Chroniques noires et partisanes

Étiquette : la table ronde

LE CHEWING-GUM DE NINA SIMONE de Warren Ellis / La table ronde

 Nina Simone’s Gum

Traduction : Nathalie Peronny

« Le 1er juillet 1999, Dr Nina Simone a donné un concert exceptionnel au Meltdown Festival, dirigé cette année-là par Nick Cave. Après le spectacle, Warren Ellis, subjugué, s’est hissé sur scène, a décollé le chewing-gum resté sur le piano de Nina Simone et l’a embarqué dans la serviette de l’artiste qu’il a rangée dans un sac Tower Records.

Vingt ans plus tard, lorsque Nick Cave lui demande de participer à son exposition « Stranger than Kindness » à Copenhague, Warren Ellis a l’idée de sublimer, reproduire et détourner ce totem qui ne l’a pas quitté.

Ensemble, ils décident que le chewing-gum sera exposé dans une vitrine, telle une relique. Mais, craignant qu’il ne s’abîme ou se perde, Ellis en fait réaliser des moulages en argent et en or, déclenchant une série d’événements qui le ramènent au temps de son enfance et à son rapport aux objets trouvés.« 

Voici un livre que j’appréhendais. Pourquoi ? Je m’explique. Enfin, je ne devrais sans doute pas. Certains vont probablement m’en vouloir d’écrire ce que je vais écrire. Je vous vois venir, vous les fans de Nick Cave qui voyez des chefs-d’oeuvres dans absolument toute sa discographie, qui buvez ses paroles telles des ouailles face à un pasteur évangélique, qui ne jurez plus que par Warren Ellis, vous allez me traiter d’hérétique. Crier au scandale. Mais je n’en ai cure ! Je le dis tout haut, mais peiné, les derniers Bad Seeds – et tout particulièrement Ghosteen – sont d’une insupportable pauvreté, et toutes les dernières bandes-sons signées Cave et Ellis sont tout aussi peu inspirées (comment oublier l’affligeant titre final de La Panthère des Neiges ?). Et que dire des actuelles attitudes et postures de Nick Cave ? Peut-être vaut-il mieux que je ne dise rien. Non. Vraiment. Je fais partie de ceux (car je ne suis pas tout seul) qui, bien que fan, arrivent à saturation et risquent bien, un jour, peut-être, de tomber en désamour. Et voilà maintenant que Warren Ellis publie un livre ! Autant dire que je n’en attendais pas grand-chose, les deux ne cessant plus de me décevoir. Mais je reste curieux ! Ai-je bien fait ?

A ce stade, me lisez-vous toujours ? J’espère. Ne comptez pas sur moi pour me faire pardonner en récitant dix Ave Nick Cave ! Cela dit, j’ai du bien à dire de notre barbu violoniste. Si, si, vous allez voir. Son livre est une belle et très improbable surprise. Si il lui a été initialement proposé d’écrire ses mémoires, Warren Ellis a préféré faire quelque chose de plus singulier. Il évoque bien son parcours à travers ces pages et ce qu’il nous en raconte est plus passionnant qu’il ne semble le penser. De vraies mémoires auraient été tout à fait pertinentes mais Le chewing-gum de Nina Simone à déjà de quoi régaler le lecteur. 

En passant sa vie à bourlinguer et à se trimballer avec bien des attachés-cases et autres valises, Warren a accumulé quantité de petits objets, des souvenirs, parfois oubliés ici ou là et retrouvés bien plus tard, ou d’autres toujours près de lui. A travers ces objets c’est une partie de sa vie d’artiste, de sa personnalité, qu’il nous raconte, mais aussi les liens que les gens développent avec toutes sortes d’artefacts. Une sorte de fétichisme un peu naïf, parfois même un peu risible quand on ne pratique pas soi-même, mais toujours touchant et assez évocateur. Un fétichisme poussé à son paroxysme avec ce chewing-gum de Nina Simone qui, 20 ans plus tard, de souvenir intime devient une sorte de relique sacrée révélée au monde. Tout le parcours qui mènera à cela, assez délirant, s’avère  jubilatoire. Au texte s’ajoute une belle quantité de photos qui donnent une dimension supplémentaire à cette histoire insolite et, il faut le dire, absurde. 

Je ne m’attendais certainement pas à prendre autant de plaisir à lire Le chewing-gum de Nina Simone. Que l’on soit un amateur de Warren Ellis ou pas, que l’on aime la musique ou pas, que l’on connaisse Nina Simone ou pas, on peut apprécier ce bouquin. L’expérience est unique, et le livre écrit avec passion et sincérité, est aussi drôle que poétique. L’œuvre d’un doux rêveur qui n’a toujours pas fini de rêver. Une bouffée d’air frais dans le marasme de l’actualité. Une déclaration d’amour à toutes les personnes qui nous inspirent.

Brother Jo.

LE FESTIN de Margaret Kennedy / La table ronde

The Feast

Traduction: Denise Van Moppès

Envisagé comme un roman collectif traitant les sept péchés capitaux, Le festin sera finalement l’œuvre de l’Anglaise Margaret Kennedy, qui atteignit une certaine célébrité avec un de ses premiers écrits en 1924, La Nymphe au cœur fidèle. Sorti en France en 1951 sous le titre La fête, Le festin bénéficie cette année d’une réédition grâce à la collection Quai Voltaire des éditions la Table ronde.

“Cornouailles, 1947. Comme tous les étés, le révérend Seddon rend visite au père Bott. Hélas, son ami n’a pas de temps à lui accorder cette année, car il doit écrire une oraison funèbre : l’hôtel de Pendizack, manoir donnant sur une paisible crique, vient de disparaître sous l’éboulement de la falaise qui le surplombait. Et avec lui, sept résidents…Dans cette maison reconvertie en hôtel par ses propriétaires désargentés étaient réunis les plus hétéroclites des vacanciers : une aristocrate égoïste, une écrivaine bohème et son chauffeur-secrétaire, un couple endeuillé, une veuve et ses trois fillettes miséreuses, un chanoine acariâtre et sa fille apeurée… Le temps d’une semaine au bord de la mer dans l’Angleterre de l’après-guerre, alors que les clans se forment et que les pires secrets sont révélés, les fissures de la falaise ne cessent de s’élargir…”

Vous aurez remarqué dès la quatrième de couverture que Le festin n’est pas un polar ou un roman noir mais qu’il lorgne plutôt vers le roman sociétal, la comédie, le vaudeville. Le festin n’est pas un polar mais un policier y fait pourtant une apparition emplissant d’effroi un des personnages du roman. Ce n’est pas un thriller non plus mais néanmoins il y  règne un suspense certain. Sachant dès le départ qu’un bout de la falaise va écrabouiller un certain nombre  des occupants de la pension mais qu’il y aura des survivants, le lecteur peut s’amuser à émettre des hypothèses sur les personnages qu’il désire laisser dans l’hôtel quand la roche tombera et qui “mérite” d’être épargné.

Le festin se veut une comédie et certains passages et certaines situations peuvent effectivement déclencher le sourire mais c’est aussi un état des lieux assez méchant de la société anglaise de l’immédiate après-guerre avec des mentalités qui peuvent surprendre aujourd’hui. L’avarice, la paresse, la gourmandise, la colère, la luxure, l’envie, l’orgueil sont bien tous présents à des degrés divers, de l’amusant ou l’anecdotique jusqu’au très déplaisant ou inconvenant sans aller jusqu’au pathologique. 

Les femmes sont les personnages forts du roman, les hommes restant dans l’ombre, éléments faibles du décor. Alors, le ton est souvent léger, les petites histoires de la communauté font gentiment vibrer un récit sans grandes étincelles mais ne manquant pas de piquant parfois avec des passions qui se terminent, des histoires d’amour naissantes mais aussi des histoires de cul tout simplement.

Le festin se mariera parfaitement avec toutes les saveurs de l’été pour un gentil dépaysement.

Clete.

TRAJECTOIRE de Richard Russo / La table ronde.

Traduction: Jean Esch.

Ecrire que l’on retrouve un auteur tel que Richard Russo avec plaisir relève sans doute d’un certain masochisme tant il fait mouche. Moi qui ai tendance à m’identifier à ces personnages qui se battent avec les éléments de la vie, jamais très loin de la crise existentielle, je ne sors pas indemne de ces lectures même si je m’amuse aussi beaucoup.

Il est toutefois facile d’écrire que ce recueil est très réussi, qu’il concentre tout le savoir faire de l’écrivain qui creuse son sillon. Il sait raconter des histoires – et elles sont toujours aussi cocasses ! -, et connaît bien les désirs et les tourments de la psychologie humaine capable dans un même de temps de se tromper et de déceler une vérité. Le titre de ce recueil est vraiment bien trouvé. Il s’agit de trajectoires sans forcément une chute dans des milieux professionnels et des lieux différents. On retrouve des professeurs, un agent immobilier, un écrivain, des producteurs de cinéma, des histoires de famille, le Maine mais aussi Venise et Santa Fe.

Richard Russo a heureusement l’art de laisser toujours une porte de sortie à ses personnages. Vous ne connaissez pas encore Russo, ce recueil est une belle porte d’entrée. Vous avez la chance de connaître l’œuvre de Russo, ce recueil va vous ravir.

BST

 

DANS LES ANGLES MORTS de Elizabeth Brundage / La Table ronde / Quai Voltaire.

Traduction: Cécile Arnaud.

“En rentrant chez lui un soir de tempête de neige, George Clare trouve sa femme assassinée, et leur fille de trois ans seule dans sa chambre – depuis combien de temps?

Huit mois plus tôt, engagé à l’université de Chosen, il avait acheté pour une bouchée de pain une ancienne ferme laitière, et emménagé avec sa famille dans cette petite ville étriquée et appauvrie, en passe d’être repeuplée par de riches New-Yorkais. Ce qu’il a omis de dire à sa femme, c’est que les anciens propriétaires, acculés par les dettes, s’y étaient suicidés, en laissant trois orphelins, Eddy, Wade et Cole. “

Étiqueté thriller, “Dans les angles morts” m’obligera donc à mieux appréhender la définition de thriller parce qu’enfin, il ne faut pas être grand expert pour comprendre rapidement qui est le coupable. Envisager le roman comme un thriller psychologique peut gravement décevoir l’adepte du genre alors que l’intérêt de ce roman, fortement honorable, se situe bien ailleurs.

Entamé par l’accroche que l’on retrouve beaucoup trop souvent actuellement d’un premier chapitre particulièrement éprouvant contant la découverte de sa femme morte d’un coup de hache restée plantée dans le crâne par son mari, Elizabeth Brundage raconte ensuite avec une plume, ma foi, très belle, l’amont, l’avant, depuis l’arrivée dans leur ferme de Catherine et George accompagnés de leur petite fille Franny jusqu’au drame final lu en préambule. On ne peut nier l’évidence, l’auteure a écrit une histoire minutieusement construite qui, si elle n’est pas bâtie sur un réel suspense analyse par contre de manière très fine le parcours d’un sociopathe, d’un pervers narcissique particulièrement toxique, d’une belle saloperie sans conscience ni âme.

L’auteure lie à son histoire le calvaire de ces trois ados et jeunes adultes, orphelins, brisés dans leur coeur par la perte mais aussi dans leur histoire par leur expropriation de la maison natale par le couple Clare qu’ils vont, destin cruel, côtoyer en créant des liens, chacun à sa manière, avec Catherine. Leur univers poignant, leur comportement désillusionné et pourtant gardant foi en l’humanité, en l’univers est aussi bien peint et permet d’entretenir quelques doutes dans la recherche du coupable.

S’il s’agit bien d’une histoire criminelle, l’aspect policier de l’enquête est quasiment inexistant; la recherche de la vérité se trouve dans le discours parfois un peu crypté voire fumeux et inutile à partir du milieu du roman où on a la certitude d’avoir identifié le coupable. Les changements de situation, de lieux, de personnages, de points de vue, d’époque sont parfois abrupts. Bien sûr, dans un premier temps, ces astuces littéraires, en masquant l’identité des acteurs, de la situation contribuent à créer un mystère, un flou mais ensuite elles contribuent plus à rendre le discours parfois un peu indigeste ou nécessitant une lecture hyper attentive pour trouver des inférences salvatrices dans les lignes lues. Le roman n’est absolument pas confus mais ces petites fantaisies peuvent commencer un peu à agacer quand on se trouve dans un espèce de ventre mou médian du roman avec ces passages qui montrent, sans réel intérêt pour l’intrigue les relations de la famille Clare avec les universitaires et bobos new yorkais qu’ils côtoient sur les bords magnifiques de l’Hudson dans la région d’Albany.

Le dernier quart du roman, heureusement, remet le roman sur de très bons rails et offre les vrais moments de terreur pour le lecteur horrifié à la pensée de l’éventualité que l’ordure s’en sorte indemne..

“Dans les angles morts”, au final, s’avère être un roman particulièrement prenant servi par une belle écriture, teinté finement de surnaturel mais parfois plombé par des astuces et des choix littéraires pas forcément judicieux.

Wollanup / Clete.

À MALIN, MALIN ET DEMI de Richard Russo aux éditions La Table Ronde/Quai Voltaire

Traduction : Jean Esch.

Richard Russo, originaire de l’état de New York, a écrit plusieurs romans dont « Le déclin de l’empire Whiting » qui a obtenu le prix Pulitzer en 2002 et  « Un homme presque parfait » en 1993 qui a été adapté au cinéma avec Paul Newman dans le rôle de Sully. Richard Russo avait créé le personnage de Sully en s’inspirant de son père. Plus de vingt ans plus tard, il le retrouve, reprend certains des personnages d’« un homme presque parfait » et poursuit leur histoire.

« Quand Douglas Raymer était collégien, son professeur d’anglais écrivait en marge de ses rédactions : «Qui es-tu, Douglas?» Trente ans plus tard, Raymer n’a pas bougé de North Bath, et ne sait toujours pas répondre à la question. Dégarni, enclin à l’embonpoint, il est veuf d’une femme qui s’apprêtait à le quitter. Pour qui? Voilà une autre question qui torture ce policier à l’uniforme mal taillé. De l’autre côté de la ville, Sully, vieux loup de mer septuagénaire, passe sa retraite sur un tabouret de bar, à boire, fumer et tenter d’encaisser le diagnostic des cardiologues : «Deux années, grand maximum.» Raymer et Sully sont les deux piliers branlants d’une ville bâtie de travers. Quand un mur de l’usine s’écroule, tous ses habitants – du fossoyeur bègue au promoteur immobilier véreux, en passant par la femme du maire et sa case en moins – sont pris dans la tempête. De courses-poursuites en confessions, de bagarres en révélations, Raymer, Sully et les autres vont apprendre à affronter les grandes misères de leurs petites existences. »

Les catastrophes vont s’enchaîner à North Bath, ancienne ville d’eaux de l’état de New York dont la source est tarie, qui vivote et peine à se développer à l’ombre de sa voisine Schuyler Springs rivale chanceuse qui elle, sait toujours capter l’air du temps, suivre les vents dominants et s’enrichit avec une réussite insolente.  Il faut dire qu’il y a une belle brochette de bras cassés à la tête de cette petite communauté, des rednecks du Nord bien déjantés.

Il y a entre autres Raymer, chef de la police bourré de doutes et de complexes qui lui font commettre les bourdes les plus monumentales comme son slogan de campagne « Heureux, nous le serons que si vous ne l’êtes » ou sa chute dans la tombe lors d’un enterrement, et j’en passe ! Il est la risée de tous, de Sully principalement, depuis toujours. Il partage dans ce roman la vedette avec Sully qui a vieilli depuis le premier opus et fait face à un diagnostic sombre sans rien changer de ses habitudes. Autour d’eux gravite toute une galerie de personnages hauts en couleurs qui se retrouvent dans les situations les plus invraisemblables et les plus drôles.

Dans cette petite ville où tous se connaissent, Richard Russo suit ses personnages et raconte avec un immense talent leurs histoires qui s’imbriquent parfaitement et construisent une chronique de North Bath. Il décrit avec une grande tendresse des personnages profondément humains et l’empathie fonctionne avec ces losers magnifiques. On connaît leurs faiblesses, leurs manquements, leurs failles, on les comprend vraiment. Ils sont vieillissants, malmenés par la vie : les deuils, les amours perdues, les regrets… la vie et les drames qui touchent tout le monde. Richard Russo mêle avec brio le drôle et le grave, le rire et l’émotion.

Un très bon livre, drôle et touchant.

Raccoon

 

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