Traduction: Frank Reichert.

Daniel Woodrell est un grand auteur de polars et romans noirs qui connaît un grand succès critique mais pas vraiment la voie royale avec le public. Pourtant, beaucoup d’auteurs de polars ricains mais aussi français le citent dans leurs références, leurs préférences dans ce même univers que Larry Brown, Harry Crews, Chris Offutt… voire Faulkner puisque dans chaque roman du Sud de qualité on doit retrouver la touche de Faulkner, forcément semblerait-il, à la limite McCarthy mais Faulkner, c’est mieux. Nul désir ici de faire une étude comparée sur les différences et les ressemblances entre les différents auteurs, signalons plutôt que Woodrell ne doit pas être uniquement connu que pour « un hiver de glace » ou son adaptation au cinéma « winter’s bone ». Avant d’arriver à cette petite merveille récompensée par le Prix Mystère 2008 du meilleur roman étranger, il avait suivi un parcours de sept romans passant du polar le plus classique à la tragédie noire la plus poignante. Débutant sa carrière dans les années 80, il a écrit trois romans sortis chez Rivages il y a très longtemps, la saga de la famille Shade, cajuns bon teint du delta du Mississipi et regroupés aux USA sous le nom de la « Trilogie du Bayou ». J’avais lu, il y a une éternité le troisième sans savoir qu’il connaissait deux précédents et c’est donc cet ensemble que je me propose de vous présenter rapidement, d’une part parce que c’est très souvent rude et bien déjanté, d’autre part parce qu’on y voit la mue de l’auteur vers des romans plus profonds et enfin aussi parce que c’est vraiment très bien écrit avec un sens du rythme qui fait qu’une fois l’histoire commencée, bien difficile de la lâcher, je vous le garantis et c’est ainsi pour les trois tomes avec une grosse bouffée d’émotion en prime pour le final de la saga.

« Dans ses rêves, Jewel Cobb s’était imaginé dans la peau d’un tueur de légende. Aujourd’hui, il est descendu dans la ville de Saint-Bruno pour réaliser son fantasme. Son cousin, Duncan, lui a procuré le « contrat ». Mais Jewel ne sait pas que Duncan le prend pour le « connard rêvé »… A l’autre bout de la ville, un conseiller municipal noir est assassiné par un « cambrioleur ». Sa mort met Saint-Bruno en ébullition. »

L’enquête est confiée à Rene Shade, flic incorruptible qui combat le mal et le vice qui accompagnent les activités de sa famille comme de tous ses amis. Il faut dire que flic dans Frogtown, quartier « français » de St Bruno ville imaginaire de 200 000 habitants sur le bord du fleuve en amont de la Nouvelle Orleans n’est pas une sinécure. Quartier cajun où se regroupe toute la chienlit blanche dégénérée qui n’a pas su quitter ces égouts au bord des marais, sort à peine plus enviable que le quartier noir de « la poêle à frire » où pareillement, végète le pire de la communauté afro-américaine. Les deux ghettos vivotent en s’ignorant, chacun ayant suffisamment avec sa clientèle propre pour ne pas empiéter sur le concurrent. Bien sûr, il y a déjà eu des guerres pour régler certains problèmes de voisinage mais le conflit qui arrive par la grosse connerie des différents protagonistes sera de très bonne facture. Le final s’avère particulièrement chaud dans le bayou de nuit au milieu des serpents mocassins et autres saloperies volantes, nageantes ou rampantes, admirablement diversifiées, dans les dégats causés à autrui.

« Sous la lumière cruelle » est donc un bon et vrai polar avec une enquête correcte au final réussi qui jouit d’une qualité d’écriture étincelante discrète parfois, enveloppée dans de belles descriptions de paysages et d’ambiance et particulièrement vacharde dans des portraits à l’acide de certains personnages qui ont auront chaud pendant plusieurs hivers avec les costards tordants que Woodrell leur a taillés. Mais déjà, on sent bien que Woodrell veut écrire autre chose car il crée un véritable univers à Frogtown, nous fait entrer dans la cour des Miracles, nous montre petit à petit que le malheur est parfois prévu dès la naissance, que certains comportements , à défaut d’être pardonnables, sont néanmoins le fruit d’un manque d’éducation.

Et au milieu du bordel ambiant, si Rene parvient, en cours de lecture, à être identifié comme le personnage principal, une certaine part belle est offerte aussi à ses deux frères, à leur mère et à leur père cavaleur absent depuis des décennies. Rien n’est superflu dans ces petits récits de vie, on y lit les regrets, les manques, les absences, les choix, les mauvais choix ; la vie dans Frogtown qu’on n’a pas su ou voulu ou pu quitter ou qu’on retrouve parce que ce sont les racines, mauvaises, mais les racines quand même, responsables d’un mauvais départ dans la vie suivi de multiples gamelles. Et ces petits moments, toujours bercés par un humour bien mordant s’adaptent très bien à une intrigue cavaleuse à la suite d’un fuyard au cerveau peu développé mais aux jambes vives…

Du White Trash de première division avec des abrutis XXL raillés par l’auteur mais souvent aussi compris par un Woodrell qui montre déjà, au milieu du bordel ambiant, la part humaniste qui est sienne et qui éclatera quelques années plus tard de façon évidente avec « la mort du petit cœur » notamment.

Epatant.

Wollanup.