Sous la direction d’Hervé DELOUCHE. Avec des textes de Guillaume BALSAMO, Timothée DEMEILLERS, Marc FERNANDEZ, Karim MADANI, Cloé MEHDI, Patrick PÉCHEROT, Christian ROUX, Jean-Pierre RUMEAU, Anne-Sylvie SALZMAN, Insa SANÉ, Rachid SANTAKI, Anne SECRET, Marc VILLARD.
Nyctalopes a proposé jusqu’ici un certain de nombre de chroniques de romans issus de la collection « Fictions « d’Asphalte. L’éditeur développe également depuis ses débuts « Asphalte Noir », des recueils de nouvelles noires inédites invitant à la découverte d’une ville ou d’un territoire, sous la plume d’auteurs locaux. Après Paris Noir, Marseille Noir, Haïti Noir, Bruxelles Noir… on revient en France avec cette nouvelle destination : Banlieues parisiennes Noir. C’est le prolongement au-delà du périphérique de Paris Noir paru en 2010, qui constituait le premier volume de la collection.
Dans l’introduction d’Hervé Delouche, il y a une très intéressante référence à un ouvrage de géographie humaine, un carnet de voyage, publié il y a 30 ans : Les Passagers du Roissy-Express, par François Maspero et la photographe Anaïk Frantz. S’arrêtant à chacune des stations du RER B, reliant au nord-est l’aéroport Charles-de-Gaulle et au sud-ouest, Saint-Rémy-lès-Chevreuse, (la ligne B du RER et ses ramifications traversant une partie aussi minime soit-elle de tous les départements de l’Ile-de-France, 75, 77, 91, 92, 93, 94 et 95), les auteurs entreprirent d’aborder la vraie vie des habitants d’un territoire kaléidoscopique, protéiforme, engagé dans une transformation historique, au point de vue urbanistique, économique et sociologique. En 2019, le collectif d’auteurs réunit dans ce recueil ne fait probablement pas autre chose en nous proposant des instantanés en provenance de la petite Couronne et au-delà, instantanés qui disent quelles sortes d’existence cabossée et de trajectoire accidentée strient les zones sombres ou simplement périphériques du regard que nous portons sur les banlieues parisiennes. déjà bien orienté par nos préjugés et la méconnaissance. Ne l’oublions pas, il s’agit de textes noirs et leurs auteurs n’ont pas été convoqué ici pour démériter. Parmi eux, les vétérans du genre ne déçoivent pas et les nouveaux venus, non plus.
Témoins de leur temps, les auteurs (pour certains ancrés dans le territoire qu’ils utilisent) ont forcément un pied dans une réalité déjà arpentée par d’autres, médias, films, séries. Les banlieues comme territoires, « rintés » ou « terters » de criminels, de caïds, de réseaux, de trafics, de substances, cela ne surprendra personne. Et les « bonnes » banlieues (qui ne méritent plus par conséquent leur adjectif manichéen), à l’ouest, ou plus profond au sud, ne sont pas épargnées, cette fois. Les banlieues comme réacteurs à fusion ou fission de l’histoire migratoire, cela n’étonnera pas non plus. La différence, par rapport à 1990 peut-être, c’est que d’autres populations sont arrivées dans le paysage, en provenance d’Europe centrale ou balkanique, d’Afrique subsaharienne. Elles vivent aussi la relégation, dans les interstices concédés, en dehors de la ville-centre, Paris, qui leur oppose ses barrières mentales, culturelles et financières. Des auteurs n’oublient pas de creuser le mille-feuille historique des lieux qu’ils veulent raconter. Dans les ruines de la banlieue ouvrière ou « villageoise » poussent, comme le lierre, des histoires toujours douloureuses. On y a brisé des hommes autant que des sociabilités, des usines et des rêves. Brutalité, révolte, cruauté, renoncement, tragédie sont au rendez-vous pour ces personnages de l’ordinaire alignés dans 13 histoires qui portent la griffe particulière de leurs auteurs. Pas question d’établir un palmarès dans cet ensemble de fort bonne tenue. Les angles, nuances, sensibilités apportés par les auteurs atteindront des lecteurs tous différents.
Pour peut-être sortir de ces généralités, j’oserai évoquer deux textes en particulier. Il y a dans Métamorphose d’Emma F. de Christian Roux une effarante et jubilatoire férocité. La vengeance, ô combien cruelle d’Emma, c’est la revanche d’une reléguée : géographique (elle habite à Mantes-La-Jolie), socio-économique (elle est boniche à Paris et fait l’A/R quotidien), physique également (elle est obèse et n’incarne en rien le stéréotype de la Parisienne élégante et désirable que produit ce centre aisé, médiatisé, puissant, donneur de ton culturel et artistique, avec une violence et un mépris tranquilles). La transgression d’Emma c’est de rappeler que ce clinquant peut se noyer rapidement : le même fleuve qui arrose la Ville-Lumière peut devenir sordide Seine de crime quelques méandres plus à l’ouest.
Beaucoup plus intimiste, dérangeant d’une autre manière, le texte Martyrs obscurs d’Anne-Sylvie Salzman évoque le mauvais voyage retour dans le passé, dans un lieu plus inattendu que d’autres mais qui néanmoins appartient à ce vaste ensemble des banlieues, le vallon d’Arcueil, sous son viaduc, à 2 km au sud de la Porte d’Orléans. C’est là une leçon du texte ; partir de sa banlieue, laisser derrière soi une part de sa vie, c’est possible. Mais pas pour tout le monde : ce qui reste, ceux qui restent, le bâti et les humains, peuvent y sombrer et y pourrir.
Paotrsaout
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