On a beau tenter de lire les romans dans l’ordre de sortie ou de réception, il y a toujours des bouquins qui arrivent à passer avant les autres, des coupe-files irrésistibles qu’on laisse faire tant on sait que leur lecture offrira du plaisir, celui que l’on cherche dès qu’on ouvre la première page d’une nouvelle histoire. Franz Bartelt fait partie de ces auteurs devant qui je me prosterne, je m’aplatis ou plutôt je me tords de rire tant ses écrits sont souvent exceptionnels quand ils ne sont pas tout simplement divins.

Wilfried Gamelle, flic rendu dépressif par le départ de sa femme, enquête depuis quatre ans sur une quarantaine de meurtres qui se sont produits à des arrêts de bus et des passages piétons. Il est secondé par “le bourrin” un cul de jatte particulièrement prétentieux et retors et par Fernand Ladouce un aveugle qui a proposé sa collaboration à l’enquête… Et voici un conte policier de plus qui sort du chapeau de magicien de Bartelt. Le verbe est railleur, moqueur, méchant mais aussi parfois très tendre. Les situations sont hautement improbables, les comportements souvent bizarres… On connaît tous des gens comme les allumés qui peuplent les romans et les nouvelles de Bartelt. Il croque des personnages originaux par leur ordinarité et les pousse gentiment, légèrement à franchir la ligne un jour.

Les romans de Franz Bartelt sont intemporels. S’ils se situent de nos jours, on peut aussi aisément les transporter dans les années 60 dans une France des petites villes avec ses notables, ses nobliaux locaux, les petits commerces, les restaus ouvriers, les bars et leur philosophie, les commérages, les sales affaires et les mauvais penchants planqués sous le tapis. C’est hautement jouissif, acerbe et écrit avec une ironie érigée en art. 

Néanmoins, même si on pardonne beaucoup à ses amis, on sait aussi que « qui aime bien, châtie bien ». Ce coup-ci, je suis resté un peu sur ma faim, déçu par la brièveté d’une histoire qui laissait pourtant présager de nombreuses scènes improbables ou scabreuses. Si le roman démarre impérialement avec un inspecteur Gamelle, impeccable, qui se signale dès l’incipit en tabassant un aveugle, la suite, bien que souvent brillante, souffrira néanmoins d’un dénouement bien trop précoce comme si l’auteur en avait eu assez de son histoire. 

En résumé, si ce nouvel opus est peut-être moins virtuose qu’à l’accoutumée, c’est quand même un Bartelt, du haut de gamme, l’antidote parfait à la morosité.

Clete