Chroniques noires et partisanes

Étiquette : antonio manzini

LA COURSE DES RATS d’ Antonio Manzini / Denoël / Sueurs froides.

Traduction: Samuel Sfez.

Antonio manzini est acteur, réalisateur, scénariste et ce qui nous intéresse ici un écrivain italien faisant d’énormes tirages dans son pays. Il fait donc partie de cette belle famille du polar transalpin même si son coeur bat surtout pour la Ville Éternelle dont il est originaire. Commençant à avoir un début de reconnaissance en France avec sa série mettant en scène Rocco Schiavone, flic irascible, bougon et snob aux prises avec la criminalité du val d’Aoste, territoire qu’il hait si loin de la louve romaine chérie. Adepte des clark’s dans la neige, du petit pétard dès poltron minet pour mieux appréhender la journée, Schiavone est un personnage franchement épatant, aussi attachant que finalement répulsif et héros d’une série passant sur la RAI. Denoël depuis quelques années nous offrait une de ses aventures tous les ans mais alors que deux enquêtes sont encore inédites en France, changement de stratégie puisque nous remontons au premier roman de Manzini daté de 2007, avant la création de Rocco et situé à Rome.

“Quatre délinquants, véritables bras cassés romains, montent un braquage qu’ils plantent de façon magistrale. Le moins malin de tous, René, se fait rattraper par une bande rivale déguisée en carabiniers et bien décidée à se saisir du magot.

Parallèlement, Diego, le frère de René, employé à la caisse de retraite locale, est sollicité dans le plus grand secret par un de ses chefs : le gouvernement veut mettre en place l’opération «An Zéro» et compte sur lui pour faire disparaître activement tout retraité, ces derniers coûtant trop cher à la société! Les deux frères pas bien dégourdis vont devoir se serrer les coudes s’ils veulent sortir entiers de ces situations pour le moins inattendues.”

Dès le début, on comprend que l’on a quitté l’univers du Val d’ Aoste, la morgue éternelle de Rocco Schiavone et son talent de fin limier quand arrive la narration du braquage raté, enfin, en partie raté. Point de psychologie ici, on entre immédiatement dans l’action avec ces truands romains de petite envergure à la recherche d’un magot disparu. Il est évident que le paquet de fric qui a disparu durant les différentes péripéties post plantage du braquage de banque intéresse beaucoup de monde et que chacun jouera sa propre partition pour le garder ou pour le récupérer.

Entamé comme un grosse farce italienne, le roman évolue petit à petit vers un roman beaucoup plus sombre, violent, inspirant des craintes pour certains personnages à qui on s’est attaché assez rapidement vu la chape de plomb qui s’est abattu sur eux. Certains personnages, pas tous car il y a quand même pas mal de salopards, de félons au mètre carré dans cette affaire. Si “la course des rats” n’est certainement pas du niveau de la série Rocco Schiavone, s’il oublie trop à mon goût le superbe décor romain, il montre néanmoins une autre facette du talent de Manzini et offre un plaisir de lecture tout à fait recommandable, sans prise de tête, sans prétention intellectuelle, du « fun » tout simplement et c’est déjà si rare.

Wollanup


UN HOMME SEUL d’ Antonio Manzini / Denoël.

Traduction: Samuel Sfez.

“Depuis qu’ Adele, la fiancée de son meilleur ami, a été assassinée par erreur, l’inénarrable Rocco Schiavone ne croit plus en rien et s’isole dans une pension sordide. Il décide malgré tout de retrouver l’assassin de la jeune femme et se met à passer en revue tous ceux qui pourraient lui en vouloir : entre Stefania Zaccaria, qu’il a arrêtée pour proxénétisme, et Antonio Biga, malfrat septuagénaire à la retraite, la liste des candidats est longue.

En parallèle, Rocco poursuit son enquête sur la famille Turrini, tous corrompus jusqu’à l’os. Rocco pense qu’ils sont les relais locaux de la ’ndrangheta, la mafia calabraise, visiblement bien implantée dans le Val d’Aoste.”

“Un homme seul “ est la quatrième aventure de Rocco Shiavone, vice préfet particulièrement mal dépoli mais flic très efficace, Romain dans l’âme et pour l’éternité mais œuvrant dans le Val d’Aoste, géographiquement, thermiquement mais aussi culturellement très loin de la Louve. Rocco est certainement le flic le plus intéressant arrivé dans le polar ces dernières années.

Qu’est ce qui peut nous rendre un personnage de papier si sympathique ? Certainement, son comportement comme sa manière de vivre mais aussi bien sûr le talent de Manzini particulièrement habile pour nous sortir à chaque fois une enquête qui tient franchement la route. C’est cette corrélation flic atypique et intrigue de qualité qui fait que le rendez vous annuel avec Rocco devient un passage obligé pour les amateurs de polars d’investigation ritals.

Ce quatrième opus débute directement à la suite du précédent “Maudit printemps” et Rocco se rend compte que même en mai, il ne fait pas beau dans le coin mais ceci est finalement le cadet de ses soucis. Victime d’une dépression en début d’histoire, meurtri par la mort à sa place de la fiancée d’un ami, Rocco va sortir du “coma” particulièrement en colère. Lui qui, d’habitude, cultive un certain pédantisme, une belle forme de mépris et d’arrogance vis à vis des événements et des personnes dans sa périphérie va montrer un tout autre visage animé par une rage bien tangible.

On retrouve, bien sûr, les situations du dernier roman mais il n’est absolument pas nécessaire d’avoir lu les précédents pour comprendre l’intrigue. Idéalement, il serait préférable d’avoir tout lu pour bien comprendre l’évolution du personnage mais ce polar, même s’il est peut-être moins habile que les premiers, se suffit à lui-même pour vous promener, vous berner, vous séduire par son intrigue pointue et claire.

On peut raisonnablement trouver quelques points communs entre Rocco et Montalbano le flic sicilien, personnage iconique d’Andréa Camilleri mais autant Montalbano aime la Sicile et tous ses trésors autant Rocco hait le Val d’Aoste et tout ce qu’il y vit et il sait très bien le montrer avec un humour noir particulièrement percutant et des répliques qui flinguent.

“Un homme seul” n’est peut-être pas le meilleur de la série mais il se distingue néanmoins, à l’aise, de la production policière ordinaire qu’on tente de nous vendre à longueur d’année.

Percutant.

Wollanup.

PISTE NOIRE de Antonio Manzini / Denoël / Sueurs froides.

Traduction: Samuel Sfez.

« Le commissaire Rocco Schiavone est romain jusqu’au bout des ongles : snob, macho et ronchon, il est doté d’un humour noir dévastateur. Muté à Champoluc dans le val d’Aoste, il vit son départ en province comme un exil. À son corps défendant, il doit quitter sa paire de Clarks adorée pour porter de répugnants après-ski et considère ses nouveaux collègues comme des ploucs.
Peu après son arrivée, on trouve le cadavre d’un homme sur une piste de ski, écrasé sous une dameuse. Accident ou meurtre? Quand le médecin légiste découvre un foulard dans la gorge de la victime, le doute n’est plus permis. Schiavone se plonge alors dans une enquête rocambolesque, freiné par son ignorance, voire son mépris, de la région et de ses usages. Mais certains habitants de cette vallée hostile et glaciale trouvent grâce à ses yeux. Notamment une habitante : la somptueuse Luisa Pec… »

J’avais beaucoup aimé la deuxième aventure de Rocco Schiavone Froid comme la mort , flic romain pur souche tendance exclusive, nommé dans la vallée d’Aoste et la troisième Maudit printemps  a d’ailleurs trouvé grâce aux yeux difficiles de Chouchou. L’été m’a semblé la bonne période pour lire le premier opus, qui, en général, installe le héros. Du coup, de par ma lecture précédente et postérieure dans le cycle Rocco Schiavone, je n’ai pas ou moins eu les surprises qui vous attendent en découvrant cet odieux et attachant sous-préfet (commissaire) qui vomit à la population locale son fort mécontentement d’exilé .

Les Ritals font vraiment de bons polars et Manzini devrait gagner ici, comme en Italie où une série de la RAI est consacrée aux enquêtes de Rocco Schiavone, un large public avec ces romans qui font décidemment penser que beaucoup d’auteurs transalpins ont été fortement et durablement influencés par les polars de Manchette ou de Fajardie. Le ton est vif, les dialogues sont au cordeau, il suinte des propos de Rocco beaucoup de méchanceté, d’ironie et de morgue, une contenance hautaine et méprisante pour tout ce qui n’est pas Rome. Rocco n’est pas un petit saint et demeure meurtri par des failles qui sont évoquées mais pas vraiment racontées : on installe juste le personnage. Alors, les fans de Camilleri trouveront peut-être que l’attitude de Rocco devant ses subordonnés ressemble un peu trop à celle de Montalbano envers ses adjoints ignares mais ce n’est que fugitif, au tout début, et totalement absent du deuxième roman. Si Rocco sait se montrer ignoble de manière quasi naturelle et spontanée, il peut apparaître par ailleurs, fort sympathique par ses démonstrations d’irritation et mauvaise foi tout comme ses petites habitudes : porter des clark’s dans la neige, fumer un petit pétard en arrivant au boulot le matin… Et puis c’est un Rital quand même et toutes ses relations avec les femmes sont autant de démonstrations réussies ou gravement plantées du charme à l’italienne.

« Je suis le pire des fils de pute, …Et je dois me faire face chaque jour. Dans le miroir, dans une flaque d’eau, quand je conduis, quand je mange et quand je vais aux chiottes. Et même quand je vois ce putain de ciel gris que vous avez par ici. Toujours. Un jour ou l’autre, je paierai mon dû. Mais je n’ai pas de cadavres innocents sur la conscience. Si d’après toi ça ne suffit pas, je m’en bats allègrement les couilles. »

« Piste noire » est un bon roman d’investigation, un whodunit qui fonctionne très bien, rien de génial (le second est bien meilleur encore) mais du solide, des preuves bien établies avec le souci du détail où on apprendra la vérité dans un lieu bien original et dans des circonstances très déplacées.

Parfait pour les vacances.

Wollanup.

 

MAUDIT PRINTEMPS de Antonio Manzini / Editions Denoël Sueurs Froides

Traduction : Samuel Sfez.

 

Le sous-préfet Schiavone, chaussé de Clark’s et vêtu d’un loden élimé, pensait se complaire dans le ronron de la vallée d’Aoste. Mais voilà quand le kidnapping d’une jeune lycéenne, issue de la bourgeoisie locale, réveille les sens aigüs du flic bougon, possédant la faculté de répartis cinglantes, son idylle avec cette ville inhospitalière et terne à ses yeux s’infléchira. Entre notables et coreligionnaires épousant les personnages types de la commedia dell’arte, l’enquête s’imprègnera du lieu mais aussi et surtout de caractères qui suffiront à décrire des scènes authentiques, jonglant entre comédie et soif de résoudre le problème posé sur le bureau de Schiavone.

« Chiara Breguet, héritière d’une riche famille d’industriels du Val d’Aoste, étudiante brillante admirée de ses pairs, n’a plus donné de ses nouvelles depuis plusieurs jours.Persuadé que cette disparition est inquiétante, Rocco Schiavone se lance dans une course contre la montre pour sauver la jeune femme et découvrir ce que dissimule la façade impeccable de ce milieu nanti. Pendant ce temps, la neige tombe sur Aoste en plein mois de mai, et cette météo détraquée ne fait qu’exacerber la mauvaise humeur légendaire de Rocco. »

Si l’homme est plus Ours mal léché, ou Lama velléitaire, que chat à moteur diesel c’est bien plus pour dérouter ses congénères. Derrière sa sécheresse et son acidité s’opacifie inconsciemment une suavité, un pan liquoreux travesti, qui montre, de manière parcellaire, sa volonté de se protéger, de ne pas se livrer corps et âme. Il a ses tiroirs, au propre comme au figuré, le faisant évoluer, le plus souvent intérieurement, dans des dimensions proches d’un psychédélisme salvateur de son équilibre du quotidien qu’il veut, sans se l’avouer, complexe. Ses facettes à plusieurs lectures forment un être qui a le sens du devoir avec sa déontologie, ses manières bravaches, en évoluant autour de son monde avec exigence mais aussi avec une adaptation pour chacun.

Manzini privilégie de par sa faconde stylistique le balancement entre burlesque et sérieux contextuel. Il nous ouvre les portes tutélaires d’une agora typique de l’Italie et l’on se prend au jeu avec délectation dans ces descriptions où l’on visualise avec netteté les gestes, les intonations, la volubilité, la part grandiloquente d’une culture mâtinée d’une Histoire forte, indélébile. Sans conteste la série avec ce personnage récurrent de Rocco tient le rythme, tient le lecteur par les sentiments et l’attachement à l’univers centré sur celui-ci. Pas de bavures sur les traits sérigraphiés, pas de mezzo forte dans le ton, un juste équilibre dans le tempo et sa mélodie chantonnant un air entêtant, projetant une carte postale saisissante de cette société qui n’occulte en aucune manière ses travers, sa déliquescence commune à nos nations contemporaines.

Addictif et accrocheur !

Chouchou.

FROID COMME LA MORT d’ Antonio Manzini /Denoël, Sueurs froides.

Ah les polars ritals, pas à dire, c’est rarement décevant. Il y a souvent un héritage Fajardie, Manchette que l’on ne rencontre plus guère chez nous ou alors j’ai raté les bons romans. Antonio Manzini en est à son deuxième roman mettant en scène son flic, vraie tête de con, Rocco Schiavone en guerre contre l’humanité en général et la région d’Aoste où il sévit en particulier.

« Ester Baudo est retrouvée morte dans son salon, pendue. Le reste de l’appartement a été saccagé, et ce qui semble à première vue être un suicide se révèle vite un meurtre. On fait appel à Rocco Schiavone, ce drôle d’inspecteur, amateur de joints matinaux et de jolies femmes. Dans la petite ville grise et froide d’Aoste, il croise et interroge les proches de la victime. Il y a Patrizio le mari, Irina, la femme de ménage biélorusse à l’origine de la découverte du cadavre, ou encore celle qui semble avoir été la seule amie de la défunte, Adalgisa. Si la vie de la victime se dessine peu à peu, le mystère reste entier. Qui pouvait bien en vouloir à la calme et tranquille Ester Baudo ? »

Un cadavre, un suicide qui n’en est pas un et le début d’une enquête toute ordinaire pour le sous-préfet Shiavone macho, violent, irascible et haïssant au plus point la région montagneuse et enneigée où il travaille après avoir été écarté de Rome qu’il regrette infiniment. Le climat, les gens, ses adjoints, ses supérieurs, les femmes qu’il ne peut conquérir et celles dont il ne peut se dépêtrer, tout le fout de mauvaise humeur au point qu’il commence sa journée en se fumant un petit pétard dans son bureau.

L’enquête s’avérera un peu plus compliquée qu’il n’y paraît au départ mais l’intérêt du roman n’est pas tant dans la découverte du coupable mais bien dans ces quelques jours passés avec le fascinant et anachronique sous-préfet. Rocco Schiavone est un personne passionnant dont les zones d’ombre légèrement dévoilées montrent la complexité de l’homme ainsi que le drame qui le ronge et qui le rend si imbuvable malgré les doses non homéopathiques de cannabis qu’il inhale.

Le grand intérêt de ce roman est la personnalité très charismatique de Rocco, as de la réplique qui tue et c’est un vrai bonheur de le suivre dans sa recherche de vérité dans ce coin d’Italie embrumé et froid. Ressemblant un tout petit peu au Montalbano de Camilleri mais en version beaucoup plus rock n’ roll, suicidaire et même ripou, Rocco ne fait jamais dans la demi-mesure et très étrangement se rend, par ses outrances, trèstrès, attachant.

Le choix très louable du thème développé dans ce « Froid comme la mort » prouve qu’on ne peut et ne doit pas identifier Rocco à son auteur Antonio Manzini à qui on doit de belles pages empreintes de bienveillance. Espérons que les éditions Denoël qui ont eu la bonne idée de nous faire découvrir cet auteur transalpin vont s’empresser de nous proposer les deux enquêtes suivantes encore inédites qu’on puisse revenir rapidement dans la vallée d’Aoste avec Rocco, ses joints et ses Clark’s dans la neige.

Intempérant!

Wollanup.

 

 

 

 

 

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