Traduction: Janique Jouin-de Laurens
Sa petite flottille se trouvait à douze miles nautiques du récif Mischief, dans les îles Spratleys, une zone depuis longtemps disputée, et effectuait ce qu’on nommait par euphémisme une « patrouille de liberté de navigation. » Elle détestait ce terme. Comme souvent dans l’armée, il était destiné à donner une apparence trompeuse à leur mission, qui n’était qu’une provocation pure et simple. Ces eaux étaient indéniablement des eaux internationales, tout au moins d’après les conventions établies par la loi maritime, mais la République populaire de Chine les revendiquait comme eaux territoriales. Imaginez que votre voisin ait légèrement déplacé sa clôture sur votre propriété et qu’en représailles vous laissiez volontairement d’énormes marques de pneus sur la pelouse dont il est si fier ; voilà à quoi revenait le droit de fait de traverser le très contesté archipel Spratleys avec sa flotille. Et c’est ce que les Chinois faisaient maintenant depuis des décennies, déplacer la clôture, un peu plus loin, un peu plus loin et encore un peu plus loin, jusqu’à revendiquer la totalité du Pacifique Sud.
Donc… il était temps de laisser des marques de pneus sur la pelouse.
La capitaine Sarah Hunt est à la tête des trois destroyers qui laissent des marques en mer de Chine.
Chris « Wedge » Mitchell est pilote, comme ses père, grand-père et arrière grand-père avant lui. Il teste un système de brouillage dans les limites du ciel iranien.
Tous deux font face à une situation critique, des incidents isolés concomitants propres à remettre en cause les équilibres géopolitiques mondiaux. Le pilote se retrouve sur le sol iranien, prisonnier des gardiens de la révolution, après que son avion ait été détourné grâce à une technologie avancée. La seconde, en voulant sauver un chalutier chinois, est encerclée puis torpillée par une escadre de l’armée nationale populaire chinoise. Les deux sont de surcroît privés de tout moyen de communication avec leurs hiérarchies. Un troisième personnage, travaillant à la Maison Blanche, fait le lien entre les histoires des deux autres, Sandeep Chowdhury, conseiller adjoint à la sécurité nationale.
On comprend assez vite que les chemins de ces personnages vont se croiser, c’est une construction assez classique. Ce qui change du tout au tout c’est le décor, et là il faut reconnaître que les deux auteurs, l’écrivain et ex-militaire Elliot Ackerman et l’amiral James Stavridis, ancien commandant de l’Otan en Europe, savent promptement bâtir une situation critique haletante, effrayante et asphyxiante, digne de ce que le polar ou le roman politique savent faire de mieux.
« 2034 » débute le 12 mars 2034 à 14h47. Page 59, à 18h42, une guerre commence dans laquelle les trois personnages cités deviennent les jouets et les monnaies d’échange d’un jeu qui n’a rien de plaisant. Tous trois se débattent, chacun selon ses moyens, dans ce qui n’est pas encore une guerre mondiale.
À la manœuvre il y a trois hauts gradés chinois dont on sait peu de choses, qui enferment les Américains dans une nasse qui se révèle quasi inextricable.
— San Diego et Galveston.
Ils restèrent figés, tous les trois. Dans la pièce, il n’y avait d’autre bruit que la musique. Pas un mot ne fut prononcé. L’unique mouvement provenait de la télévision. Le bandeau continuait de défiler, distillant l’information, tandis qu’au-dessus se trouvait la fille qui joyeusement distillait les mouvements de la Tandava. Sa danse semblait ne jamais prendre fin.
« 2034 » a bien quelques défauts, une conclusion peu étayée par exemple, en revanche on peut remercier les auteurs de ne pas avoir cédé à la facilité, le livre n’est pas un spectacle grand-guignolesque avec des bas du front qui dégomment en tous sens. Plusieurs événements sont rapportés indirectement plutôt qu’outrageusement balancés. La violence et la débauche technologique militaire meurtrière sont au cœur du livre ; le voyeurisme par contre n’y a pas sa place.
Le monde en 2034 ressemble à ce qu’il est aujourd’hui, un terrain de jeu pour les tous les affamés de pouvoir. Les tensions géopolitiques sont les mêmes en pire, quelques régions ou pays ont changé de main. Ce roman d’anticipation, puisqu’il s’agit bien d’un roman, résonne évidemment avec l’actualité, mais au-delà de l’angoissante fiction politico-militaire, nous suivons le parcours des trois personnages : la prison et l’hôpital pour Mitchell, la cellule de crise du gouvernement pour Chowdhury, et Hunt coincée sur une base navale dans une procédure d’enquête. Tous trois vivent et subissent ces moments avec des formes de pression aussi différentes qu’intenses.
Par la suite, avec la montée croissante de la crise, on les voit sur plusieurs semaines batailler dans ce qui est devenu une guerre totale. Nous sommes embarqués à l’intérieur de cette escalade de violence ; nous prenons de plein fouet toutes les émotions des personnages, quels qu’ils soient. Si on ajoute le cadençage ultra rapide du récit, « 2034 » se transforme en un page-turner dynamique au climat tendu et terriblement anxiogène.
NicoTag
La guerre s’est souvent immiscée dans le rock, Motörhead, les Tindersticks ou PJ Harvey n’en sont que quelques exemples parmi beaucoup d’autres, dont celui-ci :
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