Chroniques noires et partisanes

PRENDRE LES LOUPS POUR DES CHIENS de Hervé Le Corre / Rivages.

 

J’avais raté mes précédents rendez-vous avec Hervé Le Corre, peut-être pas le bon moment ou alors tout simplement déboussolé par un auteur girondin dont le nom évoque tant des origines bretonnes. Après ce roman qui sort jeudi dans toutes les bonnes librairies, je rejoins en courant la cohorte des lecteurs sous le charme de cet auteur.

Franck, en gros 25 ans, retrouve la liberté après 5 ans d’emprisonnement  pour un braquage qui a mal tourné. Il doit retrouver son frère complice qu’il n’a pas dénoncé ainsi qu’un  butin de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les deux doivent lui permettre de reprendre pied dans la vie normale. Mais ni son frère, ni l’agent ne sont au rendez-vous. Fabien est en Espagne, tentant de faire des affaires frauduleuses et c’est Jessica, sa sulfureuse petite amie, qu’il ne connait pas, qui l’attend à la sortie.

En attendant le retour de son frère, il est accueilli dans la famille de Jessica dans un coin de la campagne bordelaise. Et là, c’est un peu le palais de la beaufitude qu’il va découvrir. Le père à moitié alcoolo maquille des bagnoles volées pour les revendre dans les pays de l’Est, la mère, une harpie immonde fait des ménages dans les maisons de retraite de manière épisodique et Jessica,elle, va vite s’avérer aussi barge qu’elle est désirable: une beauté fatale, une personne particulièrement toxique. Dans l’attente de son frère, Frank, tente vainement de vivre avec cette famille pour qui l’ascenseur social est en panne depuis toujours ou tout au moins depuis longtemps. On survit grâce à des boulots de merde à des horaires de merde, dans des lieux de merde et des magouilles minables avec des truands de bas étage du coin. Seul rayon de soleil dans cet été étouffant et éprouvant, la petite Rachel, fille de Jessica âgée de huit ans, mutique et mystérieuse, souffre-douleur de sa mère quand celle-ci est en crise de ce qui ressemble fort à de la bipolarité.

Le Corre n’en dit pas plus, laisse en suspens les raisons du mutisme de Rachel comme de la folie de Jessica. Il nous laisse juges comme le pauvre Franck qui tente de se rendre utile en aidant dans l’accomplissement des magouilles pourries et en répondant aux avances de Jessica à la sexualité exacerbée. On n’en sait pas plus, les indices sont nuls et comme le héros, libres à nous d’imaginer la genèse des malaises visibles de cette famille? entre chiens et loups… Le père abuse-t-il de sa petite fille ou a-t-il détruit Jessica quand elle était petite ? Quelles sont les raisons de la haine farouche de la mère vis-à-vis de Franck ? Que pense ce chien de la famille qui semble vouloir faire mal, cristallisant à lui seul tout le malaise du triste tableau ? L’intelligence de Le Corre est bien là, dans ce constat de capharnaüm des esprits et des comportements qu’il nous impose sans nous le faire comprendre et il s’en suit une tension de chaque instant, le lecteur guettant la catastrophe prévisible et inévitable.

Petit à petit, le danger pressenti devient tangible et Franck sent bien qu’il va lui falloir partir, s’enfuir. Mais, d’abord, les chaînes imposées par le cul de Jessica puis ensuite les liens créés avec la petite Rachel vont le faire s’enliser dans le merdier ambiant pendant que son frère tarde à revenir.

« Prendre les loups pour des chiens » est un roman de très grande classe, abouti, où derrière le visage de la méchanceté, de la bêtise crasse, de la haine,de la violence,de l’arnaque naze, se dressent de beaux sentiments humains, des pages tendres, désarmantes de gentillesse et d’humanité, de nostalgie, de regrets du temps passé, du poids de l’absence des êtres aimés à qui on n’a pas su dire, montrer son amour quand il était encore temps.

Pareillement, bien que dans un décor rural, on ne sent pas les poncifs de plus en plus visibles dans certains romans français ou américains, surfant sur la mode du polar rural. Tout ici est calibré, travaillé, millimétré dans un style maîtrisé qui rend admiratif. De la première à la dernière page, Hervé Le Corre est maître de son art et offre à l’amateur de polars, un roman noir qui n’est pas prêt d’être égalé en qualité d’écriture comme en émotion.

Brillant.

Wollanup.

2 Comments

  1. christophe

    Bonjour
    Hervé Le Corre nous a parlé de son dernier roman…
    C’est ici
    https://www.milieuhostile.net/interview-herve-corre-prendre-loups-chiens/

    • clete

      Merci bien.

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