Chroniques noires et partisanes

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DERNIER TOUR LANCÉ d’Antonin Varenne / La manufacture de livres.

Antonin Varennes signe son 10ème roman avec « Dernier tour lancé » qui s’inscrit dans l’univers de la moto GP. Il relate avec beaucoup d’humilité la relation père-fils, celle d’Alain Perrault qui donne tout à son fils Julien. Julien est né dans la douleur, enfant chétif et lent à l’école qui devient prodige de la moto, piqué à la vitesse, aux courbes au cordeau. 

Alain l’élève seul dans un pavillon modeste de Villeneuve-Lès-Maguelone, mécanicien, homme simple et analphabète, il consacre tous ses revenus à la passion de son fils et fabrique ses premières motos.  Julien connaît une ascension fulgurante, devient le numéro 5 adulé de tous, battant tous les records de temps et de vitesse sur les pistes du monde entier jusqu’au drame. Ce fameux virage du Mans ou il percute deux autres concurrents, l’un décède, l’autre devient paraplégique, lui s’en sort vivant mais brisé. Il est devenu l’assassin, le paria du circus.

Le fils prodige passe de longs mois à l’hôpital, en sort, devenu l’ombre du champion et reclus chez son père jusqu’à la tentative de suicide.Pour sa sécurité et le mettre à l’abri des médias, Alain le place dans une clinique psychiatrique, sous prétexte de repos uniquement. Interviennent deux nouveaux personnages clés du roman, Emmanuelle Terracher, la psy qui passe le plus clair de son temps au travail pour éviter sa vie de couple compliquée et François Buczek, l’artiste peintre déluré, perdu dans ses paradis artificiels, interné pour sa sécurité.

Julien va mieux et se retrouve de nouveau chez son père. La vie reprend tant bien que mal, l’ancien champion retourne au circuit près de chez lui, rencontre le propriétaire, autrefois admiratif et lui propose simplement de donner des cours aux jeunes au sein de l’école qui portait son nom. Refus et nouveau coup dur.

Ne jamais rien lâcher est l’adage du numéro 5, il se remet au sport, redécouvre son corps, celui de l’athlète qu’il a été et qui le fait tant souffrir aujourd’hui. Un nouveau locataire anime la maison, François s’est échappé de la clinique et y a élu domicile. Emmanuelle passe un pacte avec le trio, elle viendra de temps en temps s’assurer que tout se passe bien, devenant psy à domicile. La maison subit les délires de François sous l’impulsion de ses coups de pinceaux et de ses trips psychédéliques. L’ambiance est bonne.

Step by step, Julien se reconstitue une condition et décide de partir en road trip en moto, une de plus préparée par son père. C’est une forme d’évasion, un temps à la réflexion pour l’homme sur sa vie passée et celle à venir, au guidon, il sent la machine, les vibrations et ses sensations. À son retour, il se fait approcher par un sponsor nébuleux, la rencontre se fait, le contrat se signe, il revient sur les pistes. C’est un retour fracassant dans le monde du GP, le numéro 5 revient. Il est accompagné de son père qui l’a toujours suivi depuis son poste télé, d’Emmanuelle en pleine séparation qui a posé une année sabbatique et de François toujours défoncé. Les tours de piste s’enchaînent, la moto est dépassée, le pilote souffre, les premiers chronos sont mauvais. Julien s’accroche, malmène son corps rafistolé, les chronos commencent à attirer l’attention. La fine équipe parcourt le monde au gré des courses, Julien devenant de plus en plus compétitif, François de plus en plus défoncé. Entre-temps, Emmanuelle et son père se rapprochent, mettant à jour un lourd secret concernant la mère de Julien, ce secret qu’ils ont tacitement entretenu depuis si longtemps. L’abcès est crevé, la psy a fait son taf.

De nouveau le drame, François en plein trip après une grosse injection, part sur une des motos de Julien sur le circuit proche de la maison. Alain part à sa poursuite et le retrouve sur la piste, l’artiste peintre roule complètement déchiré, se prenant pour un pilote à faible allure, ce qui fait sourire Alain qui l’observe depuis le bord, rassuré dans un premier temps. À proximité du circuit, Julien qui s’entraîne en vélo, reconnaît le bruit de sa 500 et approche du circuit. Derrière le grillage, il y voit son père au bord de la piste et François sur sa moto. La vitesse augmente, François en plein trip met les gaz dans la ligne droite. Le virage approche, Alain lui fait des signes, trop tard, François va tout droit là ou il regarde. Choc. Julien assiste à ce que son père a vu un an plus tôt, la boucle est bouclée. Le père et son fils n’ont pas eu le temps de se dire qu’ils s’aimaient. C’est la malédiction Perrault. Les médias s’emballent, les millions publicitaires coulent à flot, Julien fera la course avant les obsèques car seule compte la course, il ne sait faire que ça.

Ce roman sent l’huile de moteur, les gaz brûlés et pour autant frappe fort par la finesse de son écriture. J’ai été très surpris par la noirceur de l’histoire qui est très subtile et latente, celle qui touche à la psychologie de l’homme. Il met également en lumière un univers où règnent l’argent, les sponsors, les marques et les droits de diffusion dans le monde du grand prix moto. Un univers où les pilotes sont rois, sans cesse entourés et en même temps seuls sur leurs montures mécaniques pour défier les lois de la gravité et de la vitesse. 

Nikoma

L’ Artiste d’ Antonin Varenne / La Manufacture de livres.

Allez, je ne vais pas y aller par quatre chemins ce texte est poignant. L’auteur nous a habitués à la qualité dans ses précédents romans et en se plongeant dans un polar au sens littéral du terme, il ne se perd pas. D’ailleurs y’a t-il un consensus pour la définition du terme polar? En tous les cas, Antonin en connaît les codes, il maîtrise le rythme et façonne des personnages qui permettent de cadrer son noir récit. L’apanage des grands auteurs, c’est aussi maîtriser un style sans y paraître, se l’approprier sans que le lecteur n’est conscience des efforts consentis. A n’en pas douter, l’auteur domine son sujet et nous ravit d’une lecture qui accapare, où le plaisir reste si fort qu’on la fait traîner en longueur. Car il faut dire, aussi, que les protagonistes croqués permettent inévitablement à s’identifier ou à ressentir une réelle bienveillance, compassion.

« 2001. Les nuits parisiennes voient naître un nouveau monstre. Un serial killer s’en prend aux artistes, transformant chacune de ses scènes de crime en oeuvre mêlant esthétisme et barbarie. L’inspecteur Heckmann, flic vedette du moment, se retrouve en charge de cette très médiatique affaire et se lance dans la traque. Mais bientôt il lui semble que tous ces crimes ne sont qu’un moyen pour le tueur de jouer avec lui… Avec ce roman policier, Antonin Varenne révèle une fois de plus son incroyable talent à nous entraîner dans une course infernale où ses personnages doivent lutter contre leurs propres démons autant que contre le fracas du monde. »

On est à Paris en 2001 et le premier de la classe de la Police Judiciaire est aux prises avec une série de meurtres dans le milieu de l’Art. L’esthétique se mêle au sordide et à l’innommable. Or l’homme de loi présente ses anfractuosités, ses fêlures et dans son isolement, quasi pathologique, il trouvera des alliés de circonstances pour le moins surprenants et contrastés. L’auteur prend le temps de décrire les différents profils et leur associer leur propre histoire sans, pour autant, nuire au rythme romanesque. Et, cette petite musique nous envahit sans prévenir avec force, persuasion et finesse. Elle nous trotte dans la tête et ne nous lâche pas. Addictive, on est perpétuellement poussé à rouvrir le livre pour connaître la suite. Mais, comme précisé ultérieurement, on laisse infuser et on se plaît à disséquer les pages afin de prolonger le contentement. Antonin Varenne manie la plume avec aisance et peut se targuer d’y inclure une dose poétique. Qui peut aborder les écrits de Saint Augustin tout en faisant sens à la trame criminelle? 

Mais il aborde, plus prosaïquement, des thèmes du quotidien tel l’héritage, la parentalité, l’amitié, le couple pour se fondre dans un tableau noir et sang. De part ce parti pris, il humanise avec sincérité et sensibilité le paradoxe d’une série d’homicides qui graviront les marches une à une de l’horreur à l’état brut. Sans déflorer la chute du roman, je peux me poser résolument la question si Antonin Varenne apprécie le cinéma américain de base adepte des happy-end? Quoique…

C’est ragaillardi et rasséréné que je referme ce livre en ayant pleinement conscience d’avoir lu un ouvrage de qualité par un auteur brillant qui sait mêler sa belle plume aux desseins pourtant sombres.

Antonin Varenne est un artiste!

Chouchou.


Quand ANTONIN VARENNE parle de DOA.

Un petit commentaire en soirée… qui ne serait sûrement pas beaucoup lu. Et pourtant, c’est un truc bien sympa et qui semble très important pour son auteur.

Antonin Varenne s’exprime sur DOA, sur la démarche de l’auteur, loin de la complaisance et qui l’interpelle. La même honnêteté, la même intégrité, la même discrétion, tout sauf une surprise. Moment intelligent.

« Belle interview, le piège de la paraphrase du livre y est bien déjoué. Au point de donner envie de lire le bouquin. Parfaite démonstration d’intelligence.

Les différences évoquées entre fiction et non-fiction, les distinctions faites entre les goûts et la qualité, la condamnation morale d’une oeuvre, sa censure légale, un hastag et une réaction critique digne, sont essentielles.

Je suis dans les premiers moments d’un prochain livre, et la lecture de cet entretien remet quelques boussoles dans la bonne direction. A commencer par ces conseils —ou règles— que les auteurs ne devraient pas oublier: ne pas penser aux lecteurs (ni aux éditeurs); raconter et non asséner; éventuellement se donner pour objectif, comme le disait Benjamin Whitmer lors d’une rencontre à Limoges il y a peu: « to slowly crush the heart of the reader in my hand », de faire passer des émotions, donc (douloureuses ou moins); d’assumer cet « affranchissement total » que permet la création.

Mais la liberté —artistique, philosophique, physique…— n’est pas donnée. Elle n’est presque toujours qu’une conquête. Une bataille a priori sans victoire, mais sans défaite non plus. Pour les auteurs comme pour les autres. On n’est jamais libre, on essaie seulement de se libérer (que serait un être entièrement libre?…Dieu, dévoreur de chair humaine, fou, artiste total muet sourd et aveugle, homme transformé en meuble?). Et c’est la dernière boussole, avec la prise de risque, que je retiendrai de la lecture de cet entretien: ce qu’a fait DOA avec ce livre, et qu’importe à ce stade que je ne l’ai pas encore lu. Il a cassé le moule, il s’est libéré d’un des auteurs qu’il était pour en devenir un différent. Parce qu’il est vite tentant de se contenter d’en être un seul, celui qui vend ou celui qui nous fait du bien, celui en qui on a le plus confiance, et de ne pas se frotter aux autres. Intéressant que ce soit par ce livre qu’il s’essaie au « JE ».
Merci aux questions, et un grand merci aux réponses.

A bientôt.

Antonin. »

L’entretien de Nyctalopes du 4 octobre 2018.

Lykaia chez Nyctalopes.

Lykaia chez Unwalkers.

Wollanup.

LA TOILE DU MONDE d’ Antonin Varenne / Albin Michel.

Après “3000 chevaux vapeur” et “Equateur”, “la toile du monde” vient conclure, dans le cadre de l’exposition universelle de Paris en 1900, une belle trilogie écrite par un Antonin Varenne à la plume de plus en plus virtuose.

“Aileen Bowman, trente-cinq ans, journaliste, célibataire, est venue couvrir l’événement pour le New York Tribune. Née d’un baroudeur anglais et d’une française utopiste, élevée dans le décor sauvage des plaines du Nevada, Aileen est un être affranchi de tout lien et de toute morale, mue par sa passion et ses idéaux humanistes. Au fil d’un récit qui nous immerge au cœur de la ville en chantier, du métropolitain naissant aux quartiers des bordels chers aux peintres, la personnalité singulière d’Aileen se confond avec la ville lumière.”

Aileen est la fille d’Arthur Bowman et a été élevée avec la philosophie et l’expérience de la vie de ses parents, culturellement bercée par les influences anglaises par son père, françaises par sa mère et  pluriellement américaines par son lieu de naissance et de vie. Il en résulte une belle personnalité métissée et particulièrement pertinente comme souvent les personnes élevées par cette richesse d’influences. Aillen, ainsi, va sous couvert de journalisme évoluer avec ses pantalons au milieu de la société française, européenne des nantis, des industriels, des inventeurs préparant le progrès de l’humanité comme sa perte. On est donc assez loin des grands espaces sauvages des deux premiers tomes et le souffle de l’aventure se fait nettement moins sentir tandis que la plume d’Antonin Varenne développe tous ses atours afin de se mettre au diapason du luxe, du kitsch du moment.

Au cœur d’un parcours initiatique dans les salons feutrés et les restaurants réputés, se glissent des thèmes qui restent très contemporains plus d’un siècle après: des modèles de société hérités de la philosophie de Saint Simon, un des fondateurs du socialisme et de la sociologie, la liberté sexuelle, les femmes surtout les femmes, l’art et surtout la peinture, mais aussi le choc des sociétés entre la vieille Europe et la très jeune et turbulente Amérique tout en s’interrogeant sur l’utilité pour les masses des progrès de l’industrie. Tous ces thèmes, sujets à réflexion haussent  le niveau d’un roman qui donne aussi l’impression d’être le plus intime de l’auteur.

Humaniste, Varenne célèbre aussi les exploités, les vaincus de chaque continent avec les Indiens d’Amérique bien sûr mais aussi avec les Bretons même si son discours est parfois bien sévère et s’avère maladroit et foncièrement inexact quand il évoque le positionnement du peuple breton au moment de la Révolution (« La journée des tuiles » de Grenoble en 1788 et surtout les affrontements entre nobles et étudiants à Rennes en janvier 1789 sont, bien plus qu’une prise symbolique de la Bastille six mois plus tard, les vrais fondements d’un révolte populaire  ensuite confisquée et réécrite  par un pouvoir jacobin parisien).

Même si l’aventure ici s’avère essentiellement intellectuelle et principalement urbaine, “La toile du monde” conclut de très belle manière une riche trilogie qu’on quitte vraiment à regret tant l’auteur laisse envisager des prolongements possibles.

Wollanup.

Entretien avec Antonin Varenne pour « équateur » chez Albin Michel

A l’occasion de la sortie d’ « Équateur », magnifique roman d’aventure qui se déroule au XIXème siècle, comme « Trois mille chevaux vapeur » paru en 2014, Antonin Varenne a répondu à nos questions. Il parle de son roman, de son travail d’écrivain, de l’Amérique avec simplicité, clarté et intelligence. Enjoy !

 

 

  • Comment êtes-vous venu à l’écriture ?

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ÉQUATEUR d’Antonin Varenne chez Albin Michel

Dans « équateur », Antonin Varenne, l’écrivain voyageur nous embarque à nouveau pour un grand voyage dans l’Amérique du XIXème siècle. On plonge dans un roman d’aventures de la même veine que  « trois mille chevaux vapeur ». Ce n’est pas vraiment une suite et même si certains personnages réapparaissent, on peut le lire indépendamment car c’est une histoire à part entière. Par contre on y retrouve le même souffle, le même style : les deux sont à lire ! Bon vous aurez compris, je suis fan…

« Voleur et incendiaire dans le Nebraska, déserteur de l’armée, meurtrier dans le Nevada : Pete Ferguson est un homme en fuite. Sur la piste de l’équateur, là où le monde tourne à l’envers et où les rêves sont vrais, trouvera-t-il cette terre promise qui changera son destin ? » Continue reading

TROIS MILLE CHEVAUX VAPEUR d’Antonin Varenne chez Albin Michel

Antonin Varenne, l’écrivain voyageur qui a vécu au Mexique, en Islande, aux Etats-Unis avant la Creuse nous fait parcourir le monde dans ce roman « trois mille chevaux vapeur », son avant-dernier, paru en 2014.

« Le sergent Bowman appartient à cette race des héros crépusculaires qui traversent les livres de Conrad, Kipling, Stevenson… Ces soldats perdus qui ont plongé au cœur des ténèbres, massacré, connu l’enfer, couru le monde à la recherche d’une vengeance impossible, d’une improbable rédemption.

De la jungle birmane aux bas-fonds de Londres, des rives de l’Irrawaddy à la conquête de l’Ouest, ce roman plein de bruit et de fureur nous mène sans répit au terme d’un voyage envoûtant, magnifique et sombre. »

Arthur Bowman après l’échec d’une mission secrète, a survécu, avec neuf de ses hommes, à une année de torture dans la jungle birmane. Une fois rentré à Londres où il est policier, il découvre un cadavre dont les mutilations ressemblent trop à ce qu’il a subi et ce mot « survivre » tracé avec le sang de la victime… ça ne peut pas être une coïncidence, il comprend que le meurtrier est un des survivants parmi ses hommes et les soupçons se portent sur lui bien sûr, lui qui est violent, déséquilibré, alcoolique, drogué depuis son retour. Il se lance dans cette quête, trouver le coupable apaisera peut-être ses cauchemars…

Antonin Varenne nous entraîne dans un roman d’aventures époustouflant. Que ce soit dans la jungle birmane, dans le Londres du XIXème siècle, au fin fond du Texas, il sait peindre en maître les atmosphères de chaque lieu et on ressent la touffeur de la jungle, la puanteur de Londres, l’aridité du désert, la beauté des montagnes… et partout, la folie des hommes, la violence des batailles, la fièvre de l’or, la justice expéditive… Antonin Varenne est un conteur hors pair et on suit son héros, captivé de la première à la dernière ligne.

Et quel héros ! Sergent sans peur et sans pitié, courageux mais cruel, il n’est pas sympathique d’emblée. Il ressort de captivité brisé par l’horreur de tout ce qu’il a vécu, de tout ce qu’il a fait, comme tous les vétérans de toutes les guerres. Le syndrome de stress post traumatique au XIXème … les hommes sont broyés, détruits, certains croupissent à l’asile, d’autres tentent de se suicider : la chair à canon n’en finit pas de mourir. Bowman, ne peut plus que survivre, mais la traque de ce criminel dont il connaît les souffrances lui redonne une raison de vivre, un espoir de rédemption et l’empathie fonctionne, on s’attache, on souffre, on espère avec ce paumé désespéré mais si charismatique !

Et si Bowman est le personnage central, aucun autre n’est négligé : tous ceux que Bowman va rencontrer et ils sont nombreux, sonnent juste. Antonin Varenne réussit à croquer en quelques pages des personnages authentiques avec une palette très variée : des suicidaires, des doux rêveurs, des hors-la-loi, des policiers…

Cette poursuite l’entraîne vers ce nouveau monde, l’Amérique, terre d’utopie où beaucoup espèrent repartir à zéro et construire un monde meilleur. L’aventure continue donc dans ce pays plein de promesses… Bowman y débarque sans trop d’illusion, c’est bien chez l’homme que se situe la cruauté et cette Amérique qui se voulait meilleure, plus libre se révèle aussi violente et cruelle que le reste du monde, les plus forts écrasant toujours les autres. La lignée compte juste moins qu’ailleurs alors chacun peut tenter l’aventure, même le dernier des derniers… Antonin Varenne nous fait assister à la construction de ce pays tout juste « civilisé » avec ses espoirs fous et ses échecs cinglants : c’est magnifique, fort, émouvant…

Un roman d’aventures, un roman noir, un roman historique… Antonin Varenne réussit ce mélange à la perfection.

Un chef d’œuvre !

Raccoon

CAT 215 d’Antonin Varenne/ Territori

 

Huis clos pour un trio dans la densité, la moiteur, la touffeur de la forêt amazonienne guyanaise. L’ambivalence spatiale de l’infini du nord-ouest de l’Amérique du sud et la vie en vase clos surligne les paradoxes, les disparités, les dissonances des trois hères.

« Un jeune garagiste quitte la métropole pour rejoindre en Guyane son ancien patron.Celui-ci, devenu orpailleur, doit changer le moteur d’une monstrueuse pelle Caterpillar 215 qu’il a entrepris de faire convoyer par un ancien légionnaire et un énigmatique Brésilien.La machine est immobilisée loin de la mine sauvage.Luttant contre la jungle à la fois fragile et menaçante les hommes vont alors se battre contre leur propre folie, contre cette nature qui les fait souffrir et qu’ils torturent en vain au pied de la pelleteuse plantée au milieu de la forêt.Énorme quand ils se tiennent à côté, ridicule face à ce qui l’entoure.

L’appât du gain, l’éternel appât du gain, tel est l’origine banal du récit. Marc replonge, à contre cœur, dans les méandres géographiques et des hommes peuplant ces lieux de perdition.

La tierce formée dans l’étouffement de la profondeur de la jungle Guyanaise déclenche d’instinct et de facto des tensions palpables, imbibées de rancoeurs éthyliques, d’habitus autochtones et de déracinement métropolitain.

Ascension crescendo des acrimonies livrés aux vies, aux histoires et constructions individuelles, la nervosité et le quant à soi des protagonistes se griment de parures proches du kaléidoscope lysergique.

Antonin Varenne conserve cette propension à pousser son lecteur à la fébrilité, la lipothymie consciente pour finalement en extraire un jus exotique, certes aigre mais vivifiant !

Fibrillations de nos sens alertés, dans un rythme leste, hors temps, hors du temps, suffocant, proche de la rupture, de l’apoplexie… La nouvelle permet à nos imaginations de divaguer.

Suintant le fiel, l’amertume sous couvert d’une écriture ciselée pour le genre et riche d’une acuité propre à l’auteur qui démontre, une fois de plus, son habileté, sa spontanéité rhétorique et sa sensibilité. Pur et dur !

Chouchou.

 

 

 

 

BATTUES d’Antonin Varenne aux éditions écorce / manufacture des livres

C’est à « Quais du polar » que j’ai eu envie de lire ce livre. J’étais peut-être lassée par les polars ruraux, une mode comme une autre en littérature, mais qui dit mode dit parfois engouement surfait… Au cours d’une conférence, j’ai été frappée par la simplicité, l’authenticité et l’humour d’Antonin Varenne : il ne m’en faut parfois pas beaucoup pour me jeter sur un livre ! Et bien m’en a pris car ce « Battues » est une pépite : fort, noir et tout simplement beau.

La ville de R. se partage entre deux clans : les Messenet et les Courbier, grands propriétaires terriens et seuls fournisseurs d’emplois dans cette zone rurale sinistrée. C’est une petite commune où tout le monde se connaît, où les rancunes ont la peau dure et où tout se sait, ce que l’on ne sait pas on l’invente sans la moindre bienveillance. Un paysage somptueux mais une atmosphère lourde…

Rémi Parot, garde-chasse de R., défiguré à la suite d’un accident agricole à l’adolescence y a toujours vécu, c’est son grand-père qui y a acheté des terres. Mais il n’y est pas forcément le bienvenu, toujours un peu étranger après trois générations, l’intégration se fait lentement… Il est resté et s’est installé au fond des bois, loin des regards de la ville sur ce qu’il a pu sauver des terres de ses parents de l’appétit des requins locaux.

Michèle Messenet, elle, est partie pour être libre, anonyme, oublier… dans la dope surtout et elle revient après quelques années et un séjour en taule, les blessures toujours ouvertes, la rage, la hargne contre cette entité malfaisante qu’est R. : les racontars, l’impossibilité de vivre sa vie sans le jugement de tous et l’approbation des hobereaux du coin qui pensent qu’ils ont tous les pouvoirs, petits seigneurs qu’on laisse faire.

Et gare à ceux qui résistent : un militant écolo, opposé à l’exploitation intensive du bois, seule activité économique restante, disparaît. C’était un ami de Rémi qui va participer aux recherches et mener l’enquête.

« Les hommes laissèrent les distances se creuser entre eux et commencèrent à marcher d’un pas plus long et rapide. La pente dans le dos et n’y croyant plus vraiment, ils accéléraient naturellement, distançant Rémi qui continua à s’user les yeux sur le moindre morceau de terre, la moindre tache de couleur aperçue. Il pensait à Philippe, roulé dans un tas de feuilles mortes, sur un humus pourrissant, à quelques mètres de lui, peut-être, et lui revenait le souvenir de l’odeur du sang qui se mélangeait à celle de la prairie fauchée ; la douleur qui le ramenait à la conscience en des chocs déments ; la folie des secondes, coincé sous la ferraille. Il avait attendu, comme Philippe, peut-être, un œil fiché au ciel, se demandant si quelqu’un allait lui venir en aide ou s’il allait crever ici. »

Cette enquête va remuer bien des choses et remonter loin dans le passé : les vieilles haines, les conflits larvés, les humiliations ravalées vont décupler la ténacité de Rémi. Il va mener l’enquête façon pitbull et peut-être en profiter pour régler quelques comptes… Dans cette région de taiseux, on ne s’explique pas, on cogne voire on tire.

On est au far west. Le gendarme du coin, qui n’est pas du coin justement, en est réduit à compter les points, un peu ahuri par cette violence qui se déchaîne hors la loi, ici, on lave son linge sale en famille…

Antonin Varenne sait parfaitement rendre l’atmosphère étouffante de ces petits coins où la désertification a accentué le repli sur soi et où mai 68 n’a pas changé grand-chose. Tous ceux qui ont vécu dans ce genre de petite ville reconnaîtront l’ambiance, d’où qu’ils soient et c’est ce qui fait la force de ce récit qui se situe dans un territoire mais va bien au-delà, au cœur de la nature humaine et des passions qui l’animent. Les élites locales qui règnent en maîtres et sans contestation possible, qui s’en mettent plein les poches, petits suzerains corrompus et pleins de suffisance, on les retrouve partout.

Rémi, cowboy solitaire, justicier, mais pas seulement… va les combattre. Une autre force de ce roman ce sont les personnages, magnifiques! Ils sont tous terriblement humains avec des sentiments forts mais aussi des failles, des blessures et de grandes zones d’ombre.

Avec une écriture simple et fluide, Antonin Varenne construit brillamment son histoire en zigzaguant dans la chronologie, mêlant récit et dépositions, sans jamais nous perdre. Tout en disséquant cette petite société et les liens qui les unissent tous, il nous entraîne dans un western du Massif central et nous révèle peu à peu une sombre histoire dont personne ne sortira indemne.

Un magnifique roman noir qui n’a rien à envier aux grands romans américains.

Raccoon

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