Chroniques noires et partisanes

ALLEGHENY RIVER de Matthew Neil Null / Terres d’Amérique – Albin Michel.

Allegheny Front

Traduction : Bruno Boudard

C’est souvent le cas avec les nouveaux talents de la littérature américaine proposés par Terres d’Amérique / Albin Michel : avant leur premier roman, ils ont fait parler d’eux grâce à leurs nouvelles, distillées ça et là dans les revues puis rassemblées dans des recueils. Matthew Neil Null n’échappe pas à ce cadre, à ceci près que son roman Le miel des lions (2018) nous l’a fait découvrir avant Allegheny River daté de 2016 dans sa version originale, collection de 9 textes des années 2010 à 2014.

Matthew Neil Null y dévoile son ancrage et sa connaissance intime de la région qui inspire ses écrits, en Virginie-Occidentale, plus exactement la partie septentrionale de l’Etat rattachée à l’arc géologique appalachien. C’est une zone de relief (vallées, crêtes, plateau d’altitude), irriguée par de multiples cours d’eau, lâchés comme des fauves, difficile d’accès, qui isole encore plus l’étroite bande de terre ouest-virginienne, coincée entre la Pennsylvanie et l’Ohio. Des débuts de la période coloniale jusqu’à notre époque, la vie des hommes, leurs déplacements, l’exploitation des richesses naturelles (bois puis mines de charbon), le déclin d’icelles, n’y ont jamais été aisés. Cet éloignement, ce déterminisme géographique, a contribué à la constitution d’une société humaine bien particulière dont les strates historiques sur plus de deux cents ans servent d’appui aux histoires de Matthew Neil Null.

Avec la même érudition, la même passion, la même richesse sémantique et prosaïque dont il a fait montre dans Le miel du Lion (au risque de désarçonner certains lecteurs, soumis, parfois, à une avalanche de grumes, les qualificatifs ou les descriptions imagées qu’il affectionne) Matthew Neil Null fabrique, avec 9 pièces de tissu, un quilt qui illustre avec brio le fragile équilibre entre hommes et Nature dans un milieu travaillé par des évolutions sociales et des impacts environnementaux, dépeint les exploits et les défaites ordinaires de flotteurs de bois, de mineurs de charbon, de chasseurs d’ours, de marchands ambulants, de naturalistes, de personnages aux ambitions politiques ou religieuses, confrontés au grand chambardement des temps qui changent, sans qu’ils n’apportent du meilleur, juste l’impérieuse obligation aux locaux d’en prendre le meilleur parti. S’ils ne le peuvent, ils souffriront, seront écrasés ou s’en sortiront, amoindris ou  bien drôlement changés. Ce serait la même chose ailleurs mais Matthew Neil Null ne raconte que cet endroit, avec une telle justesse et une telle puissance que nous pouvons nous convaincre qu’il nous parle des humains qui habitent ailleurs et qui peut toucher tous ceux qui lisent autre part dans le monde.

C’est violent ou au moins rude, profond, riche d’inattendu et d’aspérités littéraires (à la mesure du terrain). Ce sont des short stories. En français, nous dirons encore une fois des nouvelles, avec les limites de notre propre sémantique. Courtes, oui, plus ou moins, mais ce sont de putains d’histoires, avec une véritable force nucléaire.  Et celle ou celui qui veut en lire et est encore convaincu(e), comme Muriel Rukeyser, que « l’Univers est non pas fait d’atomes mais d’histoires » se régalera avec celles de Matthew Neil Null.

Bonne année de lecture.

Paotrsaout



2 Comments

  1. Guillaume

    Tu me tentes bien ! J’apprécie beaucoup les nouvelles de cette collection !

    • clete

      Tu peux foncer Guillaume.

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