The Liberal Politics if Adolf Hitler
Traduction: Diniz Galhos
Dès le début de ce Anarchy in the U.S.E., John King attrape un gourdin et nous assomme. Il est des phrases dont on ne sait si elles sont drôles ou horribles, cocasses ou affligeantes. Que penser en lisant : “ABBA se tut et Himmler claironna ou la gentrification avait eu raison de l’égoïsme”. Le roman en est truffé, John King joue avec ça et joue avec nous, c’est une de ses grandes qualités, mêler le chaud et le froid en permanence. Ses personnages sont identiques, ils semblent plutôt sympathiques, ce sont des ordures qui manipulent les gens du peuple, les « communs ».
La zone dans laquelle Rupert travaillait était depuis longtemps une épine dans le flanc de l’USE. Aujourd’hui encore, après ces années d’investissement et d’éducation, il subsistait des niveaux alarmants tant d’anglicité que de britannicité. Il fallait prendre ce problème à bras-le-corps, raison pour laquelle Bruxelles continuait d’y envoyer des Crates idéalistes. Rupert faisait partie de cette joyeuse bande, c’était un loyaliste capable de vider son esprit et de rester parfaitement concentré pendant de très longues périodes, plus longues encore que la plupart des Crates, et cette faculté n’était pas passée inaperçue. Il absorbait facilement les informations, mais plus important encore, il croyait.
Rupert Ronsberger est un jeune Crate, un Bureau de niveau B+. C’est un Bon Euro, absolument convaincu, déterminé à apporter le bien-être de l’USE, l’United State of Europe, dans les terres britanniques plutôt rétives à ce bonheur infligé depuis Bruxelles et Berlin. Son bureau se trouve à l’intérieur même de l’abbaye de Westminster, entièrement rénovée, enfin utile.
Grâce à Limier, un système de surveillance pointu, entre dans sa ligne de mire Hannah Adams, une musicienne dont le profil n’abonde pas en informations, ce qui est louche, mais moins pire que d’écouter un antique vinyl, ce qui va à l’encontre de la numérisation heureuse.
Quand le week-end arrive, Rupert devient Rocket Ron, car en bon bureaucrate il se doit de se détendre, en commençant par écouter les Rubettes et plus si affinités. On découvre un Mr Hyde fort peu sympathique, ses idées préconçues par le système politique Euro effraient car franchement peu recommandables.
De ma vie de lecteur, j’ai rarement rencontré type aussi détestable, aussi bête et arrogant que ce Rupert-Rocket.
Admiré par Rupert, Herr Horace Starski habite tout en haut de la Tour Monnet à Bruxelles. Il est Contrôleur, un très haut poste dans l’Etat Uni d’Europe. Horace est un guide, de ceux qui veillent au bien-être du peuple, un bâtisseur, un véritable législateur, artiste de la langue de bois et du discours creux, expert en manipulation et mensonge. Son idéal : la Conformité.
Il se rend à Londres, dans ces îles où subsistent une part réfractaire à la bienveillance bruxelloise. S’y trouvent même des « Free english town », des aberrations. Des problèmes à résoudre, des « communs » à corriger. Rien à voir avec Bruxelles, véritable paradis pour tout Bon Euro. Il doit également rencontrer ce Crate prometteur, Rupert Ronsberger avec qui il a en commun l’abjection et la cruauté.
Toute la première moitié du livre mène à la rencontre entre Horace et Rupert, véritable nœud du roman. L’un des deux continuera de vivre les yeux rivés vers l’avenir et la vérité du moment, pour l’autre, la recherche de la vérité sera plus abstraite, plus incertaine.
Kenneth Jackson, « Kenny », est bien différent, il est l’autre visage de « Anarchy in the U.S.E. » Ce n’est pas un Euro, mais bien un Anglais (vocable honteux dans l’USE comme tous les gentilés nationaux), qui se rend au pub pour s’y procurer des objets interdits, ces livres en papier, non-modifiables donc dangereux, les supports physiques sont désormais interdits. Plus de livres mais plus de disques non plus, ni d’instruments de musique, pas plus que de concerts dans les pubs !
Avec Kenny, on découvre les poches de résistance à l’USE avec qui il existe un conflit larvé mais bien réel pour saper ce qu’il reste de culture britannique. Des groupes organisés existent, le Conflict, le GB45, et tentent de refouler l’inexorable avancée de l’USE. Son escapade clandestine à Londres est l’occasion de retrouver des lieux, des ambiances, des cultures chères à l’auteur.
Kenny est l’incarnation de l’espoir de John King de ne pas voir disparaître toute cette culture.
Le meurtre d’Hannah Adams, que Kenny connaît, par un Hardcore (membre d’un service de sécurité) réunit ces trois personnages principaux.
‘Ce que les masses ignoraient ne pouvait leur faire de mal. Si personne ne savait, il s’ensuivait que personne n’en avait cure. Si personne ne savait et n’en avait cure, il s’ensuivait que l’événement n’avait pas eu lieu. La Nouvelle Démocratie valait bien une certaine dose de flexibilité.’
John King, au travers de ses personnages de l’USE, réécrit toute l’histoire du XXème siècle, change les rôles, les criminels deviennent les bienfaiteurs, les héros se transforment en persécuteurs. Les provocations s’enchaînent à un rythme débridé. L’auteur ne recule devant rien, il manie le grotesque avec brio, les tabous qui lui résistent sont rares. On prend des séries de coups de poings avec lesquelles on hésite entre avoir franchement mal et rire à gorge déployée. Il pose parfois une lunette grossissante, un énorme télescope sur des faits sociaux actuels, tournant tout à la dérision, le bien-être animal, les réseaux sociaux, etc. Il en profite aussi pour tailler quelques costards aux locataires du 10 Downing Street. Il sait aussi faire jaillir la colère, notamment avec le traitement des enfants et des migrants.
Ses pages sont une vision d’horreur de l’Europe et de ses institutions dans ce qu’elles peuvent devenir de pire : une supra-nation de consommateurs, une standardisation outrancière effaçant chaque parcelle de particularité nationale, régionale, locale, une Europe où l’Histoire est une fiction écrite par le pouvoir, où le passé est modulable, où garder une part de sa vie privée est suspect. Tout élément particulier est à éradiquer, comme une maladie. Les Anglais, les Ecossais, les Gallois et les Irlandais doivent se fondre dans le bonheur contraint de l’USE.
John King brouille son texte avec délectation, on hésite entre blague potache, essai philosophique, politique-fiction et manifeste révolutionnaire
“Tu sais, y’avait vraiment des oiseaux partout dans Londres quand j’étais jeune, et les gens avaient encore des chats et des chiens. Il y avait aussi des renards, mais ils se sont faits exterminer. Les aristos en voulaient pas. Et pareil pour les indigènes, seulement ils pouvaient pas nous tuer, alors ils nous ont eus par l’immobilier, ils ont fait en sorte que ce soit impossible de se loger ici, même pour quelqu’un de normal. Ils ont ruiné Londres. Pas la moindre culture, ces imbéciles. Tout plein de fric, mais zéro classe. Les aristos, les yuppies, les Euros, les Crates : du pareil au même, tout ça. Le même gros tas de sales cons.”
La quatrième de couverture mentionne quelques auteurs, Huxley, Bradbury et Orwell. Chacun est une évidence, surtout le troisième. Mais pas comme une influence mal digérée, plutôt comme un point de départ. Dans Anarchy in th U.S.E. John King fait une sorte de mise à jour de 1984 , poussant les curseurs technologiques et politiques plus loin dans le rouge, tout en saupoudrant son texte d’un humour aussi féroce qu’absurde. L’inspiration est surtout dans la pensée en slogans, les abondants contresens, oxymores et sophismes, le double-parler et la double-pensée. On trouve des « Injonctions de Bienveillance Préventive », un « art de la correction comportementale », les agents chargés de la sécurité sont des « Cool », etc.
Les cochons de La ferme des animaux répondent eux aussi à l’appel, ils sont les Euros, les Crates, les Technos, etc.
Là où il rejoint Orwell à nouveau, c’est dans son souhait de transformer l’écriture politique en art. Comme Orwell, il s’érige contre ce qu’il pense être une injustice, une supercherie. C’est en grossissant le trait que John King espère se faire entendre, mais aussi en travaillant ardemment à bâtir une histoire qui tient debout, et en concevant un langage personnel brillamment retranscrit dans cette traduction.
Il faut ici saluer le traducteur, Diniz Galhos, qui recrée une langue, un parler bien particulier qu’il a su rendre en un français plein de torsions et de contractions, de mots valises et de jeux sur les registres de langue.
Aux trois auteurs cités on pourrait ajouter Étienne de La Boétie, Victor Klemperer et sa LTI, et surtout Iain Sinclair dont les récits sur Londres, mélanges de géographie et d’histoire où il cherche des traces d’avant la gentrification et la muséification, hantent plusieurs passage du roman.
Anarchy in th U.S.E. est initialement paru en 2016, le Brexit était déjà à l’ordre de jour mais pas encore une réalité. John King en était partisan, mais pas comme Nigel Farage ou Boris Johnson, d’un courant plus humaniste, il s’en explique très bien dans les entretiens recueillis dans Bruit noir. Le livre présentait un potentiel avenir de la Grande-Bretagne. Aujourd’hui que le Brexit a eu lieu, on peut lire Anarchy in th U.S.E. comme une mise en garde face à l’érosion de la démocratie, à la prise du pouvoir par des adeptes du libéralisme autoritaire et/ou des droites nationalistes héritières du fascisme.
― Nous vivons dans une société de liberté, aussi la conformité est-elle récompensée.
NicoTag
La claque… Joy Division pour illustrer John King… Toujours aussi magnifique, la voix de Ian Curtis, ces airs entêtants… SUBLIME.
John King, je l’avais lu il y a bien longtemps, dans Football Factory. De la bière, des bastons et un peu de foot… Un grand bouquin où j’avais trouvé également un peu de 1984…
Le morceau de Joy Division et ses paroles collent bien au roman.
Pas de foot ni de bière (enfin peu) mais c’est bien méchant quand même, d’une violence très variée.