Traduction : Frédéric Brument (Australie)

 

L’existence de chacun est jalonnée de rives à atteindre. Tantôt lointaines, tantôt proches, elles sont les passages intermédiaires mais essentielles à nos constructions. Parfois on y accède par ses propres moyens et d’autres par des ponts salvateurs. Tess en est là ; elle désire franchir ce cours tumultueux et elle sera assistée mais la substance de sa mue ne pourra s’extraire que de son être…

« Tess, vingt et un ans, vit avec son mari Jay et leur petite fille de trois ans dans une ferme isolée en Australie. Elle est régulièrement battue par son mari, mais les frères et la mère de Jay font semblant de ne rien voir. Un jour, un jeune couple qui voyage à travers le pays s’arrête dans leur village. Tess décide de saisir sa chance et, à l’aube, en cachette de tous, elle monte dans la voiture des inconnus avec sa petite fille. Un périlleux chemin vers la liberté commence alors… »

Maureeen McCarthy est issue d’une famille de fermiers australiens et elle est la neuvième d’une fratrie de dix enfants. Professeure d’art, elle est désormais écrivaine à temps plein. A la clôture de cette lecture il est mal aisé de ne pas reconnaître que l’auteure a, sans nul doute, couché une partie de sa vie.

Dans ses thématiques de la fuite face aux violences conjugales, on accompagne cette embarcation composée d’une mère et de sa fille soutenues dans le projet par un homme providentiel. Chaque personnage de ce récit possède sa propre histoire cabossée. Par étapes, on découvre leur parcours de vie avec leurs souffrances, leurs constructions singulières et insidieusement on aborde leur personnalité sous une lumière de plus en plus claire.

Tess doit se sauver, elle doit sauver sa fille, l’emprise toxique de Jay s’insinue dans sa conscience et son subconscient. Sa souffrance c’est aussi son manque de confiance à autrui. C’est là qu’Harry, l’homme providentiel, joue un rôle majeur, prépondérant, dans sa faculté à délier les nœuds de Tess. Il saura,  pas à pas, rendre une humanité, un équilibre, une vision vers l’avant et plus dans son dos, permettant à Tess de faire face à son passé et, surtout, d’entrevoir un avenir.

On est aussi dans un road trip où règne la hantise d’entrapercevoir son bourreau dans son sillage, cette angoisse concourt à tracer un parcours d’un coup de kohl. Mais la fuite n’est pas infinie et celle-ci s’accolera avec une histoire familiale lourde, qui garde les béances des non-dits, des incompréhensions, de la difficulté liée à l’empathie, et Tess se doit aussi de passer par cette étape pour se confondre dans ses racines, distinguer sa substantifique moëlle. L’alchimie d’une vie est à ce prix et le puzzle possède de nombreuses pièces.

Sous couvert d’un style cinématographique, l’auteur révèle avec sensibilité, sans artifices, la primordiale résurrection  d’un être perdu, blessé, désarticulé. On rentre de plain pied dans ce récit fort dans une réelle alacrité de lecture et comme le disait Cioran : «On peut dire tout ce qu’on veut, Il est impossible de vivre sans aucun espoir. On en garde toujours un, à son insu, et cet espoir inconscient compense tous les espoirs qu’on a rejetés ou perdus »

Un  pont vers la rive espoir !

Chouchou.