Traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj

 

Justin Peacock, lui-même ancien avocat ayant travaillé dans de gros cabinets d’affaires et plaidé dans des dossiers criminels, livre ici son deuxième roman, après « Verdict », mettant en scène un avocat. Ici le héros est confronté à la puissance d’un promoteur immobilier de New York.

« Duncan Riley est l’étoile montante au sein du prestigieux cabinet d’avocats new-yorkais Blake and Wolcott. Aussi se voit-il confier l’un des plus gros clients de la maison : Roth Properties, une société d’immobilier, mise en cause après un accident sur un de ses chantiers à SoHo ayant couté la vie à trois ouvriers. Après avoir fait connaissance du clan Roth, Duncan noue une relation amoureuse avec Leah, la fille du patriarche, qui lui propose bientôt de devenir le conseil juridique du groupe.  Au même moment, dans le cadre des quelques heures qu’il consacre chaque mois à l’assistance juridique bénévole, Duncan est amené à défendre Rafael Nazario, un jeune hispanique accusé d’avoir tué un agent de sécurité qui le menaçait de l’expulser de son logement social. Lorsqu’une jeune journaliste d’investigation, Candace Snow, lui apprend que le groupe Roth est lié à cet assassinat, et que derrière les apparences respectables de l’entreprise se cache peut-être une hydre sans scrupules, Duncan est pris entre deux feux. Aurait-il vendu son âme au Diable ? »

La trajectoire semble toute tracée pour Duncan Riley, jeune avocat d’affaires brillant, bientôt associé dans un grand cabinet new yorkais. Conseiller d’une grande société immobilière, il a plus d’argent qu’il n’en peut dépenser, n’a pas trop de scrupules à défendre les grands de ce monde, même s’il sait qu’ils ne sont pas tendres. Né d’un père noir syndicaliste et d’une mère blanche assistante sociale, il a bien conscience d’être passé de l’autre côté de la barrière grâce à ses études et son travail et s’en accommode parfaitement. S’il s’est chargé pro bono du cas de ce jeune garçon accusé de meurtre, c’est à la demande de son boss qui avait besoin de redorer un peu le blason de son cabinet. Et la première fois qu’il rencontre la journaliste Candace Snow c’est lors d’une déposition en vue d’un procès en diffamation que lui intentent ses clients pour un article qu’elle a écrit… nous n’avons pas à faire là à un naïf ! Duncan est un être complexe, bien loin du preux chevalier, mais d’autant plus intéressant.

Et tous les personnages sont du même acabit : Candace, Rafael, les Roth : père et enfants… tous sont terriblement humains, absolument crédibles. Pas de manichéisme : tous seront amenés à faire des choses qui les dépassent, entraînés dans une spirale assez sombre par de petits actes qu’ils pensaient bien plus anodins. Et c’est un premier tour de force de Justin Peacock de réussir à brosser ces portraits riches qui, insérés dans une enquête rigoureuse, lui donnent une dimension profondément authentique.

Justin Peacock réussit aussi à nous guider dans les arcanes du système judiciaire américain tout en restant toujours dans l’enquête, sans jamais nuire au suspense ou à l’intérêt de l’histoire. Il nous emmène également à la prison de Rikers où les conditions de vie sont loin d’être idylliques (joindre DSK pour de plus amples renseignements…). Evidemment, il maîtrise son sujet et ce qui se conçoit bien…

Enfin, Justin Peacock réussit à dresser un portrait de New York effrayant et virulent, un peu à la manière de Tom Wolfe dans « Le bûcher des vanités » ou « Un homme un vrai ». Il nous montre des hommes si puissants qu’ils peuvent se sentir intouchables. Comment ils se mettent dans la poche les politiciens ou frayent avec la mafia. Comment, sous couvert de réhabilitation, ils magouillent pour empocher de gros bénéfices sur les logements sociaux et chasser les plus pauvres. Comment ils tentent de museler la presse. Et tout cela, pour le plus grand bonheur des avocats, car dans les limites de la légalité, enfin presque ! La corruption new yorkaise, plus sournoise, n’a rien à envier à celle des républiques bananières sauf qu’on peut peut-être dénoncer ces scandales via la presse d’investigation et attaquer via la justice… Derniers espoirs…

C’est ce que faisait déjà Jacob Riis au XIX ème siècle. Le titre américain « Blind Man’s Alley » issu d’une citation de Jacob Riis mise en exergue lui rend davantage hommage que le titre français « Au-dessus des lois » explicite mais somme toute banal. Cela correspond au marché français sans doute, où on connait moins Jacob Riis. Immigré danois, ce journaliste de la fin du XIXème siècle s’est battu contre la misère et les conditions de vie insalubres des pauvres à New York. On a donné son nom à une cité sur l’avenue D de New York, cité célèbre pour son insécurité et dont il est question dans ce roman. En fait rien n’a vraiment changé, depuis Jacob Riis, un constat accablant !

Une enquête passionnante, intelligente, très documentée : que demander de plus ? Un excellent bouquin !

Raccoon

Une photo de Jacob Riis extraite de son livre « How the Other Half lives » 1890

La cité Jacob Riis en 2013