Chroniques noires et partisanes

Auteur/autrice : clete (Page 2 of 146)

MASCARADE de Robert Coover / Quidam.

Open House

Traduction: Stéphane Vanderhaeghe

Un penthouse tout en haut d’un gratte-ciel de Manhattan. S’y tiennent d’étranges festivités mais à quoi, ou à qui, tous ces convives piochés au hasard d’une Amérique aussi arrogante que ridicule, livrée à ses caprices et désirs les plus débridés, à ses lubies de grandeur et de pouvoir, de luxe et de stupre, doivent-ils l’honneur d’avoir été invités ?

Si j’ai bien eu vent de la sortie de Huck Finn et Tom Sawyer à la conquête de l’Ouest en 2024, je ne connaissais pas pour autant son auteur, l’américain Robert Coover. Avec la publication posthume de Mascarade par Quidam, celui-ci étant décédé en octobre 2024 à l’âge de 92 ans, j’ai désormais pallié à cette lacune et la découverte est pour le moins surprenante. 

Mascarade n’est pas un long roman, seulement 168 pages, mais pour autant, il ne fut pas complètement aisé à lire. Et pour écrire quelques mots dessus, il m’aura fallu un certain temps pour m’y mettre, ne sachant exactement comment l’aborder. A l’heure où j’écris ces mots, je ne suis pas plus avancé.

Je vais commencer par vous résumer un peu l’histoire, ce qui va être rapide. Il n’y en a pas. Enfin, pas vraiment. Mais il y a bien un cadre, ou plus précisément un décor, ce fameux penthouse de Manhattan. Une fête s’y déroule et une belle quantité de personnages s’y croisent. Nul ne semble  savoir ce qu’ils font à cette fête. Un peu comme moi dans ce livre. Et personne ne sait comment quitter ce penthouse. Une fois encore, un peu comme moi avec ce livre. Piégé. Je suis dedans et je ne sais pas comment m’en extraire. Mais c’est qu’il s’en passe des choses complètement folles dans ce penthouse dans lequel on se sent spectateur dans un théâtre. 

Déjà, à qui appartient ce luxueux penthouse ? On ne sait pas. Ce qui n’empêche pas quelqu’un d’essayer de le vendre aux convives présents. Qui est le narrateur ? On ne sait pas. Ils sont plusieurs et on en change régulièrement, parfois au milieu d’un paragraphe ou d’une phrase. Parfois un homme, parfois une femme. Forcément, pour le lecteur, c’est quelque peu déstabilisant. On s’y perd. Mais qui n’est pas perdu dans cette soirée ? On y trouve des malfrats aux forfaits divers, qui jettent même des convives par le balcon. Des musiciens également, pour animer la soirée, mais qui ne se connaissent apparemment pas et avec chacun ses vices et ses travers. Et qui est l’instigateur de cette soirée ? On ne sait pas plus. On trouve aussi des serveurs qui font tout et n’importe quoi, des écrivains, une bonne sœur portée sur le sexe, une femme qui accouche, et même un mariage s’y déroule. Une sorte de spirale infernale. Une fête grand-guignolesque et extravagante qui baigne dans le chaos. Peut-être bien un miroir de l’Amérique de Trump ? Ça aussi, on ne sait pas vraiment, mais ça y ressemble. Quoi qu’il en soit, on s’y laisse prendre, et l’excellente traduction de Stéphane Vanderhaeghe n’y est pas pour rien.

Mascarade est un roman un peu fou, avec une bonne dose d’humour corrosif, et écrit d’une plume tout à fait atypique. Si vous acceptez la perte de vos repères, si vous embrassez l’absurdité du moment, vous prendrez alors la pleine mesure de ce qui s’avère être le talent de Robert Coover.

Brother Jo.


CLETE / 2024

C’est toujours au moment du périlleux exercice du choix de dix romans à conserver pour l’année qu’apparait l’ampleur du plaisir de lecture rencontré dans l’année. 2024 fut exceptionnelle pour moi, même si la liste souligne et déplore un certain manque de bons polars. Anyway, une magnifique année noire à forte connotation ricaine et ce n’est pas une surprise non plus. Dix plus un romans, brillants, où l’histoire vous emporte tandis que la plume vous charme. J’ai pas mieux, Enjoy !

SOMNAMBULE de Dan Chaon / Terres d’Amérique / Albin Michel

« Des œuvres majeures qui vous laissent abasourdis et comblés, franchement on n’en rencontre pas plus d’une ou deux par an. Somnambule est un très grand roman noir, violent, bourré d’humour et de tendresse qu’on ne quitte pas vraiment totalement à la dernière page. Remarquable. »

ON M’APPELLE DEMON COPPERHEAD de Barbara Kingsolver / Terres d’Amérique / Albin Michel.

« Une superbe leçon d’humanité et un roman remarquable réhabilitant ces populations du Sud des USA qu’on désigne souvent globalement comme les “rednecks”. Inoubliable Demon Copperhead ! »

RETOUR DE FLAMME de Liam McIlvanney / Métailié noir

« On est dans du polar pur jus : la pègre, les notables, les flics, les victimes innocentes, les mal nés, le Celtic Fc et les Rangers, les putains d’Irlandais et bien sûr un McCormack déterminé qui ne lâche rien… tous contribuent à faire de Retour de flamme un roman béton, particulièrement sombre et violent et en même temps d’une humanité et d’une tristesse remarquables. »

LA PISTE DU VIEIL HOMME d’Antonin Varenne / La Noire / Gallimard.

« Le propos est très humain, l’empathie est visible mais ce n’est pas nouveau et jamais feint chez Antonin Varenne. L’écriture est belle, l’histoire passionnante malgré son apparente simplicité… »

LA CASSE de Eugenia Almeida / Métailié Noir.

La casse, moins de deux cents pages, doit se consommer en “one shot” pour apprécier les prouesses d’une auteure qui cogne très dur. Les temps morts sont absents, les personnages souvent réduits à leurs paroles, une urgence nécessitant une réelle attention pour comprendre l’intrigue et apprécier les multiples et superbes fulgurances d’un roman furieusement noir et létal. »

VINE STREET de Dominic Nolan / Rivages/Noir.

« Comme tout bon élixir, Vine Street se savoure, se laisse apprivoiser lentement pour enfin développer les effluves puissantes d’une intrigue complexe et passionnante. L’étoffe des grands polars.« 

LE DERNIER ROI DE CALIFORNIE de Jordan Harper / Actes noirs / Actes Sud.

« Le dernier roi de Californie, cauchemar aux accents Thrash Metal prend aussi souvent au cœur. Du noir béton. »

LE DELUGE de Stephen Markley / Terres d’Amérique / Albin Michel.

« On a tous connu des lectures profondément marquantes mais personnellement je n’ai pas le souvenir d’un roman qui m’ait à ce point choqué, terrifié et bouleversé. On quitte Le déluge avec un sentiment d’épuisement et une tristesse incommensurable, infinie. »

UNE TOMBE POUR DEUX de Ron Rash / La Noire / Gallimard.

« Roman admirable, habité par une grâce à laquelle Ron Rash nous a souvent habitués, Une tombe pour deux ravira tous les amoureux de sa plume et laissera peut-être un peu sur leur faim les lecteurs avides de plus de noirceur. »

LA REGLE DU CRIME de Colson Whitehead / Terres d’Amérique / Albin Michel.

« Colson Whitehead est un grand conteur et si les digressions sont nombreuses, elles contribuent à finir d’envoûter le lecteur, si ce n’est pas fait dès la première page engloutie. Un enchantement de polar new-yorkais ! »

Plus un !

TERRES PROMISES de Bénédicte Dupré La Tour / Editions du Panseur.

« La divine surprise de fin d’année. Du western crade, poisseux, impitoyable joué par une très belle plume.« 

Et puis évidemment hors concours.

UN AUTRE EDEN de James Lee Burke / Rivages Noir.

« Un autre Eden, écrit par la plume mélancolique, crépusculaire belle à en pleurer d’un James Lee Burke au sommet de son art porte un titre qui l’habille parfaitement. »

Et enfin, puisque Spotify me le dit, l’album que j’ai le plus écouté en 2024.

CARTEL 1011-LES BÂTISSEURS de Mattias Köping / Flammarion.

On avait raté les deux premiers romans de Mattias Köping  Les Démoniaques et Le Manufacturier  publiés chez un éditeur avec lequel nous n’entendions pas « collaborer ». On le découvre donc maintenant édité chez Flammarion avec  Cartel 1011 une trilogie sur un nouveau cartel. Les bâtisseurs est donc le premier tome racontant l’émergence dans la violence de cette nouvelle galaxie narcotrafiquante.

« La péninsule du Yucatán, entre le golfe du Mexique et la mer des Caraïbes. Des sites d’une beauté renversante mais qui, depuis des siècles, se résignent à la violence. Le Yucatán est le fief du clan Hernandez, arrivé avec les premiers conquistadors et qui compte sur le pharaonique projet du Train Maya pour resserrer encore l’emprise qu’exerce son conglomérat, la toute-puissante Comex.

C’est là aussi, entre Cancún et Tulum, qu’émerge un nouveau cartel, le 1011, capable du pire pour asseoir son hégémonie sur les trafics internationaux.

Comme celui des capitaines d’industrie, l’appétit des criminels est sans limite. Tout s’achète et tout se vend : drogues, armes, matières premières, animaux, territoires, corps, âmes. Rares sont les téméraires qui osent leur résister.

En Europe aussi, les victimes s’accumulent. Les forces de police sont sur les dents, confrontées à une sauvagerie inédite.

Car nul ne bâtit de nouvel empire sans anéantir les précédents. »

Il est certain qu’on ne peut que louer le travail d’orfèvre de Köping, cette réussite à créer une histoire saisissante et passionnante en montrant la naissance d’une nouvelle figure du mal : le Cartel 1011. Il apparait un peu comme Anonymous : secret, indécelable et hyper informé sur ses adversaires et ennemis.  Débuté furieusement avec des scènes de violence souvent insoutenables situées aux quatre coins du globe où le groupe veut s’implanter, le roman laisse abasourdi, provoque une onde de choc qui n’est jamais démentie durant 600 pages explosives. Tout en détaillant cette guerre au départ mexicaine, Köping élargit la sphère pour montrer les « United colors » de la sauvagerie et de la barbarie tout en explorant aussi toutes les ramifications de ces cartels dans l’économie mondiale, la finance mais aussi dans la vie politique des états. Le constat est horrible, parfois connu mais mis en pleine lumière par un auteur qui sait, sans lasser, par sa documentation très pointue sur les cartels, les drogues et leurs réseaux de distribution, créer une addiction de premier ordre. Peuplé de personnages haïssables et de quelques « héros » suicidaires, « Cartel 1011 » parvient très rapidement à ferrer le lecteur qui ne lâchera plus l’histoire si…

Il y a un « si » et non des moindres. La violence sans nom, présente dès le début, est utile à comprendre l’ascension d’un cartel qui, comme les autres, adore médiatiser ses œuvres, massacres, viols et séances de torture pour rester dans un convenable dont l’auteur n’aura que faire… Mais ces horreurs, petit à petit, commencent à lasser car au bout d’un moment, elles n’apportent plus rien et ralentissent finalement une intrigue pourtant béton. Alors, un petit conseil, on peut sauter ces pages douloureuses, très, trop théâtralisées et dont on connait dès le début l’issue dégueulasse.

J’ai lu beaucoup de comparaisons de « Cartel 1011» avec des romans de Don Winslow ou même de D.O.A . et s’il est vrai que d’un point de vue de la documentation, de sa capacité à nous immerger avec précision et bonheur dans des théâtres de guerre très divers aux quatre coins du globe, Köping est à leur niveau , il échoue totalement dans la démonstration de la violence. Jamais la suggestion pourtant parfois bien plus terrifiante que le relatation chirurgicale, ne remplace le spectacle répétitif de la mise en pièces d’un individu… on patauge dans le sang, encouragé par un éditeur qui met en exergue sur la quatrième de couverture la phrase « « Cette violence-là ne ressemblait pas à celle qui se pratiquait en Europe. Pas encore, du moins. »

Si l’objectif de l’auteur et de l’éditeur était de montrer, sans voile, cette violence en train de s’exporter, le terme de « mexicanisation » de plus en plus présent dans le discours des politiques français, l’objectif est pleinement atteint, au-dessus des espérances certainement mais laisse apparaître néanmoins une certaine complaisance pour les scènes d’« abattage ». On aurait aimé un peu de finesse. C’est bien dommage car ce parti pris de montrer continuellement la violence physique met un peu en retrait toute la partie surprenante et géniale du roman sur le blanchiment de l’agent de la came dans des sociétés avec pignon sur rue, les belles vitrines respectables des salauds, le développement de sociétés toxiques aux apparences lisses, toute cette criminalité en col blanc, la plus dangereuse. Tous ces gens empoisonnent les populations puis pillent la planète avec l’aide des acteurs de la vie économique, politique ou religieuse.

Du très lourd, un peu relou parfois, dommage. Néanmoins un roman béton, vivement la suite.

Clete.

Bilañsig 2024 / Paotrsaout.

Décembre. Comme tous les ans à la même période, les Nyctalopes passent en revue leurs plus belles impressions livresques des mois écoulés. Brother Jo, depuis l’Alsace, a déjà dégainé. A mon tour. Comme je m’exprime depuis l’extrémité de la péninsule armoricaine et que mon rapport n’est pas particulièrement copieux, voici donc mon bilañsig, déroulé sans ordre particulier.

LA CITÉ SOUS LES CENDRES de Don Winslow

Impossible de ne pas évoquer Môsieur Don Winslow. 1/ Il clôt avec ce titre sa trilogie mafieuse coast-to-coast trépidante et tendue (T. 1 La cité en flammes et T.2 La cité des rêves) 2/ Il paraît décidé à prendre sa retraite. Il serait impardonnable de ne pas le saluer aussi pour l’ensemble de son œuvre.

LE DERNIER ROI DE CALIFORNIE de Jordan Harper / Actes noirs / Actes Sud

Du bruit et de la fureur dans ce beau roman noir, très cinématographique (Sons of Anarchy meets Breaking bad ?). Ambiance, rythme, violence, final explosif, tout y est. Alors on va pas se plaindre.

ON M’APPELLE DEMON COPPERHEAD de Barbara Kingsolver / Terres d’Amérique / Albin Michel

Une fantastique voix d’un jeune white trash des Appalaches contemporaines. Verve de la déchéance et des épreuves traversées, intensité d’un texte hors-norme.

RETOUR A BELFAST de Michael Magee / Albin Michel

Chronique belle et juste d’une jeunesse catholique à Belfast entre défonce, accidents de parcours, trauma intergénérationnel et espoir d’une vie meilleure. Oui, on a un p’tit cœur, nous aussi. Et touché, il fut.

EVA ET LES BÊTES SAUVAGES d’Antonio Ungarn / Les éditions Noir sur blanc

Une belle découverte, sorte de conte des confins, sentimental et sanglant, dont les Sud-Américains ont le secret. Cette fois avec des répudiés, des guérilleros, des paramilitaires, des jefes de cartel et leurs sbires, des indigènes, au bord du gouffre amazonien.

LE DÉLUGE de Stephen Markley / Terres d’Amérique / Albin Michel

Un des monuments littéraires de l’année, quasi prophétique. Un livre-monde, notre monde, sur ce qui lui arrive, sur ce qui va lui arriver, si la barre n’est pas redressée d’au moins quelques degrés. On parle du thermomètre global, bien sûr. Obsédant.

LE STEVE MCQUEEN de Caryl Ferey & Tim Willocks / Points Policier

Au départ une commande pour Quai du Polar. Au final, un petit roman noir percutant et totalement régressif. A nos âges, on sait qu’on a du cholesterol mais on ne sait pas dire non à une tranche de lard fumé bien gras. Héros scarifiés à grosses roupettes, vilains bien fétides, modèles nomenclaturés de guns et de bagnoles et pis de la castagne en pagaille. On est tombé dans le panneau, pour sûr.


J’aurais voulu vous en mettre plus mais je n’ai pas eu le temps de lire tout ce que je voulais (cf TERRES PROMISES de Bénédicte Dupré Latour). Alors, je fais comme vous, je fais des listes, pour en bouffer encore sur les mois qui viennent. Allez, hop, mettez-moi ce bilañsig dans le traîneau, ça part. Et à l’année prochaine.

Paotrsaout

COMME DES PAS DANS LA NEIGE de Louise Erdrich / Albin Michel

Tracks + Four Souls

Traduction : Michel Lederer

Récompensées en 2022 aux Etats-Unis, en 2023 en France, les publications de Louise Erdich s’enrichissent en cette fin d’année d’un nouvel article éditorial qui rassemble deux textes écrits à des époques différentes (1988 pour le premier, Tracks, 2004 pour l’autre, Four Souls) mais que l’autrice a toujours considérés comme intimement liés, se faisant suite.

Hiver 1912. Le froid et la famine s’abattent sur une réserve du Dakota du Nord alors que les Indiens Ojibwés luttent pour conserver le peu de terres qu’il leur reste. Décidée à venger son peuple, Fleur Pillager entreprend un long périple qui la mènera jusqu’à Minneapolis. Racontée tour à tour par Nanapush, un ancien de la tribu, et Pauline, une jeune métisse, l’aventure de la belle et indomptable Fleur donne lieu à un roman puissant et profond, où le désir de vengeance finit par céder à celui, plus fort encore, de se reconstruire.

C’est avec le brio qu’on lui connaît que Louise Erdrich porte à nouveau ces voix amérindiennes dont l’entrelacs nous révèle les affres de la communauté ojibwé dans la première moitié du XXe siècle : l’acculturation brutale, la perte de sens, la dépossession foncière, la déchéance physique et morale. Pourtant des figures luttent, pour maintenir des croyances et des valeurs ancestrales, pour ne pas se faire totalement dépossédés de leur identité ou de leurs droits sur la terre. Le vieux Nanapush, Margaret la veuve, son aimée, Fleur la révoltée, sont de celles-là. Ainsi présentés, on pourrait croire ces récits uniquement désespérants ou douloureux. Ce serait sans compter sur les talents de conteuse de Louise Erdrich et sur l’esprit acéré et comique de ses personnages, Nanapush en particulier : coups d’éclat, coups pendables, ruses diverses, magie autochtone sont du registre du vieux renard, lucide pourtant sur les malheurs de son peuple et de ses proches. A sa manière, il entend protéger les siens.

Autour de cet attachant (hilarant même) personnage masculin gravitent des femmes autochtones au fort caractère, déchirées entre leurs origines et leur nouvelle place dans le monde. Leurs choix sont bons ou mauvais ou cruels, dans une quête d’âme fondamentale. Sans surprise et sans faille, Louise Erdrich confirme ici son attachement aux personnages féminins riches, complexes, profonds et exprime son indéfectible tendresse pour leur cause.

Des destins de femmes, d’hommes, si singulièrement humains aux frontières de leur culture et de la nôtre. Au milieu de leurs tourments et de leurs défaites, quelques courtes victoires de l’esprit, de la vie, de la joie. Peut-être un roman qui mérite vraiment l’étiquette feel-good. Pour faire un distinguo avec les parts de tarte au suc’ d’érab’habituellement rangées là.

Paotrsaout

BILAN 2024 / Brother Jo.

Littérairement parlant, les années se suivent mais ne se ressemblent pas. En 2024, on a pu retrouver avec grand plaisir des auteurs déjà chroniqués sur Nyctalopes, tels que Eugene Marten (En aveugle), Mercedes Rosende (Des larmes de crocodile) ou Iain Levison (Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques) ou découvrir des voix émergentes particulièrement prometteuses avec Phoebe Hadjimarkos Clarke (Aliène) ou Sébastien Dulude (Amiante). On notera aussi d’obscures pépites (Viande, Martin Harníček), de futurs livres cultes (La maison du diable, John Darnielle), de grandes aventures (A la lisière du monde, Ronald Lavallée) ou des monuments toutes catégories confondues (Chacun pour soi et Dieu contre tous, Werner Herzog). Une fois de plus, il faut saluer le travail des petits éditeurs qui font des choix de publications aventureux et passionnants. 

CHACUN POUR SOI ET DIEU CONTRE TOUS de Werner Herzog / Editions Séguier.

Ces mémoires, foisonnants de réflexions et d’anecdotes, sont d’une rare sagacité. Une lecture  passionnante, de bout en bout, et peut-être même la lecture la plus exaltante de cette année 2024. Frustrante tant on en veut plus ! Purement et simplement brillant. 

AMIANTE de Sébastien Dulude / La peuplade.

Un premier roman d’apprentissage magnétique et émouvant à l’écriture flamboyante. Sébastien Dulude à l’âme d’un poète et le savoir-faire d’un orfèvre. Préparez-vous à vivre un fascinant moment de grâce. 

LA MAISON DU DIABLE de John Darnielle / Le Gospel.

Ce roman de John Darnielle n’est rien de moins qu’une ambitieuse et passionnante métafiction. Une œuvre d’art minutieuse et une expérience littéraire unique en son genre qui ne peut que devenir culte. Puissant !

EN AVEUGLE de Eugene Marten / Quidam

En aveugle est un roman d’un noir sans emphase, mais véritable et profond. De prime abord impénétrable mais définitivement pénétrant. Un livre passionnant d’un auteur qui mérite toute votre attention. 

VIANDE de Martin Harníček / Monts Métallifères éditions.

Le roman de Martin Harníček est un roman trouble et dérangeant sur les rouages du mal. Une lecture percutante pour laquelle il faut avoir l’estomac bien accroché. A consommer de préférence à distance des repas.

ALIÈNE de Phoebe Hadjimarkos Clarke / Editions du sous-sol.

Aliène, de Phoebe Hadjimarkos Clarke, c’est un peu la rencontre de X-Files, David Lynch et David Cronenberg, sous hallucinogènes, nourri d’un souffle poétique et d’un propos engagé, pour un résultat tout à fait atypique. Certainement difficile à vendre tant ce roman est particulier mais, pour ma part, je n’en pense que du bien et vous invite à vous laisser surprendre.

LES STRIPTEASEUSES ONT TOUJOURS BESOIN DE CONSEILS JURIDIQUES de Iain Levison / Liana levi

Avec Les stripteaseuses ont toujours besoin de conseils juridiques, Iain Levison livre un roman jubilatoire. Une critique caustique du système judiciaire américain écrit d’une main honnête, sincère et intelligente. C’est très bon et on ne peut plus pertinent. 

DES LARMES DE CROCODILE de Mercedes Rosende / Quidam

Des larmes de crocodile est un roman noir au ton et à l’humour décapants. Tout aussi bon que L’Autre femme, son prédécesseur, on ne peut que se réjouir de ce qui nous attend ensuite, compte tenu de la fin de ce nouveau livre. C’est jubilatoire. Foncez découvrir l’oeuvre de Mercedes Rosende, vous ne le regretterez pas !

A LA LISIERE DU MONDE de Ronald Lavallée / Presses de la Cité.

Avec A la lisière du monde, Ronald Lavallée signe ce qui sera peut-être le grand récit d’aventure de cette année 2024. On pense forcément à Jack London et on ne peut qu’apprécier retrouver un tel souffle romanesque qui nous tient en haleine de bout en bout. Maitrisé sur toute la ligne et le plus frustrant est de tourner la dernière page. Contrairement aux personnages qui peuplent ce livre, nul besoin, pour les lecteurs, de lutter pour en voir la fin.

Ce qui malheureusement est redondant d’année en année, ce sont les disparitions de grands artistes. La liste est longue en 2024, mais une pensée toute particulière pour Steve Albini qui aura forgé le son de tant de groupes dont je suis personnellement fan, mais aussi Brother Dege, alias Dege Legg, qui fut chroniqué et interviewé par mes soins chez Nyctalopes, pour son livre Cabdriver publié l’année dernière, que j’ai également eu la chance et le plaisir de rencontrer et de voir en concert, et qui nous a brutalement quittés deux jours avant la sortie de son superbe disque Aurora

Brother Jo.

CONFESSIONS D’UN LOSER ET AUTRES ROMANS de Mark SaFranko / La Croisée.

Traduction: Karine Lalechere, Nadine Gassie et Guillaume Rebillon.

Version 1.0.0

De 2008 à 2014, les éphémères 13ième Note Editions nous avait offert de multiples plongées dans l’underground ricain, en nous faisant découvrir des auteurs inconnus, des romans inédits d’auteurs plus ou moins connus, reconnus… un bonheur pour tous les amoureux des States. Dans cette belle déferlante composée de pointures comme Jerry Stahl, Willy Vlautin, Dan Fante, Kent Anderson… se trouvait un auteur totalement inconnu chez nous Mark SaFranko, auteur d’une belle quadrilogie autour d’un personnage Max Zajack, sorte de clone littéraire de l’auteur originaire du New Jersey. Depuis quelques années, ces quatre romans étaient introuvables et on ne peut que se réjouir de l’initiative des Editions la Croisée de réunir ces quatre écrits en un seul volume.

La série est initiée en 2009 avec Putain d’Olivia (c’est vrai qu’elle est très chiante !) où SaFranko raconte sa vie amoureuse très explosive avec Olivia, son addiction à cette fille. Suivront Confessions d’un loser et Travaux forcés où Jack affronte la réalité du monde de travail et de la vie lui qui n’aspire qu’à écrire. Entre les deux se glisse Dieu bénisse l’Amérique, récit touchant et parfois irrésistible de l’enfance américaine de Zack, particulièrement propice à déclencher une addiction à SaFranko et dont je conseillerais la lecture en premier.

Ignoré aux USA, Mark SaFranko, grâce au courage de plusieurs éditeurs français, a continué à être édité chez nous et Nyctalopes l’a suivi. On signalera tout d’abord une suite des aventures de Zack sortie en 2022 chez Mediapop éditions Tout sauf Hollywood. Sont parus aussi un recueil de nouvelles Le fracas d’une vague chez Kicking Records et des romans très malins comme Un faux pas chez la Dragonne et le sombre Suicide chez Inculte que nous avons tout particulièrement apprécié.

Adepte du « dirty realism », on peut aisément rapprocher SaFranko de John Fante ou Bukowski mais aussi évidemment de Arthur Nersesian que la Croisée nous a fait découvrir récemment. Il est certain que les lecteurs de Fuck up et Dogrun vivront dans ce joli volume particulièrement roboratif multiples petits bonheurs au milieu de toutes ces galères.

Culte !

Clete.

PS: Mark SaFranko est aussi, entre autres, musicien.

LA FILLE DU POULPE – DES CLICS ET DES CLAQUES de Dominique Sylvain / Moby Dick.

Nous apprenions il y a quelques mois que Le Poulpe avait une fille, ou presque. Elle se prénomme Gabriella et sa fiche anthropométrique nous dit qu’elle aurait grandi dans les prisons boliviennes avant de débarquer à Paris pour rallier les causes de son paternel adoptif, Gabriel Lecouvreur : ce Poulpe récurrent initié par Jean-Bernard Pouy en 1995 et adopté par toute la galaxie noire, de Didier Daeninckx à Caryl Férey, de Franz Bartelt à Hervé Le Tellier…
Après deux épisodes inauguraux, menés tambour battant par Thomas Cantaloube et Maryssa Rachel, c’est entre les mains assurées de Dominique Sylvain que Gabriella confie sa troisième enquête au pays des injustices criantes et des petits, Poucets et poussés à la faute. De Dominique Sylvain nous connaissons les Sœurs de sang, bien sûr, ou ces Passeurs de l’étoile d’or (Editions Autrement, collection Noir Urbain, 2004) et Passage du désir (Grand prix des lectrices de Elle en 2005), géographiquement proches du bar de la Sainte-Scolasse, estaminet sis au cœur du onzième arrondissement d’un Paris d’hier, d’un Paris maltraité aujourd’hui. La voici de fait aux commandes d’un imbroglio complotiste, juché sur les canons d’une mode tarifée par les réseaux sociaux, calibré par le meilleur de la littérature de gare à l’ancienne et doté d’un Samouraï plus japonais que Delon, plus Jo qu’Elvis néanmoins pour rester chez les Costello.
L’affaire de ce troisième tome donc : Solveig, une influenceuse en vue se fait agresser et torturer à bord de la péniche qu’elle compte aménager en scène-sur-Seine de ses activités parisiennes, du côté du canal de l’Ourcq et de l’extension des contreforts de Boboland au nord-est de la capitale. Qui dit péniche, nous pousse à penser à un autre Dominique (Delahaye en l’occurrence, pour ses histoires de batelier, dont À fond de cale ou Naufrages aux éditions In8), mais Gabriella s’avère elle aussi un sérieux marin d’eaux plus troubles que vives ou douces quand il s’agit de défendre son port d’attache et ses fidélités ancrées au zinc de la Sainte-Scolasse. Alors, si Julie et Juliette, les deux patronnes à la barre du bar cher aux Poulpes, sont impliquées, voire en danger, la chica au sang chaud s’engage, quitte à affronter les extrêmes du moche : extrême droite comme extrême connerie concomitantes. Et en toute logique, elle se fait molester à son tour. Son CV chargé d’ex-taularde lui permet de mettre en fuite un ingénu qui passera l’arme à gauche (si tant est qu’un front comme le sien puisse pencher à gauche) quelques chapitres plus tard, exécuté par ses propres commanditaires. Autre preuve qu’en politique, les ennemis sont toujours plus fiables que les amis. Bref, le miroir aux alouettes de la toile tue Solveig d’abord et entraîne pas mal de monde dans la même fosse, commune pour le coup. Ҫa va vite. Ҫa bouge fort…

JLM

L’AGENT de Pascale Dietrich / Liana Levi.

Pascale Dietrich, sociologue de profession, possède une bibliographie déjà importante, portée par ses précédents « polars » à l’humour noir roboratif. On avait déjà constaté le succès critique de ses autres romans et il nous a semblé qu’il était bon de franchir le pas et de se laisser guider par l’auteure dans une histoire abracadabrantesque en diable.

« Après une enfance calamiteuse, Anthony Barreau s’enorgueillit d’habiter le XVIe arrondissement parisien, de porter d’impeccables chemises blanches et de mener une brillante carrière d’agent. Pas agent d’auteurs ou de stars. Non, lui gère les contrats qu’on pose sur la tête de certains indésirables et qui rapportent dix pour cent du montant destiné au tueur. Un travail méticuleux et tranquille, tant qu’on efface ses traces et qu’on évite les ratés. Mais le jour où une mission tourne au fiasco et que le commanditaire, un caïd redoutable, se retourne contre lui, tout part en vrille. Face au règlement de comptes annoncé, Anthony doit au plus vite trouver une planque. Quoi de plus insoupçonnable que le camping de Vierzon ? Et quelle meilleure couverture qu’une vieille dame en cavale prête à tout pour échapper à l’Ehpad ? »

La première erreur à faire en ouvrant ce roman serait de le considérer comme un polar, qu’il n’est absolument pas. Dès les premières pages, au ton, on comprend vite qu’on est plutôt dans une comédie plus ou moins noire, empruntant des décors, des personnages, des situations propres au polar. Le premier moment chaud du roman, non crédible, achèvera de vous convaincre. Pour autant, il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin. Si la crédibilité n’est pas à l’ordre du jour, on suit avec le sourire des personnages charmants dont on n’a pas envie qu’ils aient des problèmes. Un agent de tueurs Anthony Barreau aux allures de gendre idéal, une vieille dame craquante voulant éviter la prison des personnes âgées, l’Ehpad, et une jeune sportive à la carrière brisée, un joli trio qui va s’unir pour combattre l’adversité et les tueurs.

Survolant avec respect les thèmes de la marginalité, de la vieillesse et des tueurs de l’ombre, Pascale Dietrich mène bien sa barque jusqu’à une issue qui laisse envisager avec une certaine sérénité une suite qu’on espèrera aussi sympathique que L’agent, gentil remède à la « merditude des choses ».

Clete

TERRES PROMISES de Bénédicte Dupré La Tour / Editions du Panseur.

Bon, novembre, et on ne vous apprendra rien, n’est pas le mois le plus fécond pour les sorties de polars et autres romans noirs. Les vitrines des librairies se parent déjà des couleurs de Noël, assez peu complémentaires avec la noirceur que nous privilégions. Moins qu’en décembre peut-être mais déjà le regard a tendance à se tourner vers l’avant, vers les promesses de janvier, février. Néanmoins, novembre est la bonne période aussi pour regarder un peu en arrière, vers les bouquins qu’on a négligés ou tout simplement pas vu passer et qui sont loués un peu partout mais surtout chez les signatures qui comptent pour nous. Terres promises nous a été proposé, à moi toujours, et je viens de le terminer, en PDF, avec trois mois de retard, bien après la furie de septembre.

Bon, d’emblée, ce premier roman entre dans mon top 3 de l’année et je vais m’employer à tenter de vous expliquer pourquoi un tel émoi pour un roman et d’ailleurs est-ce vraiment un roman ? Pas très bien vendu par l’éditeur, soit dit en passant, une couverture vierge pour une auteure inconnue, pas très attirant tout ça. Je ne veux pas excuser mon oubli, juste dire que l’ouvrage ne vous saute pas à la tronche quand vous entrez dans une boutique.  Et pourtant…

« Entendez dans ce roman choral les voix oubliées de la conquête de l’Ouest : Eleanor, la prostituée qui attend l’heure de se faire justice ; Kinta, l’indigène qui s’émancipe de sa tribu ; Morgan, l’orpailleur fou défendant sa concession au péril de sa vie.

Par-delà les montagnes, arpentez les champs de bataille avec Mary ; suivez la traque de Bloody Horse, et rêvez de la liberté sauvage avec Rebecca.

Parmi les colons et les exilés, vous croiserez sûrement la route du Déserteur, et une fois imprégnés de la véritable histoire de l’Ouest, le Bonimenteur vous apportera votre consolation contre quelques pièces. »

Ce premier roman de Bénédicte Dupré la Tour est un sacré western sale, bien dégueulasse, dans une version dépoussiérée, déchiquetée de nos visions hollywoodiennes. Alors, c’est bien souvent très douloureux à lire, tous nos clichés sont salis mais surtout débités pour ne laisser que la pire version de ces existences en pleine nature dont on a des images plus ou moins poétiques, féériques. Ici y est montrée la plus grande des souffrances des personnes que nous allons rencontrer, leur combat terrible pour la survie. C’est un méchant mille-feuilles que nous propose l’auteure avec plusieurs couches de tourments pour ces pouilleux, dégénérés, misérables, boiteux malades, psychopathes, ratés qui peuplent ces terres nouvelles et qui contribueront à bâtir un pays qui deviendra le leader mondial au sortir de la première guerre mondiale. On le sait l’homme est un loup pour l’homme et le premier niveau du malheur proposé provient des tourments provoqués par les autres humains, ces compagnons d’infortune lancés eux aussi dans un rêve fou de possession d’or, d’une boucle de rivière, d’un bout de terre promise. Tous ces gens endurcis par une existence misérable en Europe connaissent la lutte quotidienne depuis leur enfance, comme présente dans leurs gènes et les plus violents, les plus rusés, seront les plus aptes à s’extirper de la fange. Souvent évoquée et décrite avec un lyrisme aussi enchanteur que tragique, la nature est, bien entendu, la deuxième cause de la souffrance de ces pionniers démunis devant son hostilité, ses obstacles infranchissables ou ses dédales dangereux. Toutes ces histoires de destins malheureux interpellent bien sûr notre imagerie populaire : la prostituée arnaqueuse, le patron de bar, l’orpailleur, le notable, le pasteur, le bonimenteur, les pionniers, les indiens… Tous dans des décors que l’on connait mais qu’on redécouvre uniquement dans leur côté sombre. Et par-dessus tout cet enfer perpétuel plane, pèse la pire des engeances pourtant portée en étendard : la religion, la foi qui salit, ment, pervertit, déforme, effraie, soumet, tue.

Ces histoires poisseuses, malheureuses, sont magnifiées par une écriture de tout premier ordre aussi dure et poignante dans la souffrance et la douleur que poétique dans des temps où il fait bon calmer un peu l’incendie, voiler un peu l’indicible. Dès la première page, j’ai « prié » pour que l’enchantement ne soit pas un simple embrasement de brindilles, mais pas une seule histoire, pas un seul paragraphe qui ne soit maîtrisé ou animé par la même fièvre fatale, létale. On peut penser, au premier regard, que Terres promises n’est qu’un recueil de nouvelles, terme qui effraie le lecteur français auquel on préfèrera toujours le terme plus appâteur de roman choral. Mais très vite, les liens entre les histoires apparaissent au lecteur curieux n’hésitant pas à retourner en arrière, toutes ses destinées sont liées et pas seulement par leur présence dans un même pandémonium. Il y aurait beaucoup de belles choses à dire sur l’écriture, sur la construction, le rythme mais nous nous contenterons juste d’évoquer Donald Ray Pollock l’auteur de Le diable tout le temps et de Une mort qui en vaut la peine à qui ce roman fait terriblement penser. Les fans de l’auteur de l’Ohio trouveront ici de quoi patienter agréablement pendant l’attente interminable de son nouveau livre ; un peu comme l’attente qu’a su créer chez nous Bénédicte Dupré la Tour avec ce premier roman phénoménal.

Clete.

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