Chroniques noires et partisanes

MÉRIDIEN DE SANG ou le rougeoiement du soir dans l’Ouest de Cormac McCarthy / Gallimard.

Traduction : François Hirsch 

C’est dans cette seconde moitié du XIXème siècle, à la lisière du Mexique, qu’un jeune garçon livré à lui-même se trouve mêlé à une horde de tueurs dont le mobile de leurs exactions reste forcément fusionnel avec l’appât du gain. Les pérégrinations violentes, sans foi ni loi, sont placées sous une figure tutélaire, tantôt ange gardien, tantôt démon, tantôt père, tantôt éxecuteur de la pénitence, tantôt lumière, tantôt rideau opaque des destinées…Souffrance, émancipation et maturité accélérées seront les balises d’un sentier pavé de haies où les épines acérées scarifieront une âme en détresse. Les compagnons, ou plutôt les éclaireurs, d’infortune traceront avec lui un sillon profond où se déversera l’hémoglobine de leur terrible labeur hanté par les esprits tourmentés de victimes expiatoires et sacrifiés sur l’autel de luttes frontalières.

« De tous ses livres, Blood meridian (Méridien de sang) est sans doute le plus notoire (même pour ceux qui ne l’ont pas lu). Un western métaphysique story-boardé par Dali ou Ernst, une sorte de Horde sauvage, dans lequel William Holden serait The Judge (ils portent d’ailleurs le même nom), ou le Capitaine Achab. Une équipée nihiliste au terme de laquelle rien n’est révélé, où l’on massacre pour cent dollars le scalp, où l’on ne récolte qu’un collier d’oreilles séchées. Le livre contient des scènes fantastiques et grotesques, certaines inoubliables et incroyablement culottées, comme le passage où Holden sauve sa troupe de chasseurs de primes d’une mort certaine aux mains des Apaches (ils n’ont plus de poudre) en concoctant un mélange détonant avec de la merde de chauve-souris et autres salpêtres récoltés à la bouche d’un volcan. Le Juge est lui-même sa propre baleine blanche, énorme et glabre. Il est non seulement le philosophe du groupe, mais aussi son botaniste, historien, entomologiste et exécuteur.
Inutile de dire que cette chevauchée plus que fantastique qui mène le lecteur du Tennessee au Texas, puis à travers les déserts de Chihuahua et Sonora, le laisse aussi complètement horrifié et épuisé. »

Les terres sont arides, aussi bien sur le versant texan ou du Nouveau Mexique, que sur le versant sudiste du pays mexicain, et l’image des virevoltants, « tumbleweed », contrastant par leur mouvement qui s’oppose à la concentration, l’immobilisme et la désolation de ces steppes typiques du Far-West. Les amarantes hydrophiles sont le pendant des renégats avides de liquides de feu frelatés et c’est dans cette carte postale cinématographique qu’évoluent les protagonistes d’une bataille abolissant la pitié et la concorde que n’aurait pas renié un Quentin Tarantino ou magnifié par un Sergio Léone tel « Il était une fois la révolution ». On y retrouve d’ailleurs des profils de personnages similaires et leur cruauté liée à un détachement froid de l’action rehaussent de manière significative la tension métallique du récit. Les scènes anthologiques s’enchaînent dans un rythme « wagnérien » avec toute la pesanteur et cette propension à plomber une atmosphère raidissant l’échine et bloquant le grill costal interrompant transitoirement notre expiration.

Cormac McCarthy possède ce don antagoniste de l’épure du propos foncier, il cherche à le dégraisser pour n’atteindre que le muscle chaud et vivace, et dans un temps parallèle propose une écriture descriptive d’une rare race. Sa peinture kinémique de scènes époustouflantes de violence couplées à une débauche de détails sordides nous renvoie à des triptyques semblables à ceux de Jéronimus Bosch. La langue est précise, la langue est cinématographique et picturale mais elle semble complexe à adapter pour le 7ème art. Les deux vecteurs émotionnels sont additionnés, le cérébral et le viscéral, et le Juge Holden remplit à lui seul l’archétype littéraire voulu par son accoucheur. Les symboliques et son incarnation sis décrites dans le liminaire affichent le profil de ce totem d’où se construit une histoire dévorante, noir créosote, macrophage qui encadre une ouvrage référence.

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Puisse que mes prochaines lectures ne me paraissent point fades !…

CHEF D’ŒUVRE.

Chouchou.

4 Comments

  1. le Bison

    Je ne connais pas ce Blood Meridian musical, mais j’ai le Cormac qui m’attend. Nul doute qu’il fasse prochainement partie de mes prochaines lectures, j’en avais déjà très envie, encore plus maintenant.

  2. Chouchou

    C’est une genre, l’Alt-Country, qui me correspond sur beaucoup d’aspect et ce groupe qui tire d’ailleurs son nom du roman du sus nommé a été peu prolixe avec 4 albums de 2004 à 2007. Ce quatuor Canadien propose une musique sincère et je possède depuis sa sortie l’album dont est tiré le titre choisi. Bonne découverte du coup Le Bison! Leur mélopée a des effluves du Crown Royal Northern Harvest Rye….

  3. VIDAL

    Sacrée putain de chronique ! Quand j’ai lu Méridien de sang, j’en suis ressorti exsangue, épuisé, desséché et surtout, époustouflé. MacCarthy a puisé directement dans le tégument de la violence et par-là même, raconté par le truchement de son roman toute l’histoire de l’Amérique. Ce récit est une bourrasque, un séisme qui m’accompagne toujours; j’y pense régulièrement, sans que je m’y attende. Ce Juge emblématique, cette sorte de Jabba le Juge, omniscient et omnipotent, est un sacré personnage.

  4. Chouchou

    Merci mais les kro’ vont, souvent, de pair avec la qualité de notre lecture….

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