A la timonerie de la Gueuse, tel un confessionnal de contritions muettes, tel le sarcophage définitivement clôt d’une relation père/ fils dont les liens n’ont même pas eu l’état caduc d’un semblant d’échange filial standard. Rien n’est d’ailleurs standard dans ces vies ternes. Dans cet univers ténébreux où le frêle esquif est ballotté par une houle qui bouscule la moelle des pêcheurs et leurs viscères. C’est de leurs émotions enfouies et de leurs tatouages illustrant leur parcours que l’on disserte. Néanmoins ce sont des hommes de nos jours, pivots, engrenages, « malgré eux » d’un globe terrestre qui semble jouir de la déshérence d’autrui, de l’occultation étiologique de la fuite à travers une cécité de masse qui paradoxalement accepte d’en tirer profit. Des pensées s’opposent, des idées intérieures s’entrechoquent, des cœurs s’entrelacent,…

« Marins pêcheurs, un père et un fils en sont réduits à faire traverser la Manche à une famille de réfugiés syriens qu’un passeur anglais accompagne. Pendant cette sorte de huis-clos, passions et bassesses vont gouverner le navire sur les éléments déchaînés. Ecume s’appuie sur une dichotomie symbolisée par les deux personnages principaux, le père :la folie du vieux monde, le fils :le désabusement du nouveau. Le territoire qu’explore le roman est l’océan en voie de désertification : une entité déchaînée et menaçant à tout moment d’engloutir le bateau et ses occupants. »

La dualité d’un père et son fils reste bien au premier plan de ce tableau fait de nuances de noir, de gris, de blanc. Leur évolution métronomique dans leurs activités aspire à la morosité, à la monotonie, c’est pourtant aussi leur équilibre et leur essence existentielle. C’est au détour de leurs sorties en mer, on pouvait penser de manière fortuite, que le prétexte vaguement assumé de servir de navette maritime pour réfugiés se dessine. Là aussi les esprits se font face, on ressent l’esquisse des idéologies disparates à travers cette pratique licencieuse. Dans ces deux thèmes majeurs le récit évolue et trace son sillon aqueux.

Ecume c’est la surface d’un bouillon à éliminer, composée des déchets impropres à la consommation, l’écume c’est le signe d’un trouble dysfonctionnel respiratoire, l’écume de mer est la mousse de mer provoquée par un vent violent qui recouvre temporairement des zones de l’estran d’allure visqueuse, à travers cette parabole l’auteur symbolise les maux inaliénables contemporains qui traversent l’ouvrage. Frappé par la faculté d’indentation des mots à travers précisément ces maux, Patrick Dewdney possède cette capacité à émulsionner l’esthétisme idiolectal et de nous conter un récit où sa dureté n’a d’égale que le corindon. La langue est belle, la langue est imagée, sensée, fouillée et adaptée à cette volonté de dépeindre les désastres d’une relation filiale calamiteuse qu’aussi bien les désastres enfantés par des politiques où l’humain ne conserve plus sa place épicentrique qui naturellement devrait lui échoir.

Choc de notre civilisation, choc frontal père/fils où la parole n’a plus la vertu cardinale espérée. Choc d’une lecture pleine sur sa thématique, son habillage et sa couleur telle la créosote !

Antipathie et empathie… !

Chouchou.