Sarah Court.

Traduction: Eric Fontaine.

Depuis 2014, on n’avait plus de nouvelles de Craig Davidson. Sous le pseudonyme de Nick Cutter, il avait écrit des (bons) romans d’horreur TROUPE 52 et LITTLE HEAVEN mais si l’hémoglobine n’est pas trop votre truc, plus rien de “consensuel” (guillemets indispensables) à se mettre entre les mains du grand auteur canadien méconnu. Un de ses recueils de nouvelles avait tant séduit Jacques Audiard qu’il en avait fait “De rouille et d’os” avec l’excellent Matthias Schoenaerts et la pôôôvre Marion Cotillard dans les rôles principaux. 

Alors, voilà Davidson de retour dans les librairies françaises aujourd’hui avec un roman daté de 2010, jusqu’ici inédit chez nous et cette cruelle absence est enfin réparée. Ecrit avant le splendide CATARACT CITY de 2014, il contient beaucoup des thèmes qui exploseront au visage du lecteur quatre ans plus tard: les chutes du Niagara côté canadien, les souffrances du corps, la boxe, les combats de chiens, les vies à l’arrêt, la paternité, tout y est déjà. Mais, tout ceci est développé ici dans une version au premier abord, j’insiste au premier abord, beaucoup moins tragique, moins noire que dans CATARACT CITY. Mais, très comparable à Dan Chaon dans sa manière d’écrire, il faut se méfier de Craig Davidson car il secoue gravement, faisant naître l’horreur domestique d’une situation, en apparence, tout à fait banale. Davidson est capable de vous faire exploser de rire  puis de salement vous plomber la page suivante. Du coup, la lecture s’avère très prenante mais débordante d’incertitude et créant une réelle appréhension de chaque instant: chat échaudé…

Sarah Court est un petit lotissement banal de cinq maisons dans un coin gris de l’Ontario. Cinq maisons, cinq familles, cinq histoires dans cinq parties contenant toutes le terme noir dans leur appellation: Eau Noire, Poudre Noire, Boîte Noire, Carte Noire et Tache Noire et racontant trois générations. D’aucuns pourraient penser qu’il s’agit d’un recueil de nouvelles assemblées pour faire un roman mais les récits sont inter-connectés et bien souvent le dénouement d’une histoire se trouve dans le développement d’une autre. On aimerait parfois bien connaître la réalité de nos voisins derrière le vernis des convenances et des apparences, la part sombre et c’est à pareille aventure que nous convie un Craig Davidson une fois de plus virtuose et osant même saupoudrer son récit de quelques petits éléments de surnaturel sur la fin sans rien gâcher. 

Le livre s’apprivoise lentement, les zones d’ombre sont souvent longuement préservées, beaucoup de gens bizarres, de situations improbables ou déjantées comme ridicules mais un ensemble parfaitement maîtrisé.

“Regardez un peu les différentes trames narratives de ce récit. Observez comment les histoires débutent et comment elles prennent fin. Celle d’un jeune pyromane fasciné par les feux d’artifice se termine avec de nouveaux yeux dans les orbites d’une femme. Celle du voleur de voiture qui explique à un étrange garçon comment on “chope un vé’cule” se termine avec un autre garçon tout aussi étrange qui se pend dans le placard d’un motel, mais qui finira par être sauvé par le premier de ces garçons, devenu un homme, qui un jour avait volé la Cadillac du grand-père du second.” raconte Davidson dans une épilogue de haut vol achevant un roman hors normes, loin des sentiers battus et rebattus.

Osez le trouble d’un très grand roman!

Wollanup.