En passant par le Monténegro…

« Une fois blotti dans un recoin de cette carapace comme un bernard-l’hermite dans un coquillage, j’ai ouvert mon sac et attrapé le livre que j’avais emprunté à la bibliothèque. J’avais été sacrément chanceux de le dénicher dans le coin réservé aux prix littéraires. Un bouquin de 1971 avec en couverture deux bras qui émergent de l’eau en brandissant une arme de chasse et au loin un canoë avec trois types à bord à qui l’on ne prédit pas un avenir radieux. Au-dessus, des lettres bleues criant Délivrance, coiffées du nom de l’auteur, James Dickey »

Patrice Gain fait partie de ces auteurs d’une élégante discrétion dont chaque nouveau roman est devenu une fête pour les lecteurs qui le suivent. Le sourire du scorpion ne fait pas exception à la règle : il s’agit d’un récit magnifique, sombre, habité par des personnages complexes et par une nature tantôt amie, tantôt adversaire.

Le narrateur, Tom, est devenu un jeune homme au moment il commence à raconter l’histoire du Scorpion. Mais, à l’instar de Matt, le personnage de Dénali, c’est encore un ado en 2006, au moment où sa vie et celle de sa famille bascule, quelque part au cœur du Monténegro, dans le canyon de la Tara.

Famille de saltimbanques, les parents de Tom et de Luna, sa sœur jumelle, vivent leurs vies en êtres libres et généreux. Vivant dans un camion avec leurs deux ados, travaillant au gré des besoins saisonniers, Mily et Alex font partie de ces doux rêveurs qui traversent la vie en donnant plus qu’en se servant. La descente de la Tara en raft, une idée d’Alex et de leur guide serbe, Goran, ne réjouit pourtant pas Mily, incapable de se départir d’un désagréable sentiment de fatalité.

L’écriture de Patrice Gain, précise dans les détails, sobre, miroir d’encre des paysages qu’il décrit, entraîne le lecteur au cœur d’un drame qui, s’il est prévisible, n’en est pas moins poignant. Et c’est par ce drame que la véritable histoire commence.

Le retour en France en famille estropiée, le deuil qui vous cueille du jour au lendemain, le parent qui reste devenu un étranger, un malade, deux ados qui encaissent ce revirement de l’existence chacun à sa manière, des années qui s’écoulent, le voile qui se déchire enfin sur l’accident de la Tara.

Tom, le narrateur, revient sur ces années angoissantes et remet les pièces du puzzle en place avec application : un travail de résilience qui impose le respect. Tout comme Matt, (Dénali, vous vous souvenez ?) il fait partie de ces personnages auxquels on pense longtemps après avoir fermé le livre, avec affection et mélancolie. Un survivant.

Voilà, tout ça pour dire, nom de nom, si vous ne connaissez pas encore Patrice Gain, bande de veinards, précipitez-vous sur ses livres !

Monica.