“Un accident de voiture au beau milieu de nulle part laisse une fillette orpheline et estropiée, Chloé, sauvée in extremis par trois hommes et une guérisseuse.

Trente-cinq ans plus tard, Yves et Bernadette, un couple de tueurs en série, sillonnent les routes dans un camping-car Transporter T3 Joker Westfalia en quête d’auto-stoppeuses.Anna, une gamine témoin de leur premier meurtre de l’été, réussit à leur échapper et se réfugie au cœur d’un bois où une étrange femme boiteuse, entourée de renards, prend soin d’elle.

Dans ce bois vit une communauté coupée du monde moderne, au plus près de la nature et des mythologies du lieu tout en veillant à préserver quoi qu’il en coûte sa tranquillité et sa pérennité.

Quatre trajectoires, quatre histoires singulières…”

Au premier abord, un roman noir classique : Un couple de salauds qui tue, massacre pour être plus précis, prostituées, fugueuses et auto stoppeuses qui croisent leur route à bord de leur combi et cela depuis dix ans, depuis la mort de leur fils unique. Madame ne goûte réellement la vie qu’en donnant la mort. Mais monsieur, après un dernier meurtre apocalyptique, catastrophique et monstrueux pense qu’ils deviennent peut-être un peu vieux pour ce genre de loisirs qui s’avère parfois très sportif, vous verrez…

Une gamine perdue dans les bois, livrée à elle-même, recueillie par une femme étrange, sorte d’ermite dont on ne sait que penser et enfin cette communauté itinérante sur tout le vaste territoire de “Bois aux renards” dont on ne sait trop que penser non plus mais qui, par quelques indices, des bouts de phrases, des attitudes, des silences, inquiète aussi. Ceci dit, que ces deux ordures déguisées en bons babas dans leur combi Volkswagen puissent tomber sur plus mauvais qu’eux ne vous ébranlera pas outre mesure. On est certain que cela va mal se terminer, mais on ignore qui va en sortir gagnant ou s’en sortir tout simplement. C’est la partie classique du roman, on suit aisément, on est juste parfois horrifiés par le déchaînement d’une violence souvent imprévisible et parfois difficile à supporter. Mais si vous connaissez Antoine Chainas, ce n’est pas une surprise, il affectionne de bousculer son lecteur, de montrer sans fard ni filtre une réalité dure qu’on n’a pas nécessairement envie de contempler.

Et puis il y a une deuxième lecture du roman, celle évoquée en sous-titre entre parenthèses (contes, légendes et mythes), la plus ardue, la plus belle, la plus stupéfiante aussi. Dans Empire des chimères, pendant une trentaine de pages, Chainas nous avait fait pénétrer dans les mondes ludiques et virtuels d’ados. Quelques pages qui avaient le pouvoir de bien désarçonner le lecteur, lui faire perdre légèrement pied dans une intrigue aux multiples ramifications. Ce n’était qu’un galop d’essai finalement puisque dans Bois-aux-Renards il entreprend de nous abreuver, de nous submerger plus exactement, d’histoires, de contes, de mythes, de légendes et de rumeurs sur ce “Bois aux renards”. Certaines histoires sont belles, d’autres cruelles voire méchamment mauvaises, semblant parfois issues ou adaptées du répertoire commun de l’humanité ou sorties du cerveau des chefs de la communauté. Beaucoup de symboles : un puits, une tour qui la protège, un gardienne des lieux, une femme renard, des renards, des renardeaux martyrs. Ceci dit aussi surprenantes que les histoires peuvent paraître parfois, elles ne dépareillent pas dans le catalogue des grands mythes de l’humanité, pas plus tordues qu’un dieu qui enfante dans sa cuisse, qu’un serpent qui deale une pomme ou qu’un voyage en bateau avec tout le zoo à bord…

“An 01

Au commencement étaient les hommes. Puis vinrent les armes et la chasse. Ensuite, il y a eu l’accumulation, et l’on bâtit des routes et des abris.

La femme apparut alors que le prix des choses était déjà fixé. L’accumulation devint multiplication, il fallut restaurer l’équilibre ancien.

Ainsi fut créé l’animal. On l’appela vie, mais son œuvre était mort.”

Alors, pour apprécier pleinement cette œuvre démoniaque, hautement toxique, il faut accepter de perdre ses repères habituels et de se laisser porter ou emporter par ces récits souvent très sombres. Il faut se résigner aussi à avoir qu’une compréhension parcellaire, une vision floue pour un temps. Ces histoires, contées parfois le soir à la veillée, créent une sorte de voile de mystère qui couvre tout le roman, ajoutant des angoisses “surnaturelles” à un intrigue réelle déjà bien méchante. Leur répétition fait son travail chez le lecteur qui progressivement les intègre et par moments n’arrive plus à complètement discerner le vrai du faux, le réel de l’inventé. Petit à petit, on voit ou on croit voir des correspondances entre la situation vécue et les légendes. Pervers et brillant !

Si Bois-aux-Renards semble, intellectuellement, une suite logique mais encore plus barrée d’Empire des chimères, il montre aussi un auteur grand maître de son art et commençant à pratiquer une certaine dérision et un humour très noir… si on a le cœur bien accroché. Il serait criminel aussi de ne pas citer cette plume remarquable déjà visible dans Empire des chimères. Certaines scènes sont horribles mais divinement écrites. On retrouve aussi ses descriptions physiques glaçantes des personnages, en pointant les stigmates de l’existence, les cicatrices, les imperfections, les rides. Très proche de Harry Crews, Chainas est aussi capable de créer l’effroi et le malaise dans la forêt à la manière éminemment gothique d’un William Gay dans La mort au crépuscule, créant une zone appalachienne vraisemblablement dans l’arrière-pays niçois.

J’avais usé de beaucoup de superlatifs pour Empire des chimères, je les renouvelle en vous enviant vraiment d’avoir encore à lire ce chef d’œuvre. Ne le ratez pas ; il n’y en aura peut-être pas d’autres de ce niveau cette année.

Bois-aux-Renards, les démons et merveilles d’Antoine Chainas.

Clete.