Chroniques noires et partisanes

LA BOMBE de Frank Harris aux éditions La Dernière Goutte

Traduction : Anne-Sylvie Homassel.

Journaliste, écrivain d’origine irlandaise, Frank Harris (1856-1931) raconte dans ce roman un épisode majeur des luttes sociales et politiques à Chicago : l’attentat de Haymarket Square, à l’origine du premier mai. Paru en 1908 aux Etats-Unis, il est resté inédit en France jusqu’en 2015 où la Dernière Goutte le publie. Il a reçu le prix mémorable des librairies Initiales.

« Chicago, Haymarket Square, 4 mai 1886 : alors que s’achève un meeting politique réunissant des centaines d’ouvriers, la police lance un assaut brutal pour disperser la foule. Soudain, une bombe explose, tuant huit policiers et en blessant plusieurs dizaines d’autres. Cet événement à l’immense retentissement, Rudolph Schnaubelt en est le témoin privilégié. Fraîchement débarqué d’Allemagne, ce jeune homme cultivé, sans le sou mais décidé à conquérir l’Amérique, fait rapidement l’apprentissage d’une réalité qui lui glace le sang : de New York à Chicago, il découvre la tragique condition des ouvriers, surtout quand ils sont, comme lui, étrangers. Mais comment se dresser face aux injustices dans cette société conservatrice avide de profits où la presse est aux ordres et la répression policière, sanglante ? Tiraillé entre son engagement pour la cause ouvrière aux côtés de Louis Lingg, un militant anarchiste charismatique, et sa passion pour la belle Elsie, Rudolph va faire un choix qui changera à jamais le cours de sa vie et celui de l’Histoire. »

Frank Harris mêle dans son roman des personnages historiques, dont les leaders socialistes et anarchistes des luttes ouvrières de Chicago et le personnage de Rudolph Schnaubelt, jeune immigré allemand dont il fait le lanceur de bombe ( la réalité est encore plus tordue : c’est le chef de la police de Chicago qui commandita l’attentat pour justifier la répression qui s’ensuivit).

Gravure de 1886 parue dans le journal Harper’s Weekly représentant la tragédie de Haymarket Square

A travers le personnage de Rudolph Schnaubelt, Frank Harris présente les conditions de vie des nouveaux immigrés en Amérique. A New York Rudolph connaît le chômage, la misère, le mépris des « Américains de souche », l’exploitation pour un salaire de misère et des boulots que personne de sensé ne veut faire : dans les chantiers des fondations du pont de Brooklyn par exemple où les ouvriers travaillent sous pression  au sens propre et ne tiennent que quelques semaines avant de tomber malades ou de mourir alors que la technologie de l’époque aurait pu l’éviter. Ce si beau pont…

Notre héros part pour Chicago voir si l’herbe y est plus verte. Cette ville est à l’époque le haut-lieu de la lutte ouvrière. Il y rencontre les leaders socialistes et anarchistes, notamment l’anarchiste Louis Lingg dont la personnalité le fascine, mais aussi l’amour. On assiste à la torture que peut infliger le puritanisme à des jeunes gens en pleine santé. La morale étouffante, les bonnes mœurs et le statut de la femme, tout y est. Au moins sur le plan des moeurs on a un peu évolué… enfin tant que les moralistes de tout poil ne montrent rien d’autre que le bout de leur nez !

C’est effarant de constater qu’entre cette fin de XIX ème siècle et notre début de XXI ème  rien n’a profondément changé : l’argent est toujours roi. Les spéculateurs, les patrons s’en mettent plein les poches, contrôlent les médias et répriment violemment ceux qui se révoltent : ils ont la justice, la police avec eux, ils ont le pouvoir. Bien sûr, on peut toujours se demander si la fin justifie les moyens mais l’analyse politique est surprenante d’actualité.

Frank Harris raconte également la parodie de procès qui eut lieu avec une campagne de presse immonde, des jurés sous influence, une sentence donnée pour l’exemple qui aboutit à la mort de cinq innocents…

Un document sur une époque, un texte terriblement actuel : un roman passionnant !

Raccoon

 

2 Comments

  1. Paotrsaout

    Un très intéressant éclairage historique et social, sur les crapuleries ou un certain engagement politique par exemple, en effet. A titre personnel, j’étais un peu resté sur ma faim quant à l’écriture, d’une sobriété euh journalistique.
    Permets-moi d’ajouter, Racoon, que ce bouquin en tout cas m’a fait retrouver une ancienne lecture, Go by Go de Jon A. Jackson (Série Noire Gallimard), bon aperçu de conditions ouvrières américaines et librement inspiré du passé de Dashiell Hammett, employé par la Pinkerton pour briser une grève d’ouvriers en 1917. Il a démissionné et la littérature hard boiled s’en est très bien portée.

    • Raccoon

      Je note pour le bouquin, je ne connais pas Go by go mais j’ai bien envie de remédier à ça rapidement. Merci.

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