Ned crabb, journaliste, ayant longtemps vécu en Floride était pour l’instant l’auteur d’un seul remarquable polar « La bouffe est chouette à Fatchakulla » paru chez Gallimard en 1980 qui avait pour cadre un bled de tarés en Floride où sévissait un mystérieux tueur en série. Maintenant retraité à New York, il a choisi son lieu de villégiature estival de North Pond dans le Maine pour créer un polar absolument délicieux à tous points de vue, un petit bonheur de littérature offert, une fois de plus, serai-je tenté de dire, par les éditions Gallmeister. Il est évident que celles et ceux qui ont apprécié son premier opus ne peuvent que se réjouir de ce retour quand bien même la situation comme le traitement sont totalement différents mis à part ce magnifique humour noir qu’on lui connait depuis les années 80.
« Sur les rives d’un petit lac du Maine, Alicia et Six Godwin coulent une existence paisible, entre la librairie qu’ils ont créée et leur passion commune pour la pêche. Jusqu’au jour où ils décident de passer le week-end dans le luxueux lodge que leur richissime cousine, Iphigene Seldon, dirige d’une main de fer. Âgée de soixante-dix-sept ans et dotée d’un caractère bien trempé, la vieille femme a justement convoqué ce même week-end ses nombreux héritiers pour leur annoncer qu’elle modifie son testament. Au lodge, l’atmosphère devient électrique. Et tandis qu’un orage d’une extrême violence se prépare, tous les membres de la famille se laissent envahir par des envies de meurtre. »
Bye bye la Floride et bonjour le Maine des WASP, des séjours paisibles des nantis dans des lodges luxueux où une fois la journée de pêche terminée, tout en se vantant des prises du jour, on savoure entre gens bien la gastronomie locale et l’ambiance feutrée des lieux au milieu d’une nature préservée et entretenue pour faire frémir le tiroir caisse et faire chauffer les cartes bleues des invités. Mais, parce qu’il y a un gros mais, les touristes présents ignorent tout de la tragédie familiale qui va se jouer sous leurs yeux puisque Iphigene, Gene, surnommée par son neveu Brad « il duce » parce qu’il considère qu’elle est la réincarnation en vieille dame du sinistre Benito Mussolini a décidé de modifier son testament et tout le monde s’inquiète. Ses trois neveux ayant déjà tous atteints la quarantaine et qui attendent depuis de nombreuses années la mort de la vieille pourrie qui a déjà vaincu un cancer, pensent que la vieille sorcière va leur faire un tour pendable alors qu’ils ont besoin de l’héritage pour divorcer sereinement. Les conjoints des héritiers, entre magouilles financières et mannes attendues pour retrouver une existence à l’abri du besoin, tremblent eux aussi.
Ainsi, tous les membres de cette adorable famille ont une ou plusieurs bonnes raisons de vouloir la peau de Gene qui ne l’ignore pas mais qui veut jouer le tyran jusqu’au bout et c’est ce qui nous est raconté de façon savoureuse et très caustique par un Ned Crabb qui maîtrise à merveille la réplique qui tue. Pendant une centaine de pages, sans un instant d’ennui le décor et les personnages de l’intrigue nous sont présentés avant un massacre si prévisible tant la haine et les sentiments meurtriers sont visibles. Une centaine de pages qui font penser, c’est vrai à du Agatha Christie mais avec beaucoup aussi de Tom Sharpe pour dynamiser les propos et rendre la narration par moments franchement irrésistible quand on parle de Brad le neveu bourré du matin au soir et de sa soeur sous coke dans les mêmes tranches horaires, des personnages tout droits sortis d’un délire hallucinogène de Mark Haskell Smith.
Puis, à partir du premier quart, on entre dans l’action avec un premier drame et le lecteur attentif aura bien remarqué que dans le titre, meurtres est écrit au pluriel, et à partir de là, fini le thé et l’arsenic des intrigues policières british anciennes et bienvenue dans le monde des frères Coen avec une équipe de flics ruraux bien sympathique mais peu habituée à pareilles affaires et bien embarrassée à enquêter dans cette famille si particulière. Ned Crabb nous offre ici un beau huis clos où, une fois de plus, sa prose fait mouche, créant un climat de suspicion bien tangible et mené avec virtuosité pour ne pas laisser le loisir au lecteur d’élaborer ses propres théories.
Dans le dernier quart, lors du final, on change à nouveau de style, et comme on est chez Gallmeister, la nature, les lacs, la pêche joueront un rôle important sans pour cela déplaire aux non-amateurs de l’activité « sportive » ni faire fuir les fatigués des innombrables longues pages sur la beauté de la nature américaine qu’on nous assène si souvent.
Roman qu’on lit vraiment d’une seule traite si on a su rester concentré au début, « Meurtres à Willow Pond » est une sorte de cluedo diabolique où on chercherait non pas le coupable mais tout simplement un innocent, et qui devrait ravir tous les amateurs de polars.
Wollanup.
Je le rajoute à ma Pal…ça me rappelle un peu l’ambiance des bouquins d’Agathe Christie que j’adore
Ned Crabb devrait effectivement,en partie,te rappeler les romans d’Agatha Christie,Sandrine.