Heaven My Home

Traduction: Anne Rabinovitch

Le lac Caddo, une immense étendue d’eau verdâtre aux confins du Texas et de la Louisiane, où les silhouettes décharnées des cyprès se perdent dans la brume. Quand le soir tombe, mieux vaut ne pas y naviguer seul, sous peine de ne plus retrouver son chemin dans les innombrables bayous et de « passer une nuit au motel Caddo », comme disent les anciens. C’est d’ailleurs parce qu’un enfant a disparu sur ce lac que Darren Mathews, Ranger noir du Texas, débarque à Hopetown, un lieu reculé habité par une communauté disparate. 

Dans les grandes lignes, « Au paradis je demeure », cinquième roman de Attica Locke, deuxième d’une trilogie consacrée au Ranger Darren Mathews, n’annonce rien de très original. Une virée aux confins du Texas et de la Louisiane, à la rencontre de laissés pour compte, de communautés isolées traversées par les grands maux de l’Amérique, du racisme à la pauvreté, avec son lot de faits divers et de crimes. Il y a un air de déjà-vu. Pour autant, on ne se fait pas prier. On semble que trop bien connaître la recette mais on y retourne sans grande hésitation, d’ici que ce soit cuisiné un peu différemment que d’habitude, car on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. 

Premier livre d’Attica Locke que je lis et, si comme je l’ai évoqué précédemment, on a de prime abord l’impression d’avoir à faire à un univers avec lequel on est assez familier, il y a néanmoins un détail qui diffère du schéma classique, notre héros, qui est certes Ranger, mais également noir. D’emblée donc, Attica nous offre un regard différent sur cette Amérique profonde, en passe de basculer sous l’ère Trump. Notre représentant de la justice est noir, texan, et entend bien faire son possible pour mettre à mal la Fraternité Aryenne du Texas qui sévit toujours. Sous couvert d’une enquête sur la disparition d’un enfant en Louisiane, aux abords d’un lac, il est envoyé chercher des éléments pouvant servir sa cause. Bien entendu, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles pourraient l’être, car « il y a quelque chose d’opaque dans cet endroit, comme la mousse grisâtre suspendue aux cyprès du lac Caddo. » 

En plus de nous offrir un point de vue assez inédit, ou au minimum original, Attica nous donne également à découvrir un lieu. Ce lieu c’est le lac Caddo et ses environs où s’entremêlent différentes strates de l’Histoire américaine. Les personnages qui y vivent, un vieux noir et quelques Amérindiens, forment une petite communauté assez unique en son genre, sans oublier quelques blancs biens racistes qui mettent à mal l’équilibre de ce microcosme. Un petit univers passionnant, riche en enseignements, dans un décor envoûtant. 

On entre sans aucun mal dans « Au paradis je demeure ». La plume est vivante, avec sa propre musique qui capte aisément notre attention, de bout en bout, et sans jamais faillir. Tout paraît vrai, ou plus exactement crédible, de l’histoire jusqu’aux dialogues. Attica Locke construit ici quelque chose de tangible et sincère. Elle maîtrise son sujet et ne laisse jamais le lecteur au bord de la route. On lit et vit chaque page avec attention et plaisir. Un livre convaincant, donc un bon livre.

Brother Jo