Traduction : Jacques Mailhos

Illustrations : Chabouté

James Crumley, né en 1939, mort en 2008, est une des grandes voix de l’école du Montana dont Gallmeister va republier l’œuvre avec une nouvelle traduction dans sa collection noire. Je ne pourrai comparer cette nouvelle traduction à l’ancienne car je n’y connais rien et on est là dans des subtilités qui m’échappent mais cette initiative permet de remettre à l’honneur Crumley, grand maître du roman noir américain et de redécouvrir ou découvrir ses bouquins et c’est tant mieux ! Cette édition est illustrée par Chabouté de dessins noirs et blancs qui collent parfaitement avec les chapitres. Un plus sans doute pour les amateurs de dessins ou de BD mais qui ne m’a pas apporté grand-chose personnellement, l’écriture et le style de Crumley, puissants et féroces suffisent amplement !

« Dans la petite ville de Meriwether, dans le Montana, le privé Milo Milodragovitch est sur le point de se retrouver au chômage technique. Les divorces se font maintenant à l’amiable. Plus besoin de retrouver l’époux volage ou la femme adultère en position compromettante. Ne lui reste qu’à s’adonner à son activité favorite, boire. S’imbiber méthodiquement, copieusement, pour éloigner le souvenir cuisant de ses propres mariages ratés, de la décadence de sa famille, de son héritage qui restera bloqué sur son compte jusqu’à ses cinquante-trois ans – ainsi en a décidé sa mère. C’est alors que la jeune et très belle Helen Duffy pousse sa porte : son petit frère, un jeune homme bien sous tous rapports, n’a plus donné signe de vie depuis plusieurs semaines. Milo s’engage alors sur une piste très glissante. »

C’est la première aventure de Milo Milodragovitch qu’on retrouve ici : Milo, détective privé, ex-flic pas trop vertueux, ivrogne revendiqué qui pose sur lui-même et sur le monde un regard désespéré et extrêmement lucide. Cabossé depuis son enfance, Milo est capable de détecter les blessures les plus profondes des êtres avec une empathie extraordinaire. Il voit de l’humanité et de la poésie chez les ivrognes les plus abîmés, les comprend mieux que quiconque et s’applique à les rejoindre. Il se fout des convenances, de la moralité, de la bienséance et n’accepte l’affaire d’Helen que parce qu’il veut la sauter. Son QG ? Un bar. Ses acolytes ? Les poivrots de la ville dont il parle avec respect et tendresse, ne s’en sentant en aucune façon supérieur.

Milo, narrateur, raconte et c’est rock n’ roll ! Rien à foutre… il ne cache rien, n’omet rien, ne se fait pas passer pour un héros ! Cette crudité amène un humour féroce, un regard d’une acuité inouïe et permet à Crumley de sonder les profondeurs pas toujours reluisantes de l’esprit humain. Par son absence totale de soumission et souvent par témérité alcoolique, Milo n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat, à affronter les puissants quitte à s’en prendre plein la gueule. Il s’autorise à dégainer, à tirer parfois et on pense à Robicheaux, mais il n’est pas aussi calotin que son collègue de Louisiane, beaucoup moins sûr de ses valeurs, de son bon droit et ça donne encore plus de puissance, d’humanité et de modernité à ce personnage.

On est en 1975, Meriwether petite ville imaginaire du Montana est envahie par les touristes et les hippies qui côtoient avec plus ou moins de bonheur les autochtones, ivrognes patentés. Bien qu’il soit situé dans le temps, le roman de Crumley n’a pas pris une ride : il nous parle de pouvoir, de cupidité, de lâcheté, d’amour, de désespoir… bref de la vie et des hommes de tous les temps sous toutes les latitudes. La modernité de Crumley vient aussi de ses personnages, il en évoque toute une galerie parmi les exclus, les paumés, les marginaux. Il y a notamment des homosexuels dont la littérature de l’Ouest parle peu à l’époque. Ses personnages sont hauts en couleurs, mais jamais caricaturaux et toujours traités avec humanité et respect, sans jugement moral. Les plus cruels sont ceux qui ont des principes stricts qu’ils appliquent d’ailleurs plus aux autres qu’à eux-mêmes.

Avec une puissance énorme, en nous faisant rire, sourire ou pleurer, Crumley nous entraîne dans un monde noir, très noir où aucun dieu ne nous sauvera, il faut le faire soi-même et le succès est tout sauf gagné, alors autant boire un petit coup pour se donner du courage…

Un roman mythique, une écriture magistrale qui prend aux tripes.

Raccoon