se font plus discrètes et sortent peu à peu de leur cachette pour se révéler être les véritables héroïnes de ce roman. Elles subissent et à l’image des roseaux, se plient pour mieux se redresser. Très vite on s’aperçoit que sans ces femmes, ces hommes ne seraient rien. Ces femmes vous marqueront, j’en suis certain !

Alors que l’Ecosse teinte et pose une frontière dans ce livre, un drame familial se joue dans son cœur. Les protagonistes sont issus de la même famille, d’autres sont amis, et tous sont prêts à en découdre. Les chiens de Cainrgorms porte bien son titre, les animaux n’ont rien à voir là dedans car les vrais chiens sont les hommes.

Un magnifique roman !

Golden Buffalo.

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