
En 2019, la mort du musicien David Berman marque profondément les esprits des fans de rock indépendant, toutes générations confondues. Dandy provocateur et intemporel, chanteur et poète ultra charismatique, il s’est fait connaître avec le groupe Silver Jews qui compta un temps en ses rangs Stephen Malkmus et Bob Nastanovich du groupe Pavement. En quelques albums clés, il a contribué à remettre de la poésie dans le rock’n roll des années 1990 et 2000, conjuguant humour noir, écriture littéraire et charisme de crooner grunge. Artiste maudit, il est considéré par de nombreux fans et journalistes comme un musicien aussi important que Bob Dylan ou Patti Smith en leur temps.
Ecrit par Pascal Bertin – le journaliste (Libération, Tsugi, France Inter…) – à ne pas confondre avec son homonyme contreténor (mais peut-être que lui aussi donne de la voix), Au nom du pire : David Berman et Silver Jews face aux démons de l’Amérique est le deuxième livre des éditions Le Gospel, après L’Histoire de secrète de Kate Bush (et l’art étrange de la pop) de Fred Vermorel, consacré à un artiste musical. Cette fois-ci il est question de David Berman, un nom peut-être moins grand public que Kate Bush, mais dont l’oeuvre en a passionné plus d’un et en passionne aujourd’hui encore.
Avec une carrière à ce point erratique, comprenez par là quelques albums (sept au total, de 1994 à 2019), qui longtemps ne furent pas accompagnés de concerts, ni même d’interviews, ainsi qu’un unique recueil de poèmes (quand bien même l’étiquette « poète » lui fut toujours collée à la peau) et un autre recueil de dessins qui lui aussi n’a jamais connu de suite, tout en ajoutant à cela une « pause » de bien huit ans après avoir officiellement mis fin à son groupe les Silver Jews en 2009, on peut dire qu’il aurait été facile d’imaginer que le nom de David Berman et son oeuvre finissent par complètement disparaître des radars. Néanmoins, il y a un truc qui s’appelle le talent et cela aura suffi à ce qu’il devienne l’un de ces artistes cultes dont l’influence aura perduré au fil des années.
L’avant-propos de Pascal Bertin se veut clair dès la première phrase sur le contenu du livre : « Ceci n’est pas une biographie. » Pour ceux qui espéraient une biographie tout ce qu’il y a de plus classique, rassurez-vous, Au nom du pire reste tout de même très biographique. Pour autant, il est vrai que Pascal Bertin essaye de construire un propos autour de l’oeuvre et la vie de David Berman, plus qu’il ne s’attarde en détail sur toute la vie de l’intéressé. Tel que je l’ai perçu, Pascal Bertin nous donne une lecture personnelle de la vie d’un artiste qu’il admire. Il ne multiplie pas les interviews pour étayer son propos, il se contente essentiellement du témoignage de Bob Nastanovich de Pavement et ex-Silver Jews, qui en quelque sort sert ici de fil conducteur. Une démarche qui se veut relativement pudique et sobre.
C’est en mettant en perspective la figure paternelle, Richard Berman, un célèbre avocat lobbyiste tout ce qu’il y a de plus détestable et ombre qui aura toujours pesé sur son fils, ainsi que les changements et les travers de l’Amérique vécus sur plusieurs décennies, que Pascal Bertin fait le choix de nous raconter David Berman. En puisant dans ses textes et en analysant ses choix de vie et artistiques, il nous dépeint David Berman en témoin profondément conscient de son environnement et en artiste en marge des canons de son époque. Le parcours d’un homme hanté, traversé ou habité, c’est selon, dont la fin tragique et brutale des suites d’une dépression qui le rongea tout au long de sa vie, a malheureusement sonné le glas d’un œuvre qui nous aurait sans doute encore réservé quelques belles surprises.
Au nom du pire est le tout premier ouvrage publié à ce jour sur David Berman et les Silver Jews. Pascal Bertin signe ici un livre qui est à l’évidence le travail d’un passionné avant tout, mais qui a le mérite d’être assez accessible pour ne pas s’adresser qu’aux initiés. De quoi donner envie de se plonger à nouveau dans toute cette musique et tous ces textes, avec peut-être un regard différent mais une émotion toujours intacte.
Brother Jo.
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